Revue de presse avril 2025

 Algérie

Les autorités algériennes ont procédé au renvoi de plus de 1800 exilé·e·s dépourvu·e·s de droit au séjour vers la ville frontalière d’Assamaka (Niger), portant à 4000 le nombre de personnes renvoyées durant le mois d’avril. Ces chiffres ne prennent cependant en compte que les personnes recensées du côté nigérien : ils pourraient donc être plus élevés en incluant les personnes renvoyées qui seraient immédiatement reparties vers le nord de l’Algérie. Les autorités nigériennes avaient pourtant protesté, quelques semaines plus tôt, contre le caractère violent des refoulements imputés à l’Algérie, en convoquant l’ambassadeur d’Algérie à Niamey [1]. Un accord de réadmission existerait entre les deux pays, bien qu’il n’ait jamais été rendu public [2] : il est incertain que les refoulements de Nigérien·ne·s par l’Algérie soit effectués dans ce cadre.

Les personnes migrantes visées par ces renvois auraient été détenues avant d’être déplacées en bus vers le « Point Zéro », une zone isolée du désert où les autorités ont pour habitude d’abandonner les personnes exilées qu’elles renvoient, sans eau ni nourriture et à une quinzaine de kilomètres d’Assamaka [3]. L’Algérie perpétue ainsi un modèle déjà bien rodé, alors que plus de 30 000 personnes migrantes avaient déjà été expulsées en 2024 [4]. Ce système s’inscrit dans la continuité des politiques de la Tunisie voisine, qui refoule de nombreux·ses exilé·e·s subsaharien·ne·s vers l’Algérie (ou la Libye) [5] avec le soutien de l’UE et de ses États membres [6]. L’Algérie, mise sous pression par les refoulements tunisiens, et forte du soutien apporté par l’Europe à son voisin sans considération pour les violations des droits, tire ainsi parti de la situation. Bien que financièrement indépendante de l’UE, elle sert ses objectifs en éloignant toujours plus les personnes exilées des frontières européennes.

 Égypte

La conférence ministérielle du processus de Khartoum s’est tenue au Caire, le 9 avril 2025 : à l’issue de cette réunion, les ministres chargé·e·s des migrations dans chacun des États membres du processus, ainsi que des hauts dignitaires de l’UE et de l’Union Africaine, se sont accordé·e·s sur une déclaration conjointe et un plan d’action. Le processus de Khartoum est une « plateforme de coopération politique » entre les pays situés sur la route migratoire reliant la Corne de l’Afrique à l’Europe : établi en 2014, il se donne pour objectif de constituer un espace de dialogue entre ses membres, afin d’identifier et mettre en œuvre des projets de lutte contre le trafic d’êtres humains et le « trafic de migrant·e·s », en collaboration entre « pays d’origine, de transit et de destination ».

Outre la criante ironie de certains éléments agréés dans les documents publiés (mention d’un objectif de « respect de la dignité et des droits de l’Homme de tou·te·s les migrant·e·s » alors que l’Egypte, pays hôte de l’évènement, s’apprête, avec le soutien officieux de l’UE [7] , à durcir sa politique d’asile), l’orientation générale que dessinent ces textes est préoccupante. Les États s’engagent en effet à renforcer leur coopération en matière de « prévention et de réduction de la migration irrégulière » tout en cantonnant les voies de migration dite régulières aux seuls dispositifs déjà existants, condamnant les personnes exilées empruntant cette route à y être bloquées et victimes d’atteintes à leurs droits (comme c’est le cas, par exemple, des exilé·e·s soudanais·e·s en Égypte [8]). La dissuasion de tout projet migratoire est également au centre des priorités, avec la promotion de « campagnes d’information » sur « les risques de la migration irrégulière » (risques pourtant entretenus par les politiques répressives de l’UE et ses membres [9]), ainsi qu’un domaine d’actions entier visant à rendre plus efficaces les expulsions d’exilé·e·s depuis les pays membres du processus.

 Mauritanie

Le ministre des Affaires étrangères mauritanien, Mohamed Salem Ould Merzoug, a annoncé le 10 avril 2025 que plus de 100 corps de migrant·e·s avaient été repêchés depuis le début de l’année au large des côtes mauritaniennes. En 2024, ce chiffre s’élevait à 500 : les naufrages lors de tentatives de traversées ver les îles Canaries se maintiennent donc à de hauts niveaux, alors que Frontex enregistre sur le premier trimestre 2025 une diminution de 30% des arrivées dites « irrégulières » sur cette route par rapport à la même période en 2024.

Ces chiffres illustrent le fait que les objectifs de « prévention de la migration irrégulière » et de « lutte contre le trafic de migrants » - qui motivent la coopération migratoire UE-Mauritanie [10] - s’atteignent au prix de la vie des personnes exilées. La baisse du nombre d’arrivées en Europe est liée au renforcement du contrôle de la façade maritime africaine [11](fruit des investissements matériels, financiers, techniques de l’UE et ses États membres), et aux opérations de refoulement des exilé·e·s menées par les autorités [12], dont l’UE s’accommode volontiers. Or, l’accent ainsi mis sur la « prévention de la migration irrégulière » – plutôt que sur la protection des vies et des droits des personnes prenant la mer – ne fait qu’accroitre leur dangerosité : United against refugee deaths avait recensé 83 décès en mer sur la route reliant la Mauritanie aux Canaries sur la même période en 2024. Le partenariat UE-Mauritanie réplique ici à l’identique le « modèle » tunisien : fabriquer des « zones tampon » où les exilé·e·s cherchant à rejoindre l’Europe sont maintenu·e·s dans la peur de l’expulsion [13], victimes de violences [14], privé·e·s de moyens de subsistance [15], empêché·e·s de poursuivre leur route, et, in fine, contraint·e·s d’abandonner leur projet migratoire – par la force ou par le biais de programmes de « retour volontaire » mis en œuvre par l’OIM et financés par l’UE [16].

 Tunisie

La Tunisie a lancé, au début du mois d’avril, une vaste et violente campagne de « démantèlement » de campements informels où vivaient des milliers d’exilé·e·s dans la province de Sfax, procédant à des destructions par bulldozer et à l’incendie de biens (y compris alimentaires ou médicaux [17]). Les dirigeant·e·s tunisien·ne·s expliquent vouloir ainsi obtenir une augmentation des « retours volontaires » d’exilé·e·s présent·e·s en Tunisie [18].

Victimes de racisme et violences, que les autorités exacerbent et instrumentalisent volontiers, les exilé·e·s en transit dans le pays voient leurs tentatives de traversée vers l’UE considérablement entravées depuis que la Tunisie a conclu un protocole d’entente avec cette dernière et a consenti, moyennant contreparties financières, à mettre en place un contrôle strict de ses frontières extérieures. Face à une telle situation de blocage, les migrant·e·s présent·e·s en Tunisie sont plus susceptibles d’« accepter » une expulsion déguisée en « retour volontaire » – et financée par l’UE et ses États membres [19]. Une stratégie qui semble « porter ses fruits » au regard des longues files d’attente qui ont été rapportées devant les bureaux de l’OIM. Les délais de traitement de plusieurs mois laissent cependant craindre pour les conditions de vie des exilé·e·s sur le court et moyen terme, qui sont privé·e·s d’abri et d’accès à la nourriture, empêché·e·s de recevoir de l’argent ou de travailler [20], et même détenu·e·s pour s’être opposé·e·s aux « démantèlements » [21]. Ces politiques s’inscrivent dans l’esprit du protocole d’entente, qui mentionne que « la Tunisie réitère sa position de ne pas être un pays d’installation de migrants en situation irrégulière ». Les agissements des autorités tunisiennes témoignent du fait que cette position semble largement prioritaire sur le respect des droits des exilé·e·s. Malgré les nombreuses accusations de violations des droits pesant sur la Tunisie, l’UE et ses États membres n’ont pas remis en question le partenariat noué avec Tunis. L’inefficacité du « système sophistiqué de surveillance du respect des droits » invoqué pour le justifier [22] n’a en effet pas empêché la Commission européenne de proposer de considérer la Tunisie comme un « pays d’origine sûr » [23]

 Allemagne

Friedrich Merz, qui devrait officiellement accéder aux fonctions de chancelier de l’Allemagne le 6 mai prochain, a déclaré que son pays devait limiter l’entrée sur le territoire à moins de 100 000 demandeur·euse·s d’asile par an, justifiant sa position par des services publics « saturés » par les personnes migrantes. Le nombre de demandes d’asile en Allemagne en 2024 (229 000) était déjà de 30% inférieur à celui de 2023, et le futur chancelier a l’intention de diminuer ce chiffre de moitié.

La coalition CDU-SPD semble prête à tout pour y parvenir, avec bien plus d’égard pour sa longévité politique et les velléités de l’extrême-droite que pour le respect du droit international. Si de tels objectifs chiffrés contreviennent au principe même d’un droit individuel et inaliénable à l’asile, la coalition envisage par ailleurs de refouler des demandeur·euse·s d’asile à ses frontières terrestres, évoquant l’article 72 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qu’elle interprète comme une « clause d’urgence » permettant aux États membres de déroger aux normes européennes concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice, dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités pour « le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ». La Cour de Justice de l’UE défend pourtant une interprétation stricte de cet article : selon une jurisprudence constante [24], un État ne peut déroger au droit de l’UE sur le fondement de l’article 72 TFUE que s’il apporte la preuve que les mesures prises sont nécessaires pour maintenir l’ordre public et la sécurité nationale, ce qui ne saurait être laissé à l’appréciation unilatérale de l’État en question.

 Belgique

Depuis février, les tribunaux néerlandais refusent de renvoyer les demandeur·euse·s d’asile vers la Belgique dans le cadre du règlement « Dublin », considérant que les conditions requises ne sont pas réunies pour garantir un accueil digne aux demandeur·euse·s d’asile en Belgique. En effet, les structures d’hébergement belges sont saturées, et les hommes seuls en quête de protection se retrouvent, depuis une décision de 2021 [25], sur des listes d’attente pendant plusieurs mois avant d’obtenir une place – une situation que dénoncent de nombreuses ONG [26].

La saturation des centres d’hébergement belges n’est pas nouvelle : en juin 2023 déjà, un groupe d’eurodéputés avaient signalé à la Commission européenne que la Cour européenne des droits de l’Homme avait indiqué à la Belgique de prendre des mesures provisoires à ce sujet à de nombreuses reprises (dans 1 350 affaires entre octobre 2022 et avril 2023 [27]), et que la justice nationale avait condamné l’État belge pour son inaction en la matière dans plus de 6700 décisions. Épinglée dans une lettre, en 2022, par la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, la Belgique avait, dans la réponse de sa Secrétaire d’État à l’asile et à la migration, assuré prendre des mesures pour pallier ces manquements. Deux ans après, cette situation inchangée illustre l’impunité avec laquelle la Belgique viole l’obligation lui incombant de fournir un hébergement aux demandeur·se·s d’asile.

 Italie

L’Italie a procédé depuis son territoire à la première expulsion d’un·e exilé·e bangladais·e qui avait été détenu·e dans le camp de Gjäder, récemment converti en centre de rétention (CPR) italien [28]. Ainsi, outre les nombreuses inquiétudes que continue de soulever l’arrangement migratoire entre l’Italie et l’Albanie concernant le respect des droits des personnes transférées dans les camps de Gjäder et Shengjin [29], cette expulsion s’est montrée plus coûteuse et plus lente que depuis un CPR sur sol italien.

Quand bien même elle eût été « rentable » ou plus rapide que depuis l’Italie, cette procédure externalisée aurait constitué un risque conséquent de violations des droits, néanmoins, elle illustre la facticité des arguments du gouvernement Meloni. Alors qu’il invoquait une volonté d’accélérer le traitement des demandes d’asile (en généralisant la procédure accélérée à la frontière dans ces deux camps), il ne s’est finalement doté que d’un CPR délocalisé qui complexifie et accroit le coût des expulsions, au mépris des droits. C’est pourtant ce type d’externalisation que propose la Commission européenne à travers l’introduction de plateformes d’expulsion extraterritoriales (« return hubs ») dans le droit européen [30]. En parallèle, les juridictions italiennes continuent à rappeler le gouvernement à ses obligations : le 19 avril, la Cour d’appel de Rome a considéré que ni le protocole Italie-Albanie ni le décret-loi du 28 mars 2025 ayant étendu l’utilisation des camps albanais en CPR, n’autorisent la détention des demandeurs d’asile en Albanie en procédure normale, qui doivent donc – s’ils ne sont pas dans le cadre d’une procédure accélérée à la frontière, actuellement bloquée dans l’attente d’une décision de la Cour de justice UE – être retransférés sur le sol italien [31].

Les conclusions de l’avocat général concernant les affaires C-758/24 et C-759/24, devant la Cour de justice de l’UE, ont été rendues publiques. Y est recommandé à la Cour d’interpréter le concept de « pays d’origine sûr » – tel que défini dans la directive 2013/32, en vigueur jusqu’en juin 2026 – comme permettant à un État membre de placer en procédure accélérée les demandeur·se·s d’asile originaires de ces pays (d’origine sûrs), même s’ils ne sont pas considérés comme sûrs pour certaines catégories de personnes – à condition toutefois que ces mêmes catégories ne se voient pas appliquer la procédure accélérée. L’avocat général estime en effet que restreindre le qualificatif de « pays d’origine sûr » aux seuls pays où cette sûreté peut être présumée pour l’entièreté de la population reviendrait à « priver le concept de pays d’origine sûr d’une partie de son effet utile » : selon lui, cette interprétation « présenterait l’inconvénient d’exclure des listes nationales de pays d’origine sûrs des pays qui garantissent […] l’état de droit et le respect des droits et des libertés fondamentales, mais qui faillissent encore à leur mission au regard d’une ou de plusieurs catégorie(s) limitée(s) et identifiable(s) de personnes ». Force est donc de constater que ce raisonnement fait primer le pragmatisme d’un traitement expéditif dit « utile » des demandes d’asile sur la protection des demandeur·euse·s face aux persécutions encourues dans leur pays d’origine. Par ailleurs, l’avocat général est d’avis que les « pays d’origine sûrs » listés par le pouvoir exécutif devraient l’être sur la base d’informations mises à la disposition de la juridiction chargée d’examiner un potentiel recours, sans quoi celle-ci devrait être autorisée à réunir ses propres informations, conformément aux critères établis dans la directive.

En d’autres termes, si la Cour décide de rendre un jugement suivant les recommandations de l’avocat général (que ce dernier qualifie de « solution pragmatique » trouvant appui « dans l’économie et la finalité du système dans lequel s’insère ce concept », dans un phrasé pour le moins éloquent), l’Italie pourra qualifier des États tiers comme « pays d’origine sûrs » pour leur population générale à l’exception de certaines catégories de personnes, et placer les demandeur·euse·s d’asile ressortissant·e·s de ces pays dans ses camps en Albanie – sauf si ces dernier·e·s font partie des catégories de population pour lesquelles ce pays n’est pas sûr. Le placement d’un pays sur la liste italienne de « pays d’origine sûrs » n’étant pas accompagné des sources utilisées par le gouvernement pour prendre cette décision, les juridictions italiennes seraient par ailleurs autorisées à réunir leurs propres informations afin de juger de sa conformité avec les conditions imposées par le droit de l’UE.

Le gouvernement italien a annoncé investir 20 millions d’euros dans un programme de « retours volontaires », mis en œuvre en Libye, en Algérie et en Tunisie, en coopération avec l’OIM. Le but de ce programme est d’obtenir le « rapatriement librement consenti » d’environ 3 300 exilé·e·s présent·e·s dans ces pays vers leurs pays d’origine.

Le caractère prétendument volontaire de tels retours est un leurre : une profusion de rapports documente les violations des droits des exilé·e·s ayant lieu dans ces trois pays, et le choix de retourner dans son pays d’origine peut difficilement être considéré comme libre dans ces conditions. Plutôt que de dénoncer ou chercher à faire cesser ces violations (traitements inhumains ou dégradants, travail forcé, détention arbitraire, refoulements, disparitions forcées, enlèvements…), l’Italie préfère ainsi – à l’instar de l’UE et d’autres États membres [32] – financer des programmes visant à donner aux exilé·e·s résidant ou transitant dans l’un de ces pays l’illusion d’un choix entre y rester (et risquer la mort ou la violation de leurs droits) et « consentir » à une expulsion déguisée, assortie d’une incitation financière.

 Finlande

Le ministère de l’Intérieur finlandais a annoncé le renouvellement de sa décision de fermeture de sa frontière avec la Russie, effective depuis le 15 décembre 2023. Bien qu’elles admettent que « l’instrumentalisation de la migration a pour le moment cessé  », les autorités finlandaises estiment en effet que le risque qu’elle « reprenne et s’étende, comme cela s’est vu par le passé, reste probable » et que « si le phénomène continuait, il poserait une menace sérieuse à la sécurité nationale et à l’ordre public de la Finlande ». Cette décision s’accompagne du prolongement de la « centralisation des demandes de protection internationale » à trois points de passage frontaliers (îles ou ports frontaliers accessibles depuis la mer baltique) : sur le reste de la frontière russo-finlandaise, aucune demande d’asile n’est enregistrée et toute personne traversant la frontière est refoulée vers la Russie.

Depuis 2023, les pays de l’Est de l’UE accusent la Russie et la Biélorussie de faciliter l’entrée de migrant·e·s sur leurs territoires, puis d‘encourager leur passage vers l’UE afin de « déstabiliser » cette dernière et ses membres. La Finlande profite de cette situation pour justifier, à l’instar de la Pologne [33], des restrictions du droit d’asile à sa frontière orientale, en complète violation du droit international. Le « Border Security Act  » de 2024 a ainsi introduit la possibilité pour le gouvernement d’ordonner le refus d’enregistrement de toute demande d’asile à une frontière spécifique, et de refouler tout·e demandeur·euse d’asile (supposément) entré·e sur le territoire finlandais par cette frontière. La Finlande et la Pologne bénéficient dans cette entreprise du soutien proactif de la Commission européenne, qui leur fournit des arguments juridiques pour défendre ces mesures, et ferme les yeux sur leur non-respect du droit de l’UE en matière d’asile. En effet, si elle est habilitée à entamer une procédure d’infraction à l’encontre d’un État membre de l’UE, elle reste très permissive à leur égard dans ce domaine. Seules 20 procédures ont été entamées depuis 2009, parmi lesquelles trois (toutes à l’encontre de la Hongrie) ont donné lieu à un renvoi devant la CJUE et à une condamnation. La Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a, de son côté, manifesté ses « inquiétudes » dès 2022. Aucune procédure n’a pourtant été initiée dans ce domaine à ce jour contre la Finlande.

 Grèce

Un bateau pneumatique avec à son bord 31 exilé·e·s parti·e·s de Turquie a fait naufrage, le 3 avril 2025, au large de l’île de Lesbos : sept personnes ont perdu la vie, et une jeune fille reste portée disparue. Les circonstances de l’accident sont floues : en effet, le naufrage s’est produit en présence d’un navire des garde-côtes grecs, et l’un des rescapé·e·s accuse ce dernier d’avoir généré, en tournant autour du canot pneumatique, des vagues dangereuses ayant provoqué son naufrage, au lieu de procéder directement au sauvetage des personnes à son bord. Des crochets auraient également été utilisés par les garde-côtes pour treuiller l’embarcation et tenter de la ramener dans les eaux turques [34], ce qui constituerait un refoulement ; les restes de l’embarcation semblent en effet indiquer que son plancher en bois se serait violemment détaché, fait incompatible avec les seuls effets des vagues.

Malgré les zones d’ombre de cette affaire, les autorités grecques poursuivent leur stratégie de criminalisation des exilé·e·s : le rescapé afghan ayant dénoncé les agissements des garde-côtes, qui a perdu sa femme et sa fille dans le naufrage, est accusé d’être un « trafiquant » à l’origine de l’accident au motif qu’il tenait la barre, et est détenu dans l’attente de son procès.

A la suite de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme de condamner la Grèce pour la « pratique systématique de refoulements depuis les îles grecques vers la Turquie », l’agence européenne Frontex a annoncé ouvrir une enquête contre les autorités grecques concernant une douzaine d’allégations de refoulements depuis 2023. L’agence a ajouté que si ces faits étaient avérés, la Grèce s’exposerait à la suspension du co-financement des opérations conjointes de surveillance à ses frontières. L’article 46 du règlement sur le mandat de l’agence permet également à son directeur exécutif de faire cesser toute opération dont les activités génèrent des violations graves des droits fondamentaux susceptibles de se poursuivre. Une décision prise pour la première fois en janvier 2021, lorsque l’agence a annoncé la suspension de ses activités opérationnelles en Hongrie, de crainte d’être tenue pour complice de la politique migratoire hongroise, après une décision de la CJUE en décembre 2020 condamnant la Hongrie pour violation du droit européen en matière d’asile.

Si l’ouverture de cette enquête vient rappeler l’impunité avec laquelle les États européens, et notamment la Grèce, violent le droit international, le cynisme d’une telle annonce illustre également la volonté de Frontex de continuer à s’affranchir de toute forme de responsabilité concernant les violations du droit international commises aux frontières de l’UE. En effet, depuis de nombreuses années, la complicité de l’agence dans ces violations des droits est documentée par des enquêtes [35] et des accusations portées devant la CJUE [36] ou la CEDH. L’agence veille sans cesse à rappeler son seul rôle de « support » non-décisionnaire, et l’annonce de l’ouverture de ces enquêtes ne semble être qu’un subterfuge de plus pour tenter de se défausser de toute responsabilité.

 Sommet des Med5

Les ministres de l’intérieur des cinq pays composant le groupe des « Med5 » (Chypre, Espagne, Grèce, Italie et Malte) se sont réunis lors d’un sommet à l’issue duquel une déclaration commune a été publiée. Cette dernière met en avant les objectifs communs (pratiquement inchangés depuis 2023) de ces pays qui se reconnaissent comme des États formant « la première ligne de la frontière méridionale ». Les Med5 prônent ainsi le renforcement de Frontex (notamment en révisant à nouveau son mandat) et de la surveillance des frontières, la multiplication des « partenariats » migratoires avec les « principaux pays d’origine et de transit en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient », le développement de « solutions innovantes », une refonte de la directive retour, des investissements accrus dans les programmes de « retours volontaires assistés », la lutte contre le « trafic de migrants », ou encore le renforcement des campagnes de communication visant à « décourager la migration illégale ». Les ministres ont également appelé à un financement européen « immédiat et inconditionnel », compte tenu de leurs « besoins accrus ».

La mention du respect des droits de l’Homme est absente du document, qui se contente de rappeler les obligations incombant aux États en vertu du droit de l’UE et du droit international. Bien que les conséquences des multiples « partenariats migratoires » de l’UE avec des pays dits tiers prouvent que la mention des droits de l’Homme n’est jamais une garantie de leur respect, le silence à ce sujet reste néanmoins éloquent : ce que le ministre de l’Intérieur espagnol qualifie de « pilier le plus important » semble ainsi ne pas faire le poids face à la « prévention des flux migratoires irréguliers » souhaitée par les cinq pays. Par ailleurs, l’orientation globale des positions exposées dans ce communiqué vient soutenir les propositions et dispositifs les plus attentatoires aux droits de l’Homme : pacte européen sur la migration et l’asile, proposition de règlement sur les retours, retours faussement qualifiés de « volontaires », ou encore révision du mandat de Frontex visant à élargir les prérogatives d’une agence déjà accusée de bafouer les droits de l’Homme en toute impunité et opacité.

 Royaume-Uni

Le ministère de l’Intérieur français a annoncé discuter avec le Royaume-Uni d’une « expérimentation » visant à prévoir un système d’« échange » de personnes migrantes selon la logique du « un pour un » : pour chaque personne exilée arrivée sur le territoire britannique de manière dite irrégulière puis expulsée vers la France, le Royaume-Uni admettrait au séjour une personne migrante présente sur le territoire français.

Le projet, qui reprend en partie la logique mise en œuvre dans le cadre de la déclaration UE-Turquie de 2016 (dont les limites et atteintes aux droits ont été largement documentées depuis), est dénoncé par les associations de défense des droits : en conditionnant des admissions au séjour dites régulières à l’expulsion de personnes depuis le Royaume-Uni, les deux pays n’offrent pas de réelle alternative au franchissement des frontières hors des postes habilités. La France plaide pour l’européanisation de ce projet, ce qui laisse ainsi craindre un élargissement, à d’autres frontières extérieures de l’UE, de dispositifs similaires visant à faciliter les expulsions de personnes exilées vers des pays voisins, indépendamment de leur nationalité – dans la continuité des « solutions innovantes » plébiscitées par de nombreux États membres de l’UE, dont le protocole d’entente Italie-Albanie fait figure de vitrine.

 Concept de « pays d’origine sûr »

La Commission européenne a publié une proposition de règlement visant à établir une liste européenne de « pays d’origine sûrs » en vertu de l’article 62 du règlement « procédures » du Pacte européen sur la migration et l’asile. La liste établie comprend le Bangladesh, la Colombie, l’Égypte, l’Inde, le Kosovo, le Maroc et la Tunisie. Par ailleurs, les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie, Turquie et Ukraine) sont désignés par défaut comme des pays d’origine sûrs, à moins que des circonstances particulières soient démontrées : s’il y a un conflit armé et une violence indiscriminée contre les civils dans le pays en question ; s’il fait l’objet de sanctions ; ou si le taux d’acceptation annuel des demandes d’asile pour les ressortissant·e·s de ce pays est supérieur à 20% dans l’UE. La Commission profite par ailleurs de ce texte pour poursuivre sa volonté affichée [37] d’accélérer la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile : si la proposition est adoptée par les colégislateurs, les États membres seront autorisés à appliquer la procédure accélérée à la frontière à tout·e ressortissant·e d’un pays pour lequel le taux d’acceptation des demandes d’asiles dans l’UE est inférieur ou égal à 20% avant l’entrée en vigueur officielle du Pacte (2026).

Cette proposition a fait l’objet de vives critiques concernant l’application du concept de « pays d’origine sûrs » à des pays comme la Tunisie ou l’Égypte, où les persécutions auxquelles sont exposé·e·s les exilé·e·s, les activistes et figures politiques d’opposition [38] semblent incompatibles avec le qualificatif de « pays d’origine sûr ». Le traitement accéléré des demandes d’asile qui en découle pourrait porter préjudice aux demandeur·se·s issu·e·s de ces pays, alors que rien ne justifie de ne pas procéder avec diligence à l’examen sur le fond de leur demande de protection, eu égard à la situation dans les pays listés. Cette proposition vient par ailleurs conforter le gouvernement italien, qui avait intégré l’Égypte et le Bangladesh dans sa liste de « pays d’origine sûrs » en vue de transférer dans des camps en Albanie les demandeur·se·s d’asile originaires de ces pays, ce que la justice italienne avait estimé infondé [39].

 Criminalisation

Dans un rapport publié le 29 avril 2025, l’ONG PICUM met en lumière la hausse de la criminalisation, en Europe, des personnes en migration et des militant·e·s qui leur viennent en aide, ce qui confirme une tendance observée depuis quatre ans. En effet, l’association recense près d’une centaine de cas d’exilé·e·s accusé·e·s d’avoir « facilité la migration irrégulière » ou poursuivi·e·s pénalement pour trafic d’êtres humains, en Italie, en Grèce ou en Espagne. Ces accusations sont souvent « fondées » sur le simple fait de conduire un véhicule transportant un groupe d’exilé·e·s. Alors que les États européens cherchent activement à criminaliser le fait de migrer, ils s’attaquent également à la solidarité : plus de 140 militant·e·s auraient été poursuivi·e·s en 2024 pour avoir fourni de la nourriture, de l’eau ou des vêtements à des personnes en exil, ou pour les avoir secourues en mer.

Ce rapport paraît alors qu’une proposition de directive de la Commission européenne est à l’étude au Parlement européen et au Conseil de l’UE : ayant pour but d’« établir des règles minimales pour prévenir et contrer la facilitation de l’entrée, du transit et du séjour irrégulier dans l’Union », celle-ci n’exempte pas expressément la solidarité et l’action humanitaire des activités que la directive prévoit de punir. Si le projet de rapport du Parlement européen tente d’intégrer un amendement exemptant ces actions de toute poursuite judiciaire, celui-ci doit encore prospérer en assemblée plénière, puis lors des négociations avec le Conseil de l’UE. Il est ainsi à craindre que le processus d’illégalisation de la migration et de la solidarité avec les exilé·e·s s’intensifie, malgré les multiples procès déjà intentés à l’encontre de nombre de migrant·e·s et de militant·e·s, qui se soldent la plupart du temps par une relaxe. En effet, 95% des défenseur·se·s des droits dont les procédures judiciaires se sont conclues durant la période étudiée par le rapport ont été acquitté·e·s, ainsi que 72% des personnes exilées poursuivies pour « trafic de migrants ». À titre d’exemple, ce mois-ci, les trois demandeurs d’asile afghans accusés d’avoir initié l’incendie du camp de Moria en 2020 ont finalement été acquittés, après trois ans d’emprisonnement sur la seule base d’une déposition qui n’avait jamais fait l’objet d’un témoignage formel devant la justice [40].