Revue de presse juin 2024
Tunisie
- Info migrants, « Sauvetage de migrants en mer : une nouvelle SAR zone tunisienne créée en mer Méditerranée », le 4 juin 2024
- Agenzia Nova, « Migrants : Tunisia is preparing to formalize its own search and rescue zone at sea », le 30 mai 2024
Lors d’un exercice maritime qui s’est déroulé du 27 au 29 mai 2024, le ministre de la Défense tunisien a annoncé la création d’une nouvelle zone de recherche et de sauvetage (SAR) au large des côtes tunisiennes. Selon les autorités, la création d’un centre de coordination permettra « de fournir un service de recherche et de sauvetage maritime au bénéfice de tous les usagers de la mer, tunisiens et non tunisiens ».
Pourtant, selon les dispositions prévues par la Convention internationale sur le sauvetage et la recherche(Convention SAR), le débarquement des personnes secourues en mer ne peut se faire qu’en « lieu sûr ». Or, les associations de la société civile alertent sur la répression qui sévit contre les personnes exilé·e·s en Tunisie et rappellent que le pays ne peut constituer « un lieu sûr pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, les Tunisien.ne.s et les autres personnes étrangères qui fuient le pays » [1]. En soutenant activement la mise en place de cette nouvelle zone SAR, l’Union européenne instrumentalise le droit de la mer et se rend complice des pratiques violentes et dégradantes des autorités tunisiennes lors des opérations d’interception. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la zone SAR libyenne. Instituée en 2017, celle-ci a fomenté des pratiques attentatoires aux droits des personnes exilées par les garde-côtes libyens qui ont eu des conséquences funestes et qui ont entravé l’action des navires de sauvetage et de recherche civils [2]. Ainsi, dans le cadre de l’externalisation des contrôles migratoires, les zones SAR mises en place par la Libye, et maintenant la Tunisie, servent davantage les intérêts sécuritaires de l’Union européenne qu’elles ne concourent à secourir en mer les personnes exilées
Maroc
- The Guardian, « Moroccan authorities pushed asylum seekers into ‘death trap’, NGO claims »,le 18 juin 2024
Une enquête menée par l’ONG Border Forensics, met en avant la responsabilité des autorités marocaines et espagnoles dans la mort d’au moins 27 personnes lorsque le 24 juin 2022 environ 2 000 exilé·e·s· ont tenté de franchir la barrière frontière de Melilla. Alors que les dispositifs de militarisation de la frontière étaient considérablement renforcés, les témoignages recueillis montrent que les opérations des forces de l’ordre ont dirigé les demandeur·euse·s d’asile vers le nord du pays, transformant le poste-frontière de Bario Chino en « piège mortel ».
Déjà en 2005, la violence du régime des frontières s’était illustrée à la frontière maroccoespagnole. La répression des autorités espagnoles et marocaines lors du massacre d’octobre 2005 avait provoqué la mort d’une vingtaine de personnes et blessé une centaine de personnes. Loin de remettre en question les conséquences des politiques migratoires, ce drame avait poussé les autorités frontalières à renforcer les dispositifs sécuritaires aux barrières-frontières qui séparent les enclaves de Ceuta et Melilla du reste de l’Afrique [3]. 20 ans plus tard, un nouveau drame « incarne de façon paroxystique la guerre aux migrant·e·s racisé·e·s noir·e·s menée depuis les années 1990 aux frontières maroco-espagnoles, et témoigne une nouvelle fois du permis de tuer donné à la Guardia civil espagnole et aux forces auxiliaires marocaines » [4]. Alors que la contre-enquête menée par Border Forensics aux côtés de l’AMDH (Maroc) et Irídia (Espagne) dénonce l’impunité, ainsi que le manque de volonté politique pour rendre justice aux victimes et à leurs familles, la répression envers les exilé.e.s et leurs soutiens continue de sévir dans les pays du Maghreb avec la complicité et les financements de l’Union européenne [5].
Égypte - France
- Orient XXI, « Les dessous de la coopération migratoire entre l’Égypte et la France », le 18 juin 2024
En novembre 2023, une enquête d’Orient XXIrévélait l’implication de la France dans la fourniture de matériel de surveillance aux autorités égyptiennes dans le cadre d’un accord UE-Égypte signé en octobre 2022. L’acquisition de nouveaux documents de la DG NEAR [6], montre que la France – dans le prolongement d’un partenariat stratégique étroit avec l’Égypte – fut l’unique pays parmi les 27 membres de l’UE à « soutenir l’initiative » impulsée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour le compte de l’Égypte.
L’implication de l’OIM dans le renforcement des capacités de surveillance des autorités côtières égyptiennes met en évidence le rôle de l’organisation dans l’externalisation des politiques migratoires européennes. Malgré la soi-disant promotion d’une migration humaine « dans l’intérêt de tous », son champ d’action révèle que l’organisation intergouvernementale [7] est « engagée dans l’accompagnement des politiques des pays développés bien plus que dans la défense d’un droit à circuler qu’elle ne conçoit que fortement encadré, du moins pour les ressortissant·e·s du « Sud Global » [8]. Il n’est donc pas étonnant que l’OIM soit moteur dans l’établissement d’un partenariat visant à entraver les migrations, et attentatoire aux droits humains. Alors qu’un nouveau protocole d’entente (MoU) a été conclu entre l’Union européenne et l’Égypte le 17 mars 2024, Amnesty International dans un récent rapport alerte sur les arrestations arbitraires et les refoulements dont sont victimes les personnes soudanaises en Égypte [9]. Selon l’ONG, environ 800 personnes auraient été renvoyées au Soudan depuis le début de l’année 2024, alors que la population civile est la cible d’affrontements entre les forces paramilitaires (FSR) et le gouvernement depuis avril 2023 [10]. Ainsi, sous couvert d’une gestion « humaine et ordonnée » des migrations, l’OIM alimente la politique discriminatoire de contrôle et de dissuasion des mouvements migratoires organisée par les pays occidentaux.
- Info migrants, « Surveillance aérienne des canots de migrants en Méditerranée : Frontex poursuivi en justice », le 3 juin 2024
Les organisations Refugees in Lybia et Front-lex ont déposé un recours devant la Cour de justice européenne enjoignant M.Hans Leijtens – directeur exécutif de Frontex – de mettre un terme aux opérations de surveillance aériennes de l’agence en Méditerranée centrale. En partageant systématiquement les données de géolocalisation des canots d’exilé·e·s aux autorités libyennes lors de ses opérations, Frontex est accusée de se rendre complice de « crimes contre l’humanité ».
Selon Frontex, la surveillance aérienne de la Méditerranée centrale vise à « sauver des vies », et ce, conformément aux cadres prévus par le droit international. Pourtant M. Hans Leijtens a bien rappelé en mars dernier que Frontex n’était pas une « agence européenne de recherche et de sauvetage, mais bien l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes » [11]. Depuis sa création en 2004, Frontex est régulièrement épinglée pour son implication dans des pratiques violentes et illégales. De nombreux médias d’investigation et d’ONG tels que Le Monde, le média allemand Der Spiegleou encore Human Right Watch, ont documenté l’implication directe ou indirecte de l’agence dans les refoulements et les opérations d’interception des embarcations de migrants. Y compris celles effectuées par les garde-côtes libyens, accusés de détentions arbitraires, ainsi que de traitements inhumains et dégradants à l’encontre des personnes exilées. L’ancien patron de Frontex, Fabrice Leggeri (2015-2022), est quant à lui également accusé de « complicité de crimes contre l’humanité », ainsi que de « complicité de crime de torture » dans l’exercice de ses fonctions, pour avoir participé à des refoulements commis par les autorités libyennes et grecques. Ce nouveau recours met une nouvelle fois en évidence l’incompatibilité du mandat de l’agence avec les droits fondamentaux, et montre qu’il « ne suffit pas de changer le Directeur, c’est Frontex qu’il faut supprimer ! » [12].
Royaume-Uni
- The Guardian, “Next government may face claims for compensation from Rwanda flightdetainees”, le 14 juin 2024
Plus de 80 personnes qui étaient détenues par les autorités britanniques, en attendant d’être expulsées vers le Rwanda, ont été libérées. La justice a jugé que la détention était illégale puisque le risque de fuite des demandeur·euse·s d’asile en question était infondé et que le premier vol prévu pour le 24 juillet 2024 pourrait ne pas avoir lieu, le Plan Rwanda risquant d’être remis en question par les élections législatives britanniques du 4 juillet 2024.
Ces détentions s’inscrivent dans une cynique campagne de communication des autorités britanniques, qui à la suite de l’adoption du Plan Rwanda, le 23 avril 2024, visant à dissuader, en vain, les migrant·e·s de se rendre au Royaume-Uni [13]. Selon l’article du Guardian, une centaine de personnes auraient été arrêtées et placées en détention à l’issue de ces opérations, ravivant des traumatismes chez certains demandeur·euse·s d’asile. Pourtant, si la Convention européenne des droits de l’Homme consacre le recours à la privation de liberté comme une mesure exceptionnelle de dernier ressort, on observe au sein des pays européens une systématisation de l’enfermement des demandeur·euse·s d’asile depuis une dizaine d’années [14]. Si cet effet d’annonce du gouvernement britannique participe ainsi à mettre en scène la politique d’expulsion vers le Rwanda, il renforce dans un même temps la vulnérabilité de personnes en quête de protection. Quant au Plan Rwanda, il fait l’objet de nombreuses requêtes en annulation de la part des associations de défense des droits des migrant·e·s. Le 10 juin 2024, le HCR a soutenu devant une juridiction londonienne que des demandeur·euse·s d’asile pourraient se voir renvoyé.e.s dans un pays où ils/elles risquaient d’être la cible de persécutions par le gouvernement rwandais [15], remettant en question le décret labellisant le Rwanda comme « pays tiers sûr » (« Safety of Rwanda ») [16].
Serbie
- L’Orient-Le Jour, « La Serbie signe un accord avec l’UE sur la sécurité des frontières », le 25 juin 2024
- Euronews, “EU signs Frontex cooperation agreement with Serbia”, le 26 juin 2024
Ce mardi 25 juin 2024, la Serbie a signé un accord avec l’agence européenne Frontex. En négociation depuis plus d’un an, cet accord de statut permettra à l’agence de déployer un contingent permanent sur le territoire serbe, et de mener des opérations conjointes avec les autorités nationales dans une zone géographique élargie. Selon le Premier ministre serbe, les agents de Frontex ne seront plus uniquement déployés aux frontières extérieures de l’UE, mais aussi aux frontières communes de la Serbie avec les pays voisins de la région.
Présente de manière permanente sur le territoire serbe depuis le printemps 2021 [17], l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières pourra désormais étendre sa zone d’action aux frontières avec la Macédoine du Nord, l’Albanie ou encore le Monténégro. Ce nouvel accord s’inscrit dans le cadre du « plan d’action pour la route des Balkans occidentaux ». Lancé par la Commission européenne en décembre 2022, ce plan vise à renforcer la politique de contention des mouvements migratoires qui passent par la route des Balkans depuis la Grèce, notamment en intensifiant la présence de Frontex dans la zone [18]. Si l’UE continue de conditionner le processus d’adhésion à l’Union à la « bonne » coopération des pays des Balkans en matière de migration [19], elle ne semble pas faire de même avec les valeurs et principes de l’État de droit. En février 2024, le journal britannique The Guardian, a pourtant relayé des vidéos de l’ONG macédonienne Legis, mettant en cause les gardefrontières serbes dans des pratiques de refoulement « abusifs et dégradants » à la frontière avec la Macédoine du Nord [20]. Le déploiement de Frontex sur la quasi-totalité du territoire serbe contribuera à accentuer les violations de droits, et ce en toute impunité puisque les agents de Frontex bénéficient d’une immunité fonctionnelle [21].
Hongrie
- Al Jazeera, “EU court slaps $216m fine on Hungary for not following asylum laws”, le 13 juin 2024
- France 24, « L’UE condamne la Hongrie à une lourde amende pour non-respect du droit d’asile », le 13 juin 2024
Le 13 juin 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné la Hongrie à payer une amende de 200 millions d’euros pour non-respect du droit d’asile et des procédures d’expulsion concernant les ressortissant.e.s des pays dits tiers. La CJUE a ainsi jugé illégale la loi nationale modifiée en 2020 qui restreint drastiquement le droit d’asile dans le pays et oblige les exilé.e.s à déposer une pré-demande l’asile via les ambassades hongroises des pays voisins.
Cette décision fait suite à un premier arrêt en date du 17 décembre 2020 dans lequel la CJUE jugeait que le pays n’était pas en conformité avec le droit de l’Union [22] pour non-respect des procédures de recours équitable, détention illégale des demandeur·euse·s d’asile, et refoulement systématique vers la Serbie. Faute de s’être pliée à ses engagements internationaux et européens en modifiant sa loi antimigrants, la Hongrie a été sanctionnée pour son régime migratoire ultra-répressif en place depuis 2017. C’est loin d’être la première fois que la CJUE est saisie pour non-respect des normes en matière de migration et d’asile ; rien qu’entre 2020 et 2021, la Hongrie a été condamnée à cinq reprises pour violation des conditions européennes d’accueil et de respect de l’asile. En novembre 2021, la Cour de Justice avait reconnu la loi « Stop Soros » illégale au regard du droit européen. Cette disposition prévoyait des condamnations allant jusqu’à des peines de prison ferme pour avoir porté assistance aux personnes exilées. Malgré les nombreuses procédures engagées contre la Hongrie, son gouvernement refuse de se conformer au droit européen et continue de mener une guerre aux migrants [23]. Bien que la Cour de justice de l’Union européenne ait lourdement condamné la Hongrie, l’UE fait preuve de complaisance envers ce pays stratégique au niveau géographique qui - se présente comme l’ultime (garde-)frontière de l’Union [24].
Italie
- Altreconomia, « Inchiesta su Medihospes, regina dei centri per i migranti. Dall’Italia all’Albania », le 21 juin 2024
La coopérative Medihospes, qui a remporté l’appel d’offres pour l’installation des camps de Gjader et Shengjin (Albanie) destiné à recevoir les éxilé·e·s pour le compte de l’Italie, a connu une expansion fulgurante ces dernières années. En plus des 133 millions d’euros remportés dans le cadre du protocole d’entente Albanie-Italie de novembre 2023, Medihospes s’impose comme un acteur « hégémonique » dans la gestion des migrant·e·s en Italie. Rien que pour la première partie de l’année 2023, la coopérative sociale aurait remporté plus de 66% des appels d’offres relatifs aux camps italiens, soit plus de 83 millions d’euros.
Annoncée pour le mois de mai et présentée comme un élément clé de la politique anti-migratoire de G. Melloni à l’approche des élections européennes, la date d’ouverture des camps de migrant·e·s en Albanie ne cesse d’être repoussée [25]. Alors que l’échéance est désormais reportée au mois de novembre, l’appel d’offres proposé par Medihospes et consulté par Altreconomia révèle une autre controverse. Malgré l’engagement du gouvernement italien à exclure les personnes dites « vulnérables » (mineurs non accompagnés, victimes de traite ou de torture, etc.) des migrant·e·s à débarquer dans les camps albanais, il se pourrait que les centres de Gjader et Shengjin se préparent à accueillir tout type de public migrant, indépendamment d’un examen individuel des situations. Bien que dans son appel à projets, la coopérative sociale présente ces deux camps comme de véritables « refuges », elle participe activement au contrôle des mouvements migratoires. L’ascension fulgurante de Medihospes met ainsi en avant le « business » lucratif que représente la migration pour le secteur privé, tandis que le système de marché participe à la détérioration des conditions de vie dans ces lieux de détention [26].
Pologne
- TV5 Monde, « Migrations : la Pologne redéploie une zone tampon à sa frontière avec le Bélarus », le 10 juin 2024
Le 3 juin 2024, le gouvernement polonais a annoncé qu’une « zone tampon » serait de nouveau déployée à la frontière avec le Bélarus. Selon le Premier ministre, Donald Tusk, cette mesure permettrait de « créer de meilleures conditions de fonctionnement pour les garde-frontières, l’armée et la police » ; et dissuaderait les personnes migrantes de franchir la frontière belaro-polonaise.
En 2021, une première « zone tampon » avait été établie empêchant l’accès de toute association d’aide aux personnes exilées, journaliste, ou encore citoyen de pénétrer dans la zone frontalière. Malgré les difficultés rencontrées par la société civile pour documenter les violations de droits qui ont lieu à cette frontière, Human Rights Watch a recueilli plusieurs témoignages qui démontrent que les autorités polonaises et biélorusses se sont livrées à un véritable « jeu de pingpong » en pratiquant des refoulements de part et d’autre de la frontière [27]. Depuis deux ans, la Pologne mène une politique répressive et violente à la frontière avec le Bélarus. L’instrumentalisation des migrant.e.s par la Biélorussie a permis au gouvernement polonais – sans considération des conventions internationales et européennes ratifiées par le pays – de justifier une loi légalisant les refoulements à la frontière [28]. Évidemment en violation du droit international et européen. À Chypre, la « zone tampon », pourtant mise en place dans un autre contexte, permet également au gouvernement de la République de Chypre (sud de l’île) [29] de se soustraire à ses obligations en matière de droits fondamentaux pour maintenir les personnes exilées dans une zone de non-droit qui se transforme en lieu de rétention [30]. Utilisées dans des contextes stratégiques de défense, les zones tampons ne relèvent d’aucun statut juridique, en plus de diluer les responsabilités en cas de violations des droits.