Revue de presse mai 2024
Liban
- Euractive, “EU pledges €1 billion for Lebanon to curb migration, support economy”, le 2 mai 2024
- Le Monde, « Accord UE-Liban pour empêcher le départ de réfugiés syriens vers Chypre », le 3 mai 2024
Le 2 mai 2024, la Commission européenne a annoncé octroyer au Liban une aide d’un milliard d’euros pour la période 2024-2027. Ce financement vise à renforcer la coopération des autorités libanaises dans la « lutte contre l’immigration irrégulière en direction de l’Europe ». La Commission européenne, avec l’appui du HCR, a également annoncé vouloir élargir les programmes de « retours volontaires » depuis le Liban vers la Syrie.
Sous couvert d’une aide pour la « stabilité socio-économique » [1] du pays, cet arrangement a pour but de fixer les réfugié·e·s syrien·ne·s sur le territoire libanais. Un nouvel arrangement express – après la Tunisie, la Mauritanie et l’Égypte – qui permet, une nouvelle fois de contourner le contrôle démocratique du Parlement européen alors que la situation en Syrie est toujours délétère. La stratégie européenne de la soft law permet au gouvernement libanais de conclure un « accord », alors même qu’il expédie les affaires courantes depuis plusieurs années, sans être en mesure de signer des traités internationaux. Si les bombardements et les combats ont significativement diminué en Syrie, Amnesty International continue de dénoncer les violations des droits infligées aux réfugié·e·s de retour par les agents du renseignement syriens, qui jugent leurs départs lors du conflit comme une marque d’opposition au régime [2]. Le soutien de l’UE dans ce contexte vient légitimer les pratiques du Liban, accusé de refouler les réfugié·e·s vers la Syrie, et par la même occasion laisse envisager que le pays puisse désormais être considéré comme « sûr » avec la mise en place de programmes de « retours volontaires ». Ce, alors même que la Syrie est toujours la proie de groupes armés et d’organisations terroristes, générant dans le pays tout entier une situation de grave insécurité.
Tunisie
- Le Monde, « En Tunisie, la répression s’accentue sur les migrants subsahariens et les associations qui les soutiennent », le 8 mai 2024
Le 3 mai 2024, les autorités tunisiennes ont démantelé les camps de réfugié·e·s installés devant le siège de l’OIM et du HCR à Tunis. Environ 80 personnes ont été arrêtées durant les opérations et une centaine d’entre elles auraient été expulsées du pays. Les autorités ont également renforcé la répression des associations de la société civile et plusieurs représentant·e·s d’organisations de défense des droits ont été arrêté·e·s dans le cadre d’une vaste campagne de dissuasion des personnes solidaires.
Les rafles et expulsions de ces derniers jours s’inscrivent dans un contexte plus large de « chasse aux migrant·e·s » [3] originaires d’Afrique subsaharienne menés par les autorités tunisiennes depuis février 2023 – date du discours raciste et xénophobe du président Kaïs Saeïd. Selon l’Organisation des Nations unies, depuis le début de l’année 2024, moins de 8 000 exilé·e·s ont réussi à rallier les côtes européennes depuis la Tunisie, soit trois fois moins qu’en 2023 [4]. Depuis la conclusion d’un protocole d’entente entre la Tunisie et l’Union européenne en juillet 2023, les migrant·e·s se retrouvent bloqué·e·s en Tunisie dans des conditions qui se sont nettement dégradées. Cet arrangement participe donc à accentuer la répression envers les personnes exilées et à légitimer les dérives autoritaires du président tunisien [5]. Par ailleurs, dans un discours contradictoire et hypocrite, les autorités tunisiennes acceptent – tout en s’en défendant – de jouer les garde-frontières de l’UE en échange de financements européens, alors que la société civile manifestant son opposition à cette politique raciste et attentatoire aux droits est accusée d’être sous l’emprise d’intérêts étrangers [6].
Tunisie – Maroc – Mauritanie
- Light House Report, “Desert Dump”, le 21 mai 2024
- Le Monde « Comment des milliers de migrants ont été abandonnés en plein désert avec le soutien de l’Europe », le 21 mai 2024
Une enquête menée par sept médias internationaux révèle que les fonds de l’Union européenne versés dans le cadre du Fonds Fiduciaire d’Urgence pour l’Afrique (FFUE 2015) [7] sont employés par la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie pour entraver le parcours d’exil, présumé vers l’Europe. À travers des opérations de renvois forcés basés sur des logiques racistes, les personnes sont abandonnées sans eau ni nourriture dans des zones frontalières désertes et laissées à la merci des trafiquants d’êtres humains.
Ce n’est pourtant pas la première fois que l’argent de l’Union européenne sert les politiques répressives des régimes autoritaires du Sud global. En février dernier, le média qatari Al-Jazeera dévoilait que l’argent, également versé par l’UE dans le cadre du FFUE avait été utilisé par les autorités sénégalaises pour réprimer les manifestations pro démocratiques suite à l’annonce par le président sortant du report des élections présidentielles [8]. Si la Commission européenne nie sa responsabilité dans ces opérations de refoulement et reconnait « une situation difficile » dans les pays bénéficiaires du FFFUE, le caractère autoritaire des régimes partenaires sert les intérêts de la politique européenne d’externalisation des contrôles migratoires [9]. Bien que conformément aux normes européennes, la Commission soit tenue de réaliser des études d’impact permettant de garantir la protection des droits fondamentaux, les récents protocoles d’entente conclus à la hâte avec la Tunisie et la Mauritanie ne s’encombrent pas de ces garde-fous . Le 12 avril 2024, la médiatrice européenne a annoncé ouvrir une enquête concernant le protocole d’entente (MoU) UE-Tunisie de juillet 2023. Cette enquête vise à remettre en question l’absence d’évaluation du MoU sur les droits fondamentaux, et ce, malgré un premier avertissement concernant les violations de droits qui pourraient intervenir avec la complicité de l’UE dans le cadre de cet accord informel [10].
Royaume-Uni – République d’Irlande
- Le Monde, “Tensions rise between Ireland and the UK over migration”, le 1er mai 2024
Les autorités irlandaises affirment avoir constaté, depuis l’adoption du plan RoyaumeUni/Rwanda (le 22 avril 2024), une augmentation de 80% du nombre de personnes arrivées sans titre de séjour sur leur territoire par la frontière entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord. Le gouvernement irlandais a adopté ce 30 avril, « une mesure d’urgence » afin de renvoyer au Royaume-Uni les demandeur·euse·s d’asile arrivé·e·s par le nord. Pour justifier cette disposition, le Premier ministre irlandais a déclaré : « Il n’est pas question que l’Irlande offre une échappatoire aux défis migratoires d’un autre pays ».
A la suite du Brexit, les gouvernements irlandais et britanniques avaient convenu en 2020 de reconduire un accord bilatéral contenant des dispositions semblables à celles du règlement européen de Dublin quant au « transfert » des demandeurs de protection vers le premier pays d’arrivée, responsable de l’examen de la demande d’asile [11]. Mais il semblerait que la pandémie du Covid 19 ait mis à mal l’application de cet accord bilatéral [12]. De plus, en mars 2024, la Haute Cour irlandaise a jugé que le Royaume-Uni n’était pas un « pays sûr » au regard du droit d’asile, puisque les demandeurs d’asile refoulés risquaient d’être expulsés vers le Rwanda, qui ne figure pas sur la liste des pays jugés comme sûrs par l’Irlande [13]. Le gouvernement britannique a quant à lui d’ores et déjà annoncé qu’il ne reprendrait pas les demandeurs d’asile renvoyés par la république irlandaise [14]. La récente mesure d’urgence irlandaise fait écho à la situation britannique, qui en votant la loi « Safety of Rwanda » (25 avril 2024), a contourné la décision du 15 novembre 2023 de la Cour suprême britannique, qui reconnaît le plan Rwanda comme illégal [15]. Les deux gouvernements semblent donc s’affranchir des décisions des juridictions suprêmes et du respect des droits humains pour entraver le droit à la mobilité, y compris des personnes en quête de protection.
Belgique
- La Libre, « Frontex, la puissante agence européenne, doit redorer une image écornée et une réputation salie », le 3 mai 2024
Le parlement belge a adopté, le 3 mai 2024, une loi permettant le déploiement de Frontex à l’échelle nationale. Désormais, l’agence de garde-frontières et de garde-côtes européens, conjointement avec la police belge, pourra mener durablement des opérations de contrôle aux frontières terrestres, maritimes et aériennes nationales. Le déploiement d’un contingent de 100 agents permettra également leur intervention dans les opérations d’expulsion des ressortissant·e·s étranger·ère·s.
C’est la première fois qu’une législation nationale permet à Frontex d’intervenir de manière permanente dans un État qui n’est pas situé aux frontières extérieures de l’Union européenne. En permettant le déploiement du bras armé de la politique sécuritaire de l’UE en matière migratoire, le parlement belge déclare une véritable traque aux migrant·e·s. Le déploiement de Frontex sur le sol et aux frontières belges contribue à diluer les responsabilités en cas de violation(s) des droits. La société civile alerte sur les dangers d’une telle disposition pour le respect des droits des personnes migrantes, alors que l’agence européenne est régulièrement épinglée pour sa participation à ou complicité dans des pratiques illégales et violentes [16]. Si les dirigeants belges assurent que des dispositions sont prises pour éviter de tels manquements aux droits, les associations regrettent que le projet de loi ne fasse en aucun cas « mention de la responsabilité civile des agents de Frontex en cas de dommages causés à des personnes ou à des institutions pendant leurs missions » [17]. L’opacité et l’irresponsabilité juridique dont jouit Frontex crée une réelle difficulté de contrôle de l’agence par les institutions européennes, ce qui laisse penser qu’il en sera de même à l’échelle nationale belge, permettant à Frontex de continuer à agir en toute impunité.
Finlande
- Info migrants, « La Finlande présente son projet de loi pour bloquer l’arrivée de migrants depuis la Russie », le 22 mai 2024
Le nouveau texte de loi proposé par le gouvernement finlandais vise à autoriser le refoulement des personnes migrantes arrivées depuis sa frontière avec la Russie. Selon le Premier ministre, cette nouvelle disposition permettrait de « contrer la pression exercée sur la Finlande » par la Russie. Le texte prévoit également que la Finlande puisse suspendre l’enregistrement des demandes d’asile pendant un mois maximum.
Sous couvert d’« instrumentalisation de la migration » et de l’entrée d’environ 1 000 personnes exilées sur le territoire finlandais – dans un pays qui compte plus de cinq millions d’habitants – le gouvernement tente de légaliser des mesures contraires au droit international. Bien que la Convention de Genève de 1951 consacre le principe de non-refoulement dans son article 33, de plus en plus d’États européens pratiquent des refoulements à leurs frontières en toute illégalité – comme la France– alors que d’autres (la Pologne, la Lituanie ou encore l’Espagne) légifèrent au niveau national afin de pouvoir y avoir recours. Pourtant, le Conseil de l’Europe a maintes fois (2022, 2023) dénoncé les refoulements européens, et le HCR s’en est ému en 2022 [18]. Dans une décision du 21 septembre 2023, c’est la Cour de justice de l’Union européenne qui a rappelé l’obligation des États européens à se conformer à la directive européenne « retour » [19], qui permet aux personnes s’étant vu refuser l’accès au territoire de bénéficier avant leur renvoi effectif d’un droit de recours et d’une aide juridictionnelle.
Espagne
- El Diario, « Instrucción policial para identificar mafiosos y terroristas en una patera : lugar donde se sientan y tipo de cicatrices », le 7 mai 2024
Le média El Diario s’est procuré un protocole interne, diffusé aux différents services par la Direction générale de la police espagnole, qui vise à encadrer l’action lors d’opérations d’interception des embarcations de migrant·e·s qui arrivent sur les côtes espagnoles. Ce protocole a pour but d’encadrer l’intervention policière en vue de pouvoir « distinguer migrants et membres de la mafia/terroristes ».
Selon le média El Dario, il est indiqué dans le protocole « que les routes de la Méditerranée et de l’Atlantique continuent d’être des couloirs d’immigration irrégulière qui affectent » l’Espagne. Ledit document viserait davantage à criminaliser les personnes exilées qu’à favoriser une approche « humaniste » afin de les protéger des réseaux criminels – principe généralement avancé. e par les institutions européennes dans la lutte contre le trafic d’êtres humains. L’amalgame entre migration et terrorisme établie par les autorités espagnoles contribue à nier le besoin de protection des personnes qui arrivent régulièrement sur les îles Canaries ou par la route de la Méditerranée, alors même que les politiques anti-migratoires accentuent la vulnérabilité des personnes migrantes. En entravant et en criminalisant la circulation des personnes étrangères, les politiques européennes renforcent le rôle des mafias dans le parcours migratoire, et l’externalisation des contrôles migratoires a contribué à modifier les acteurs de la migration.
Grèce
- Al Jazeera,“Greece court dismisses charges against nine Egyptians over Pylos shipwreck”, le 21 mai 2024
- Le courrier des Balkans, « Naufrage de Pylos en Grèce : le procès politique de neuf migrants « boucs-émissaires », le 20 mai 2024
Le 18 mai, la Cour de justice grecque s’est déclarée incompétente dans l’affaire du naufrage de Pylos survenu le 14 juin 2023 [20], abandonnant les charges contre les neuf personnes accusées d’être les « passeurs » à l’origine du drame du 14 juin 2023. Un procès compromis, avant même le début des audiences, puisque les investigations sur la responsabilité des autorités grecques dans le naufrage n’étaient pas encore closes, remettant en cause le droit à un procès équitable pour les neuf accusés.
Bien qu’acquittées des chefs d’accusation d’« entrée illégale » et « activités de passeur », les neuf personnes ont quand même été placées en détention le temps que leur demande d’asile soit examinée [21]. Si les charges contre les accusés ont été levées, les survivants accompagnés par la société civile ont porté plainte contre les garde-côtes grecs, les accusant d’avoir participé au chavirement de l’embarcation [22]. Cependant, l’enquête est actuellement au point mort. En 2022, les garde-côtes helléniques ont pourtant déjà été condamnés par la Cour européenne des droits de l’Homme pour leurs implications dans un naufrage survenu en 2014 au large de l’île de Farmakonisi [23]. Un « procès politique » donc qui s’inscrit dans une large campagne grecque de criminalisation des migrants sous couvert de lutte contre le trafic d’être humain. En 2022, 1 374 personnes exilées ont été accusées par les autorités grecques d’avoir conduit un bateau ou une voiture pour franchir une frontière européenne. Selon Borderline Europe, ces personnes font face à une violation systématique de leurs droits lors de procès inéquitables qui participent davantage à fermer les frontières qu’à protéger les personnes migrantes du trafic d’êtres humains [24]. Ainsi, les migrant·e·s se heurtent à une justice à géométrie variable qui s’empresse de condamner les personnes présumées « passeurs », mais qui peine à reconnaître la responsabilité des institutions européennes, qui les utilisent comme boucs émissaires [25].
Italie
- Infomigrants, “Italy extends state of emergency over migrant arrivals”, le 30 mai 2025
Le 28 mai 2024, l’« État d’urgence migratoire » annoncé le 11 avril dernier par le gouvernement italien a été promulgué au Journal officiel national. Cette mesure exceptionnelle vient prolonger, pour une durée de six mois, le premier État d’urgence déclaré en avril 2023 [26]. Selon le gouvernement, cette mesure serait « nécessaire pour faire face à de nouvelles situations critiques éventuelles » alors que le nombre d’arrivée sur les côtes italiennes a diminué depuis le début de l’année [27].
Bien que l’Italie, depuis 2021, soit redevenue la première porte d’entrée vers l’Europe, [28] elle n’en est pas moins la destination finale numéro un. Selon les déclarations de l’ARCI à InfoMigrants, la prolongation de l’État d’urgence « permet au gouvernement de sauter des procédures et de justifier le manque de stratégie et de planification ». Une mesure qui semble donc devenir « quasi permanente » et qui constitue davantage un effet d’annonce qu’une réponse à un phénomène structurel. En 2011, le gouvernement de Salvini avait également déclaré l’État d’urgence après l’augmentation du nombre d’arrivées provoquée par les révolutions issues des printemps arabes [29]. La Hongrie, ou encorel’Autricheont eux aussi eu recours à ce type de mesure ces dernières années. L’utilisation de l’État d’urgence dans la gestion des mouvements migratoires érode l’État de droit et contribue à alimenter les discours qui présentent le phénomène migratoire comme une menace pour les pays européens. Si dans certains pays l’objectif de contrôle des migrations via l’État d’urgence est clairement affiché, en France, il est subtilement détourné pour pratiquer davantage de contrôles et restreindre les droits des personnes étrangères [30].