Revue de presse février 2024
Mauritanie
- The Guardian, “EU leaders unveil €210m Mauritania deal in bid to curb people-smuggling”, le 08 février 2024
- Euractiv, « L’UE octroie 2010 millions d’euros à la Mauritanie pour lutter contre l’immigration clandestine » , le 9 février 2024
L’UE a annoncé le 8 février lors d’un déplacement en Mauritanie, un partenariat accompagné d’une enveloppe de 210 millions d’euros pour soutenir le développement économique du pays, renforcer la sécurité, ainsi que la coopération concernant la « gestion » des mouvements migratoires transitant par la Mauritanie en direction des îles Canaries. Ce partenariat, présenté comme permettant à la Mauritanie de « sécuriser » ses frontières avec le Mali, devrait contribuer à accroître la coopération concernant la gestion des frontières.
L’externalisation des politiques migratoires était déjà effective en Mauritanie avec le partenariat entre l’Espagne et la Mauritanie, entériné en 2003 avec la présence de la Guardia Civil sur le territoire mauritanien afin d’empêcher les départs vers les îles Canaries et de renforcer la surveillance maritime sur les côtes. Cet accord vient donc renforcer la stratégie d’« endiguement » des mouvements migratoires, alors même qu’il n’existe pas de législation effective concernant le droit des étrangers dans le pays qui permette d’assurer la protection des droits des personnes exilées [1]. Ces derniers mois, la Commission européenne intensifie sa politique d’externalisation en multipliant les accords informels de coopération avec les pays dits tiers, comme la Tunisie et l’Égypte [2], encourageant une vision purement utilitariste des migrations, à travers le marchandage.
Maroc
- Enass, « Ammari : « Les disparitions de migrants en forte hausse au Maroc », le 15 février 2024
Le 6 février 2024, des proches de migrant·e·s se sont réunis sur la plage de Saïdia avec pour slogan « Dix ans pour la tragédie de Tarajal, leurs vies est notre lumière, leur destin notre colère », et « Ouvrez les frontières ». Une commémoration annuelle qui se tient en mémoire du 6 février 2014, date à laquelle plus de 200 personnes ont tenté d’entrer dans l’enclave de Ceuta. La réaction violente de la Guardia Civil, qui leur a tiré dessus avec des balles en caoutchouc, a entraîné la mort de plus de 15 personnes sur le sol espagnol et la disparition de dizaines d’autres. L’édition de la commémor’Action de cette année apporte son soutien aux migrant·e·s disparu·e·s en mer ou détenu·e·s en Algérie. Les migrant·e·s qui transitent par l’Algérie peuvent être condamné·e·s à des peines allant de 5 à 10 années de prison. Selon l’Organisation mondiale contre la Torture, « de mars à avril 2023, il y a eu plus de 7 000 expulsions de migrants de l’Algérie vers le Niger » [3], où ils et elles sont abandonné.e.s dans le désert, sans eau ni nourriture. Alarme Phone Sahara, une ONG qui opère dans la région, alerte sur la nature de ces renvois, qui selon elle « font partie d’un scénario plus large de chasse aux migrants, d’expulsions massives […], d’actes de tuerie et de laisser-mourir, dans tous les pays du Nord d’Afrique » [4]
Frontex
- Euractiv, "EU border agency ‘hijacked’ by EU Commission, its former boss says", le 19 février 2024
- Le Monde, « Élections européennes : Fabrice Leggeri, ex-directeur de Frontex, rejoint la liste du Rassemblement national », le 17 février 2024
L’ancien patron de Frontex de 2015 à 2022, Fabbrice Leggeri a annoncé rejoindre la liste du Rassemblement National français pour les prochaines élections européennes. Il a déclaré lors de l’annonce de sa candidature « Je rejoins la liste de Jordan Bardella car je souhaite que la France et l’Europe reprennent le contrôle de leurs frontières. Frontex a été dévoyée par la Commission européenne, il faut lui rendre son rôle de gardes-frontières ».
Cette annonce remet un peu plus en question les activités et la gouvernance de l’agence Frontex, déjà très controversée et qui incarne la militarisation de la politique migratoire de l’Union européenne. L’agence qui est régulièrement accusée de refoulements aux frontières et de non- respect des droits humains à travers des procédures et pratiques racistes et discriminantes continue de jouir d’une grande autonomie et d’un budget en augmentation. L’ancien directeur adjoint avait pourtant déjà fait part de l’incapacité d’« empêcher l’extrême droite d’infiltrer ses rangs » [5]. Cependant, le changement de direction ne permettra pas de réformer l’institution, « car il ne s’agit pas de la responsabilité d’un (seul) homme, mais bien de celle d’un système à l’échelle européenne qui a permis depuis des décennies la multiplication en toute impunité des violations des droits des personnes exilées aux frontières maritimes et terrestres de l’Europe » [6].
Pacte européen Migration et Asile
- Euractiv, « Immigration : les nouvelles règles de l’UE sur les données biométriques affaiblissent la protection des mineurs » , le 20 février 2024
L’enregistrement des mineurs dans la base de données EURODAC devra être réalisé par les garde-frontières à partir de l’âge 6 ans au lieu de 14 ans actuellement. Cette disposition du nouveau Pacte de l’UE sur la migration et l’asile va même jusqu’à autoriser une « coercition proportionnée » pour récolter les données lorsque l’enfant oppose une résistance. Une mesure appuyée par les dirigeants français ou encore néerlandais.
Si EURODAC constitue une base de données biométriques recensant les empreintes digitales et des images faciales des demandeur·se·s d’asile et des ressortissant·e·s des pays non-membres de l’UE, son utilisation, prévue dans le cadre du règlement Dublin III, s’est vue peu à peu élargie. Elle constitue une entrave à la libre circulation et au droit de choisir son lieu de résidence en déposant sa demande d’asile dans le pays souhaité. La biométrie sert le contrôle des frontières et permet ainsi d’identifier et d’immobiliser ou d’expulser les personnes « indésirables », amenant la Commission européenne à encourager l’usage de la force pour récolter ces empreintes [7]. Cette pratique courante se voit aujourd’hui élargie aux mineurs de plus de 6 ans participant à la criminalisation des enfants, une mesure contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. En 2018, les Nations Unies avaient déjà déclaré que « la contrainte exercée sur des enfants pour obtenir des empreintes digitales et des images faciales n’est jamais acceptable » [8].
Réforme Code Schengen
- Le Monde, « Espace Schengen : l’Union européenne trouve un accord pour clarifier le cadre des contrôles aux frontières » , le 07 février 2024
Le 6 février 2024, le Parlement et le Conseil européen ont trouvé un accord sur la réforme du Code Schengen. Ils prévoient notamment la possibilité, à titre exceptionnel, en cas de menace à la sécurité, de rétablir des contrôles aux frontières intérieures pour une durée de 2 ans et avec possibilité de prolongation d’un 1 an. Concernant les frontières extérieures, la réforme prévoit des mesures communes en cas de crise sanitaire et prévoit des réponses face aux tentatives “d’instrumentalisations” des pays dits tiers.
Le nouveau code Schengen vient acter des mesures déjà en vigueur dans de nombreux pays de l’Union européenne : dès 2015, les contrôles aux frontières ont été rétablis au-delà des 6 mois prévus par la loi afin de mieux contrôler les frontières européennes, les justifiant par la menace terroriste et la malnommée “crise migratoire”, aux fins de contenir les personnes jugées « indésirables » sur le territoire européen. Cette réforme vient donc ébranler le principe de libre circulation au sein de l’UE. Des associations dénoncent le risque de « légaliser » les refoulements à l’intérieur de l’espace Schengen, en France [9] ou en Italie : « Par exemple : à la frontière franco-italienne, avec cette nouvelle mesure, toute personne qui se trouve dans la zone frontalière pourra être arrêtée si les autorités françaises soupçonnent que cette personne est en situation irrégulière et venue d’Italie », indique Ulrich Stege, membre de l’ASGI italienne [10].
Bosnie-Herzegovine
- Sarajevo Times, “Bosnia and Herzegovina opened Negotiations on the Cooperation Agreement with FRONTEX”, 12 février 2024
La Bosnie-Herzégovine a débuté des négociations autour d’un accord de coopération avec Frontex. M. Nešić, le ministre de la Sécurité bosnienne a déclaré que l’accord avec Frontex permettrait au pays de renforcer et d’imperméabiliser ses frontières face aux crimes organisés « en cette période dynamique où la migration est une source sérieuse de toutes sortes de risques ».
La Bosnie-Herzégovine restait l’un des seuls pays des Balkans occidentaux qui ne coopérait pas avec l’agence Frontex. Elle avait pourtant été épinglée par l’UE pour sa résistance à aligner sa politique de visa sur celle des vingt-Sept [11]. Cependant, le 15 décembre 2022, l’UE a accordé le statut de pays candidat à l’adhésion à la Bosnie-Herzégovine, permettant la mise en place d’une coopération avec EUROPOL. Ce processus met donc en marche les négociations d’adhésion dans le cadre de la Politique européenne de voisinage, conditionnées à la coopération concernant le contrôle des frontières et des mouvements migratoires.
Royaume-Uni
- Infomigrant, “UN human rights chief warns UK of passing Rwanda asylum law”, le 20 février 2024
Le Haut-Commissaire aux droits humains des Nations Unies, Volker Turk, a alerté sur le projet du Royaume-Uni d’envoyer les demandeur·se·s d’asile au Rwanda, considérant que cela contreviendrait aux principes d’un État de droit, ainsi qu’aux droits fondamentaux des personnes. Ainsi, il invite à reconsidérer le projet de loi visant à déclarer le Rwanda comme « pays tiers sûr », alors même que selon l’article, le gouvernement rwandais a alerté d’une possible « guerre imminente avec ses voisins ».
Le concept de « pays-tiers sûr » est ici instrumentalisé pour servir les politiques d’externalisation européennes et les velléités diplomatiques de pays comme le Rwanda en manque de légitimité [12]. Le projet de loi ayant été jugé illégal en 2023 par la Cour suprême britannique considérant que le Rwanda ne pouvait être considéré comme « sûr » [13], le gouvernement, décidé à rendre effectif ce projet de loi, a demandé que le Rwanda soit reconnu comme « pays tiers sûr » par le biais d’une législation d’urgence. De plus, ce projet de loi visant à dissuader les personnes migrantes de tenter la traversée de la Manche semble peu effectif, leur nombre n’ayant pas diminué depuis [14].
- Politico, “UK inks deal with EU’s Frontex on illegal migration”, le 23 février 2024
- Info Migrants, « Le Royaume-Uni signe un accord avec Frontex pour lutter contre l’immigration irrégulière », le 23 février 2024
Le 23 février 2024, l’agence Frontex et le Royaume-Uni ont signé un accord qui permet de renforcer le renseignement et l’échange d’information, et qui aurait pour but de lutter « plus efficacement contre les réseaux de passeurs ». Cet accord post-Brexit a également pour ambition de développer l’utilisation de nouvelles technologies comme l’usage de drones à la frontière maritime.
Depuis décembre 2021, un avion Frontex survole régulièrement la zone de Calais dans le cadre du mandat de l’agence européenne pour détecter les tentatives de traversées maritimes vers le Royaume-Uni. Une nouvelle étape donc dans la politique ultrasécuritaire de Rishi Sunak qui continue à renforcer la militarisation de la frontière franco-britannique. Des efforts qui se concentrent particulièrement sur la frontière maritime, puisque la traversée en “small boats” devient le mode de passage le plus courant. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni et l’Union européenne continuent de travailler main dans la main pour la mise en place de nouvelles de technologies de pointe « telles que les drones, équipements radars, jumelles optroniques et caméras fixes » [15]. Les personnes exilées sont ainsi bloquées en France où elles sont victimes de harcèlements policiers quotidiens afin d’éviter les « points de fixation » dans la région, par la destruction, toutes les 48h, des campements d’exilé.e.s.
Serbie
- The Guardian, “Videos show migrants stripped of clothing in freezing temperatures at Serbian border”, le 22 février 2024
- Info Migrant, “Serbia police deny beating up migrants at North Macedonia border”, le 23 février 2024
Deux vidéos transmises à The Guardian par une ONG macédonienne, Legis, montrent des migrants « mis à nus » en train d’être refoulés à la frontière entre la Macédoine du Nord et la Serbie. L’ONG affirme que cet incident s’est produit à la suite de deux refoulements « abusifs et dégradants » intervenus en moins de 24h, durant lesquels les autorités serbes ont obligé une cinquantaine de personnes à se dévêtir avant de les renvoyer en Macédoine du Nord. L’ONG déplore également que cet incident survienne peu de temps après un sommet sur la coopération entre l’UE et la Serbie.
La Serbie, pays de la route des Balkans avec lesquels la coopération en matière migratoire s’est vue renforcée depuis 2015, constitue un acteur clé dans la stratégie d’externalisation des politiques migratoires qui cherche à faire du pays une « zone tampon ». Les États des Balkans sont pourtant régulièrement accusés par les ONG de violations des droits, alors que la Serbie, dans le cadre d’une possible adhésion à l’UE, coopère activement en ce qui concerne les contrôles migratoires. Cependant, la législation serbe ne permet pas « aux organisations indépendantes de la société civile d’accéder aux zones frontalières pour y exercer un droit de regard » [16]. Ce qui permet à la Serbie d’agir en toute impunité, alors que, selon l’article d’Infomigrants, le directeur général du centre de protection des demandeurs d’asile en Serbie déplore une très nette hausse des refoulements depuis le début de l’année.
Italie
- Le Monde, « En Italie, le suicide d’Ousmane Sylla, 22 ans, migrant guinéen, rappelle les conditions alarmantes dans les centres de rétention » , le 07 février 2024
Le 4 février, un exilé d’origine guinéenne détenu dans le centre de rétention (CPR) de Ponte Galéria en Italie, a mis fin à ses jours. Il avait laissé un message sur le mur de sa cellule : « Si je meurs, j’aimerais qu’on envoie mon corps en Afrique, ma mère en sera contente. Les militaires italiens ne connaissent rien sauf l’argent. L’Afrique me manque beaucoup et ma mère aussi, elle ne doit pas pleurer pour moi. Paix à mon âme, que je repose en paix ». Le parquet a ouvert une enquête pour incitation au suicide.
Cet événement alerte de nouveau sur les conditions de vie dans les centres de détention administratifs, connus en Italie pour leur insalubrité, les mauvaises conditions d’hygiène, une surpopulation ainsi que l’administration forcée de tranquillisants dans le but de maintenir l’ordre public. Selon l’Organisation contre la Torture en Tunisie, « depuis leur ouverture en Italie, plus de 30 décès ont été enregistrés à l’intérieur de ces structures, tandis que l’incidence des actes d’automutilation est très élevée » [17].
- Ansa.it, “Cassazione, dare i migranti ai guardiacoste di Tripoli è reato”, le 17 février 2024
- Africa news, “Returning sea migrants to Libya is illegal- Italy’s Court of Cassation”, le 19 février 2024
La Cour de cassation italienne a enfin reconnu en 2024 que la Libye n’était pas un « port sûr », dans un arrêt condamnant un remorqueur ayant livré 101 personnes aux garde-côtes libyens après les avoir secourus en Méditerranée. Elle estime que cet acte relève d’un délit illégal d’abandon de personnes en état de danger, et constituerait un refoulement collectif puisque les garde-côtes libyens ne seraient pas en mesure de garantir le respect des droits de l’Homme des personnes rescapées. Les ONG se préparent donc à intenter une action collective contre le protocole d’entente (MoU) Italie- Libye” et le décret Piantedosi.
Cette décision intervient alors que ce décret, entré en vigueur le 3 janvier 2023 enjoint les navires civils de sauvetage et de recherche à débarquer directement après une opération de sauvetage dans un port sûr désigné par les autorités italiennes, souvent très éloigné du lieu d’intervention, sous peine d’amende et d’immobilisation du navire. Un décret qui entrave ainsi l’intervention des navires d’ONG en violation du droit maritime international. Pourtant, l’Italie continue d’intensifier sa coopération avec la Libye, alors que dans un rapport du 23 mars 2022, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU détaille les exactions subies par les migrant·e·s en Libye et les graves violations des droits humains constitutives de crimes contre l’Humanité. MSF a également indiqué en février 2024 que “durant les 8 premiers mois de 2023, plus de 11 000 personnes ont été interceptées et renvoyées en Libye” [18].
Bulgarie
- Le Monde, « Comment l’UE a fermé les yeux sur le refoulement illégal de migrants par la Bulgarie avant son adhésion à Schengen », le 26 février
Le Monde publie une enquête menée par un réseau d’ONG, Balkans Investigate Reporting Network, qui après avoir eu accès à des documents internes de l’agence Frontex, met en lumière des refoulements violents commis par les autorités bulgares à la frontière turque. L’article évoque des « coups de bâton, déshabillage de force, vols d’effets personnels, agressions verbales et blessures graves infligées par des chiens, etc. » documentés par les agents de Frontex. Ces informations, pourtant portées à la connaissance de Bruxelles, n’ont pas empêché la Commission de louer la « bonne gestion » des migrations par la Bulgarie, permettant ainsi d’accélérer l’entrée du pays dans l’espace Schengen malgré les nombreux rapports documentant le non-respect des droits fondamentaux par les garde-côtes bulgares qui ont circulé au sein des institutions européennes.
Le soutien apporté à la Bulgarie par la Commission européenne, concernant la surveillance de la frontière turque, laisse entrevoir sa conception d’une « bonne gestion des migrations ». En exigeant un alignement des pays candidats sur les politiques et les pratiques sécuritaires de l’UE en matière migratoire, elle encourage les violations de droits et les mesures répressives des autorités locales. Le renforcement des contrôles aux frontières qui incombe dès lors à la Serbie, en fait des garde-frontières européens avant l’heure. Si Frontex, dans un contexte de remise en cause de sa légitimité, s’est doté d’un organe de contrôle du respect des droits fondamentaux, le Bureau des droits fondamentaux (FRO), le manque de transparence et la dissimulation des agissements violents et hors du droit des autorités bulgares montrent qu’il ne s’agit que d’un écran de fumé. Le CNCD.11.11.11, déplore que Frontex n’ait pas mis en place un plan d’action annuel pour mettre en œuvre sa stratégie des droits humains. En 2021, l’effectif dédié au FRO était toujours incomplet et le mécanisme de plainte élaboré en 2016 toujours inefficace [19]. Ce qui ne cesse de démontrer l’incompatibilité du mandat de Frontex avec le respect des droits.