Revue de presse avril 2024

Maroc

Mercredi 10 avril, une centaine de migrant·e·s d’origine subsaharienne a tenté d’escalader la clôture qui sépare l’enclave espagnole de Ceuta et le Maroc. Les autorités marocaines ont empêché les personnes de se diriger vers l’enclave et ont alerté les forces de l’ordre espagnoles qui ont mis en échec les tentatives de franchissement. Les autorités ont assuré qu’aucune entrée sur le territoire espagnol n’avait été enregistrée à cette occasion, et ce, même si 12 personnes ont réussi à escalader la clôture.

La coopération policière entre le Maroc et l’Espagne, en vigueur depuis 1991, rend les tentatives de passage par les enclaves de Ceuta et Melilla extrêmement dangereuses et est à l’origine de plusieurs drames. Le 24 juin 2022, la répression brutale des autorités aussi bien marocaines qu’espagnoles a causé la mort d’au moins 27 personnes qui tentaient de franchir la clôture de l’enclave de Melilla [1]. Les logiques discriminantes et racialisantes de contrôle qui sont à l’œuvre aux frontières maroco-espagnoles établissent une hiérarchie des possibles dans les tentatives de passage. Ainsi, afin de maintenir les personnes originaires d’Afrique subsaharienne éloignées des zones frontalières, les autorités marocaines procèdent de manière autoritaire et indépendamment du statut juridique, à des rafles et des déplacements forcés vers le sud du Maroc [2]. Contrairement aux personnes originaires d’Afrique du Nord et d’Asie qui peuvent éventuellement se présenter aux postes frontaliers avec des documents falsifiés, ou bien tenter le passage à la nage depuis les plages marocaines jouxtant l’enclave, les exilés racisés noirs n’ont d’autre choix que d’escalader les barrières.

Rwanda

Le parlement britannique a adopté, le 23 avril, le projet de loi Safety of Rwanda (« sûreté du Rwanda ») lui permettant d’externaliser les demandes d’asile et ainsi d’expulser au Rwanda des personnes dont la demande d’asile n’a pas été jugée recevable, car arrivées de manière dite irrégulière (en-dehors des postes frontières habilités) ou « par des moyens dangereux ou inutiles en provenance de pays sûrs » [3]. Ce pays d’Afrique de l’Est accueille déjà un « mécanisme de transit d’urgence », cofinancé par l’Union européenne, permettant d’évacuer, dans un camp du HCR, des demandeur·euse·s d’asile qui se trouvaient en détresse en Lybie. Cette fois, les sollicitant·e·s seront accueilli·e·s dans des hôtels de la capitale.

Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty, a déclaré dans un communiqué que « l’adoption du Safety of Rwanda Bill par le Parlement britannique soulève des questions majeures concernant les droits de l’homme des demandeur·euse·s d’asile et l’État de droit en général » [4]. Déjà, en novembre 2023, la Cour suprême britannique avait jugé le partenariat Royaume-Uni/Rwanda illégal, estimant que les garanties pour le respect des droits des réfugié·e·s n’étaient pas suffisantes. Pourtant, si le gouvernement a contourné les conclusions de la Cour suprême en signant avec Kigali en décembre 2023 un traité qui garantit la sûreté du pays pour les réfugié·e·s [5], le respect des droits fondamentaux par le gouvernement rwandais est largement à remettre en question. En 2023, Amnesty Internationalet Human Right Watchont documenté un recul des droits fondamentaux au Rwanda et une forte répression des opposants politiques, mettant en lumière le peu de considération du gouvernement britannique et rwandais pour le respect des conventions internationales, ainsi que des droits humains.

Réforme du code frontières Schengen

Le 24 avril 2024, les eurodéputé·e·s ont adopté la réforme du Code frontières Schengen. Désormais, les pays européens pourront se soustraire à leurs responsabilités en termes d’asile, ou encore réintroduire des contrôles aux frontières internes pour une période de deux ans renouvelables lorsqu’ils estiment faire face à une situation d’« instrumentalisation » ou lorsque, selon l’article, une « partie tierce faciliterait l’entrée des migrant·e·s irrégulier·e·s sur le territoire de l’UE ».

Selon les associations de la société civile, cette nouvelle réforme représente un réel danger pour les droits fondamentaux des personnes exilées. Outre le risque de généralisation du profilage racial et des refoulements internes, la réforme du Code frontières Schengen introduit le concept d’« instrumentalisation » qui, sur une simple allégation, permettrait aux États membres de l’UE de déroger aux dispositions prévues par les conventions internationales/européennes concernant le droit d’asile [6]. Pourtant, le conflit ukrainien nous a démontré que l’Union européenne disposait déjà des outils législatifs permettant de faire face, dans le respect des droits et de la dignité humaine, à un « afflux massif de personnes déplacées » (cf. directive « Protection temporaire »). En sanctionnant les personnes, et non les États dits tiers, qui « tenteraient de déstabiliser les États européens en manipulant les mouvements migratoires », l’Union européenne accentue la vulnérabilité des personnes migrantes, déjà déshumanisées par un marchandage politique et diplomatique. De plus, ce concept permettrait aux États membres de criminaliser davantage les ONG et associations de défense des droits qui pourraient, elles aussi, être accusées de manipuler les personnes en migration pour « déstabiliser » l’Union européenne.

Nouveau Pacte européen migration et asile

Le 10 avril 2024, le Parlement européen a adopté le Pacte migration et asile. Un paquet législatif qui constitue, selon l’article, « un durcissement de la politique européenne en matière d’asile et de migration » et qui entrera en vigueur en 2026. Avec ce pacte, l’UE renforce les contrôles aux frontières extérieures et le système de « filtrage » déjà en place. Par ailleurs, elle étend la notion de « pays tiers sûr », qui permet aux pays membres de déclarer irrecevable la demande d’asile d’une personne qui aurait transité par un pays tiers à l’Union européenne – considéré comme sûr – en la redirigeant vers ce pays.

Proposé par la Commission européenne en 2020, ce nouveau Pacte a pour but de répondre, à travers un programme supposé « équilibré et humain », à l’échec du précédent pacte mis en place à la suite de la crise de l’accueil au sein de l’UE en 2015. Le premier « mécanisme de solidarité » prévu par l’UE entre 2015 et 2017, source de tensions entre les États membres, s’est en effet révélé un échec cuisant, [7] et a démontré un manque de volonté politique de la part des États membres. Ce nouveau Pacte s’inscrit dans la continuité des politiques anti-migratoires déjà mises en place au sein de l’Union européenne depuis 1990. S’il est présenté comme tentant de répondre au déficit de solidarité - dans l’accueil - entre les États, les mesures proposées sont pourtant « usées, nuisibles et inefficaces » [8], en plus d’être « fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement et des expulsions des personnes en migration » [9].

Chypre

Selon les autorités chypriotes, plus de 2 000 personnes, majoritairement de nationalité syrienne, seraient arrivées sur l’île par la mer durant les trois premiers mois de l’année, alors qu’elles étaient seulement 78 sur la même période en 2023. Chypre a appelé l’UE à intensifier sa coopération avec le Liban pour « endiguer » les départs. Selon l’article, le président chypriote, M.Christodoulines, a menacé de remettre en question les aides déjà allouées au Liban pour la gestion des migrations si les arrivées ne se tarissaient pas.

Après avoir conclu récemment des partenariats avec la Tunisie, l’Égypte et la Mauritanie, la Commission européenne, pressée par Chypre, pourrait signer un nouvel « accord » avec le Liban. Depuis 2006, le pays est partie prenante de la Politique européenne de voisinage (PEV). En 2016, à la suite de la crise syrienne, un Pacte UE-Liban a été conclu, érigeant la question migratoire en priorité. Ce pacte prévoit un financement de 400 millions d’euros contre l’engagement du Liban à notamment « faciliter le séjour temporaire des réfugié·e·s syrien·ne·s » [10]. Face à l’instabilité politique du Liban et aux fortes difficultés économiques du pays, l’UE pourrait négocier en échange d’une aide économique, un protocole d’entente sur la base de celui conclu avec l’Égypte [11] et la Tunisie [12]. Alors que la situation dans la région fait craindre des mouvements de ressortissant·e·s palestinien·ne·s, le Liban pourrait avoir à prendre en charge l’accueil des réfugié·e·s et la responsabilité des contrôles migratoires afin de « contenir » les mouvements migratoires vers l’UE. Ce pays, qui a accueilli un million de réfugié·e·s au début de la guerre civile en Syrie en 2011 (soit ¼ de sa population), ne peut garantir un accueil digne sur son territoire, et ce, dans un contexte hostile aux réfugié·e·s syrien·ne·s, qui sont rendu·e·s responsables de la crise économique et politique libanaise. Par ailleurs, malgré les risques encourus par les ressortissant·e·s syrien·ne·s, les autorités libanaises continuent d’expulser vers la Syrie [13].

Après une augmentation des arrivées de demandeur·eu·s syrien·ne·s à Chypre en avril, les autorités ont annoncé, le 14 avril 2024, suspendre le traitement des demandes d’asile des ressortissant·e·s syrien·ne·s (sur le territoire ? à la frontière ?). Le Président Christodoulidès a déclaré : « Il s’agit d’une mesure d’urgence, d’une décision difficile à prendre pour protéger les intérêts de Chypre. ». Le gouvernement chypriote appelle l’UE à reconsidérer le statut de la Syrie, qu’il souhaiterait voir qualifié de « pays sûr ».

En novembre 2021, Chypre avait déjà demandé à la Commission européenne la possibilité de suspendre le traitement des demandes d’asile sur son territoire. Une requête, restée lettre morte, qui s’était néanmoins soldée par la signature d’un protocole d’entente (MoU) entre Chypre et l’UE [14]. Cette fois, Chypre n’a pas attendu l’aval de la Commission et a décidé de se soustraire, sciemment, à ses obligations internationales, alors que la partie nord de l’île est signataire de la Convention de Genève. En mars 2020, par un décret législatif d’urgence, la Grèce a, elle aussi - en dehors de tout cadre légal suspendu, pour un mois, l’enregistrement des demandes d’asile des réfugié·e·s arrivé·e·s par la Turquie autorisant, de fait, le refoulement des personnes entrées sur le territoire durant cette période. Selon un rapport [15] de Refugee Support Aegean, ce décret a mené à « une politique de détention généralisée », via laquelle les personnes ont été détenues dans des lieux de manière arbitraire et dans des conditions inhumaines. Si ces mesures sont pour le moment illégales, elles pourraient se voir légalisées via le « mécanisme de crise » prévu par le Pacte européen asile et migration. Celui-ci prévoit en effet une disposition particulière en cas de « situation exceptionnelle d’afflux massif de ressortissants de pays tiers », qui permet la suspension de l’enregistrement du droit d’asile durant un mois.

Grèce

L’île de Gavdos a vu le nombre de personnes arrivées sur son territoire à bord d’embarcations de fortune augmenter depuis le début de l’année. Cette île, située au sud de la Crète, se trouve à 300 kilomètres de la ville libyenne de Tobrouk, point de départ des embarcations. L’île ne disposant d’aucune structure de réception des personnes migrantes, la municipalité a sollicité l’aide financière d’Athènes pour pouvoir gérer les personnes exilées.

Si les médias et les autorités locales semblent craindre l’ouverture d’une nouvelle route migratoire, ce n’est pas la première fois que des naufragé·e·s sont débarqué·e·s en Crète, ou qu’il y a des départs depuis Tobrouk. Déjà en novembre 2022, 500 personnes étaient arrivées au sud-ouest de l’île [16]. Depuis 2016, des embarcations partent depuis l’est de la Libye pour tenter de rallier les côtes italiennes. La route de la Méditerranée centrale en direction de la Crète, majoritairement empruntée par des ressortissant·e·s égyptien·ne·s et syrien·ne·s, semble constituer une alternative à une route beaucoup plus contrôlée et plus longue vers l’Italie. Dans l’est de la Lybie, les interceptions en mer par les garde-côtes libyens sont moins fréquentes que dans l’ouest du pays [17]. De fait, la région étant aux mains du général Haftar, le protocole d’entente conclu en 2017 entre l’Italie – soutenue par l’UE – et le gouvernement de Tripoli qui vise à coopérer pour l’interception des exilé·e·s qui tentent de traverser la Méditerranée, ne concerne que l’ouest du pays.

L’organisme indépendant de surveillance des données grecques a condamné le ministère grec de l’Immigration à une amende de 175 000 euros pour violation des normes prévues par le règlement général sur la protection des données (RGPD) dans les camps de migrant·e·s. Après avoir été interpellée par le HCR et la commission LIBE, l’instance grecque a procédé à l’examen des systèmes de gestion numérique et le contrôle des entrées et sorties des camps. Les autorités grecques disposent d’un délai de trois mois pour se mettre en conformité.

Cette condamnation remet en question la protection des données accumulées par les systèmes de sécurité ultras sophistiqués dans les nouveaux camps de réfugié·e·s. En 2021, dans une dynamique de renforcement de « l’approche hotspot », l’UE a annoncé la construction de cinq nouveaux camps sur les îles de la mer Égée. La décision du « Data Protection Authority » vise les systèmes de surveillance des camps mis en place par les autorités grecques, Hypérion et Centaure, qui s’appuient sur l’intelligence artificielle pour contrôler ces espaces. Outre, la violation des normes européennes relatives à la protection des données engendrée par l’installation de ces systèmes, les financements européens alloués à leur création sont également pointés du doigt pour leur manque de transparence. En septembre 2021, le média Balkan Insight, révélait que ces deux programmes auraient été en partie financés par l’instrument du FRR (Facilité pour la reprise et la résilience) lancé par l’UE après la pandémie de Covid-19 dans le cadre du plan de relance « Next Génération UE » [18]. En plus de constituer une phase test dans la mise en place de technologies de surveillance destinées à s’appliquer par la suite à une population plus large, l’installation de systèmes de surveillance de haute technologie appliqués à la gestion des camps peut avoir un impact direct sur l’accès aux droits des personnes [19]. Bien souvent, les migrant·e·s n’ont pas la possibilité de contrôler l’utilisation ou la conservation des données collectées dans le cadre du contrôle des mobilités.

Espagne

  • El país, « Defensa construirá un refugio temporal para inmigrantes en la isla de Alborán », le 16 avril 2024
  • Info migrants, « Espagne : bientôt un centre d’hébergement pour migrants sur l’îlot d’Alboran », le 17 avril 2024
    Le Conseil des ministres espagnol a approuvé, à la demande du ministère de la Défense, la construction d’un « Centre de Séjour Temporaire pour les Immigrés » (CETI) [20] sur l’île d’Alboran, située en mer Méditerranée. D’une valeur estimée à 1, 3 millions d’euros, la construction de ce camp est censée répondre, selon le gouvernement, aux arrivées d’embarcations sur l’île, et améliorer les conditions d’accueil et d’assistance des migrant·e·s.

Le gouvernement n’a cependant pas donné plus de détails sur les garanties concernant le respect des droits des personnes dans ce nouveau camp. Les doutes sur les délais de détention et les inquiétudes quant à l’accès effectif à une assistance juridique subsistent, alors que seule une poignée de militaires résident sur l’île. L’Association pour les droits de l’Homme en Andalousie (APDHA) a exprimé sa préoccupation face au peu d’information délivrée par les autorités. Selon elle, ’l’objectif réel de ce projet est directement lié à la détention des migrants transitant par la route du Levante, qui a connu une augmentation après les accords d’externalisation des frontières signés avec le Maroc’ [21]. Deux CETI sont déjà présents à Ceuta et Melilla pour entraver et freiner le passage par la route de la Méditerranée. Ce projet semble vouloir répliquer les modèles des deux enclaves espagnoles, où « bien que pouvant circuler en dehors du centre la journée, c’est la ville entière [de Ceuta/Melilla] qui constitue une sorte de centre de rétention pour ces personnes » [22]. En l’absence de réglementation sur la durée de séjour en CETI et sur les modalités de transfert vers la péninsule, la détention insulaire sur l’îlot d’Albodoran permettrait donc aux autorités de renvoyer plus facilement les personnes jugées « indésirables », invisibilisant ainsi les personnes migrantes y étant détenues, et le régime d’exception qui leur est appliqué.

Italie

Le 19 avril, les 20 membres d’équipage de trois navires civils de recherche et de sauvetage des ONG Jugend Rettet, Save the Children et Médecin sans frontières, accusés d’avoir aidé et encouragé l’immigration dite irrégulière en mer Méditerranée, ont été acquittés par la justice italienne. Après cinq ans de procès, les charges ont été levées, faute de preuve. Le chef d’accusation principal reposait sur une supposée collusion entre les trafiquants libyens et les ONG de sauvetage et de recherche pour géolocaliser les embarcations de migrant·e·s et faciliter leur parcours vers l’Europe.

Régulièrement, les ONG de sauvetage en mer sont assimilées aux activités de trafic d’êtres humains et accusées d’« encourager l’immigration irrégulière » à destination de l’UE. Or, en 2019, Eugenio Cusumano et Matteo Villa [23], ont démontré que les opérations de sauvetage en mer n’étaient en aucun cas corrélées aux nombres de traversées en mer. Cette affaire illustre les campagnes de délégitimation et de criminalisation dont sont victimes les associations de la société civile qui aident les personnes exilées. Selon Picum, entre janvier et décembre 2023, au moins 117 personnes auraient été poursuivies dans l’Union européenne pour avoir fait preuve de solidarité avec les migrant·e·s [24]. Tandis que les États européens entravent et criminalisent les sauvetages en mer de la société civile, qui ne font que pallier les renoncements étatiques en la matière. Ainsi les États se déresponsabilisent et font « porter la responsabilité de la violence du régime des frontières sur les personnes exilées ellesmêmes, leurs familles et quiconque facilite leur mobilité » [25].