Revue de presse mars 2024
Sénégal
- DW,« Sénégal : la migration irrégulière fait encore des victimes », le 1er mars 2024
Mercredi 28 février, au large des côtes sénégalaises, entre 300 et 350 personnes auraient embarqué à bord d’une pirogue qui a chaviré près du port de pécheurs de Saint-Louis faisant plus de 27 morts et 21 blessé.e.s graves. Selon une des personnes rescapées, la pirogue serait partie une semaine auparavant du village de Joal. Une fois arrivé.e.s au large des côtes marocaines, le capitaine aurait annoncé être perdu, entrainant un retour au Sénégal. C’est alors au large du village de Saint Louis, qu’une bousculade aurait éclaté, provoquant le chavirement de l’embarcation.
Déjà le 24 juillet dernier, une pirogue avait chaviré près de Dakar causant la mort d’une vingtaine de personnes. Une route migratoire qui s’est réactivée à la suite du renforcement des contrôles sur les routes du Sahara et des conditions de vie en Libye. Selon le ministère des Affaires étrangères espagnol, 32 029 personnes seraient arrivées via des embarcations sur les îles Canaries en 2023, soit un nombre similaire aux arrivées enregistrées en 2006 [1]. Une voie migratoire pourtant beaucoup moins privilégiée ces dernières années, du fait de la collaboration du Sénégal et de la Mauritanie sur la mise en place de mesures anti-migratoires [2]. Les départs depuis le Sénégal se sont notamment intensifiés en raison de la situation économique des habitant.e.s. Si les raisons du choix migratoire sont diverses, l’accord signé entre le gouvernement sénégalais et l’UE en 2014 participe à paupériser la population de pêcheurs qui est surreprésentée dans les groupes de migrant·e·s qui arrivent aux Canaries. La pêche de masse (des pays européens ou de la Chine) dans la région vient tarir une des premières ressources du pays empêchant les pêcheurs locaux de subvenir à leurs besoins. En entretenant avec le Sénégal, une relation économique et politique asymétrique l’Union européenne, dans le sillage d’une politique néocoloniale, contribue à accroitre la pauvreté aux profits des intérêts des pays riches et des multinationales. L’UE alimente donc le phénomène migratoire alors même qu’elle tente vainement de l’endiguer.
Mauritanie
- Europapress, “ La UE y Mauritania firman una alianza para garantizar la cooperación operativa frente a la migración”, le 7 mars 2024
Le 8 mars, l’Union européenne et la Mauritanie ont signé une déclaration conjointe non contraignante qui marque la volonté d’élaborer une déclaration commune et un plan d’action en matière migratoire. Parmi les mesures visant à « lutter contre le trafic illicite de migrants », la déclaration prévoit un renforcement de la coopération opérationnelle, notamment par l’intensification des relations avec Frontex dans la formation des autorités nationales, ou encore une coopération accrue en matière de réadmission des citoyen·ne·s mauritanien.ne.s en situation dite irrégulière dans l’UE.
Le mois dernier, 210 millions d’euros avaient déjà été débloqués par la Commission européenne pour renforcer le partenariat3. Si depuis 2022, une coopération bilatérale avec l’Espagne pour un partenariat opérationnel est déjà à l’œuvre, l’UE cherche à verrouiller davantage la route des Canaries avec un pays pourtant accusé de violations des droits des migrant·e·s [3]. Cette déclaration conjointe intervient en amont de l’établissement d’un accord sur le statut entre la Mauritanie et l’UE, actuellement en préparation, et qui permettrait le déploiement de Frontex sur le sol mauritanien. Cependant, depuis septembre 2022, Frontex est déjà présent dans le pays avec l’ouverture, dans le cadre de la communauté de renseignement entre Frontex et les pays d’Afrique (AFIC), d’une cellule d’analyse des risques à Nouakchott qui est chargée de collecter des données sur la « criminalité transfrontalière ». Les forces d’opposition mauritaniennes ont néanmoins critiqué l’accord avec l’UE, craignant que la Mauritanie devienne « la décharge de l’UE », voire même que le pays soit « l’esclave » de l’Union [4].
Égypte
- Le monde, « L’UE offre à l’Égypte une aide économique contre un meilleur contrôle des migrants », le 16 mars 2024
La déclaration commune de l’UE et de l’Égypte pour un « partenariat global » est sur le point d’être parafée. D’après le Times, le financement de l’UE accordé à l’Égypte s’élèverait à 7,4 milliards d’euros dont 1 milliard décaissé selon une procédure d’urgence, alors que 2,4 milliards concernent les énergies renouvelables et la migration. Ce fonds s’inscrit dans le renforcement du contrôle migratoire par la sécurisation des frontières avec la Libye et le Soudan, et permettra de financer des bateaux de surveillance des côtes, bien que les départs depuis les côtes égyptiennes soient peu courants.
Le mois dernier, l’ONG, Sinaï Fondation for Human Right, a révélé la construction d’une zone de sécurité dans le Sinaï, à la frontière avec Gaza, en préparation d’une possible offensive d’Israël sur Rafah. En parallèle, Frontex se prépare à fournir un soutien à la frontière avec Gazadans l’éventualité d’un mouvement de population. Il semblerait donc qu’avec ce nouveau financement, l’UE s’assure de la « bonne » coopération du gouvernement égyptien pour contenir les possibles mouvements de réfugié.e.s palestinien.ne.s vers l’Europe. Les ONG dénoncent cependant une forte détérioration des droits humains dans le pays depuis l’arrivée au pouvoir du président Al-Sissi entrainant la criminalisation et la répression des personnes migrantes. Selon Migreurop, la nature autoritaire des régimes avec lesquels l’UE entretient des partenariats est caractéristique de la stratégie européenne d’externalisation des contrôles migratoires [5]. Ces « accords » ne sont donc pas sans rappeler les récents partenariats avec la Tunisie et la Mauritanie, deux pays peu soucieux du respect des droits humains.
Tunisie
- Jeune Afrique, « L’aide à la Tunisie vire à la polémique européenne », le 14 mars 2024
Alors que la Commission européenne a débloqué 150 millions d’euros dans le cadre du protocole d’entente (Mémorandum of Understanding) UE-Tunisie, les eurodéputé·e·s déplorent le fait que le Parlement européen soit court-circuité dans cette procédure. Ils et elles dénoncent le nonrespect des normes imposées par l’établissement d’un tel mémorandum, qui a permis le décaissement de la totalité de la somme annoncée sans le conditionner au respect des droits fondamentaux par la Tunisie. En ce sens, une résolution a été adoptée ce 14 mars 2024, et remet en cause les mesures d’urgence prises par la Commission, qui permettent de contourner les étapes de la procédure d’adoption du texte.
Le 21 février 2023, soit quasiment un an auparavant, le président tunisien Kaïs Saïed prononçait publiquement un discours xénophobe et raciste. Selon les organisations de la société civile, ce discours a encouragé les exactions anti-migrant.e.s, et a accordé « un blanc-seing aux graves violences exercées à l’encontre des personnes exilées » [6]. Malgré le virage autoritaire du pays, la Commission européenne a poursuivi sa coopération avec la Tunisie et a conclu le 16 juillet 2023 un protocole d’entente reconnaissant par conséquent le pays comme « sûr » pour les migrant·e·s. Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a pourtant dénoncé des rafles, des violences, des arrestations, ainsi que des expulsions illégales à l’encontre des populations d’origine subsaharienne [7]. L’UE, par cet arrangement, ferme donc les yeux sur les dérives autoritaires du pays, et s’en rend complice en soutenant financièrement la Tunisie. Ce type d’accords entérinent l’externalisation des
Eu-Lisa
- Mediapart,« À Strasbourg, l’Europe intensifie discrètement le fichage des migrants », le 5 mars 2024
L’agence Eu-Lisa, qui s’occupe de développer les bases de données de l’Union européenne, s’apprête à lancer la refonte de ses systèmes d’information, qui devraient être opérationnels en 2026. L’agence qui, selon la directrice, a pour rôle de remplacer les « frontières physiques par des frontières numériques » travaille en partie pour permettre d’accroitre le nombre d’informations biométriques stockées dans le fichier Eurodac [8]. Désormais, photos, nom, prénom, date et lieu de naissance des demandeur·euse·s d’asile seront enregistrés dès l’arrivée dans l’espace Schengen, avec une durée de conservation des données qui s’étendra sur cinq ans contre 18 mois aujourd’hui. L’agence travaille également à ce que les sept bases de données de l’UE [9] puissent fonctionner ensemble afin de mieux tracer et contrôler le parcours des ressortissant·e·s des pays dits tiers dans l’espace Schengen.
La refonte du système d’Eurodac, permettrait par exemple de retracer plus précisément le parcours d’un demandeur·euse d’asile au sein de l’UE afin de rendre son installation secondaire (i-e dans un État autre que celui de première entrée) pratiquement impossible. Si ce système de surveillance contrevient au respect de la vie privée des personnes en facilitant le traçage des parcours, l’interopérabilité des bases de données européennes vient quant à elle renforcer le filtrage et le tri des citoyen·ne·s des pays du Sud, tout en simplifiant encore plus les déplacements des citoyen.ne.s du Nord. Statewatch, aux côtés d’autres ONG, dénonce un détournement d’Eurodac - destiné à appuyer le règlement Dublin -, en « une arme contre les migrant·e·s ». Le développement des nouvelles technologies et notamment des systèmes de surveillance via l’utilisation des bases de données pourrait venir renforcer la violence subie aux frontières extérieures de l’UE par les personnes du Sud global11.
Royaume-Uni
- Info Migrants, « Manche : traversées record depuis le début de l’année », le 5 mars 2024
- Euractiv, « UK e UE studiano un accordo per impedire l’importazione di imbarcazioni utilizzate per le traversate dei migranti », le 5 mars 2024
À la suite de l’arrivée dans le port de Douvres, le 4 mars, de 401 migrant·e·s ayant traversé la Manche, le gouvernement anglais conjointement au gouvernement français, a annoncé, dans la foulée, le lancement de nouvelles discussions pour mettre en place un énième partenariat douanier entre les deux pays. L’objectif : « perturber la chaîne d’approvisionnement » des embarcations utilisées pour la traversée en entravant l’acheminement des composants de bateaux pneumatiques dans les pays participants. Cette initiative aurait été discutée lors de la réunion du « groupe de Calais » [10], qui s’est tenue à Bruxelles le même jour, impliquant des représentant.e.s de France, de Belgique, d’Allemagne et des Pays-Bas, ainsi que de la Commission européenne et des agences Europol et Frontex
Un nouvel accord que l’on pourra ajouter aux 23 autres traités et arrangements qui régissent déjà la coopération franco-britannique dans la gestion de la frontière commune. Impulsée par le RoyaumeUni, cette nouvelle initiative s’inscrit dans la continuité de l’accord signé quelques jours auparavant avec l’agence de garde-côtes Frontex [11]. À défaut de pouvoir rendre effectif le protocole d’accord avec le Rwanda (2022), qui provoque de vives contestations dans le pays, notamment au regard du nonrespect des conventions internationales et du coût qu’il ferait peser sur le contribuable [12], le gouvernement britannique multiplie les entraves à la mobilité, et renforce sa politique de dissuasion à l’égard des exilé.e.s. Depuis l’adoption du « Nationality and Border Act » en juillet 2022, qui a pour but de « détruire le modèle économique des passeurs », et qui permet de condamner à une peine pouvant aller jusqu’à 4 ans d’emprisonnement les personnes arrivées au Royaume-Uni sans titre de séjour, 240 migrant·e·s ont été arrêtés.e.s15. Cette politique punitive criminalise les personnes migrantes alors que selon le Refugee Council 6 personnes sur 10 arrivées de manière dite irrégulière pourraient prétendre au statut de réfugié au Royaume-Uni.
- -Infomigrants, “UK strikes £1M deal with Libya to combat irregular arrivals into Europe”, le 11 mars 2024
Le ministre de l’Intérieur britannique a annoncé la conclusion d’un partenariat avec la Libye, qui viserait à « lutter contre les arrivées irrégulières ». Cette annonce intervient après la visite du ministre à Tripoli, ainsi que de représentant.e.s de l’Union européenne, et de pays membres comme la France et l’Allemagne. Ce financement, d’un million de livres sterling, a vocation, selon le ministre britannique de l’Intérieur, M. Tomlinson, à soutenir les victimes de traite d’êtres humains, et à assister les migrant·e·s qui ont choisi de rentrer dans leurs pays, par le biais du « retour volontaire ».
Alors même que le deal avec le Rwanda, peine à être approuvé, le Royaume-Uni renforce sa politique anti-migratoire en multipliant les accords informels au mépris du respect des droits humains. Si le Royaume-Uni présente ce soutien financier comme un soutien aux personnes victimes de traite, le caractère volontaire des retours dans le contexte libyen interroge. Selon le Haut-Commissariat des droits de l’Homme aux Nations Unies, les migrant.e.s qui transitent par la Libye s’exposent presque systématiquement à des risques de torture, de détention arbitraire, de mauvais traitements, d’esclavage, de travail forcé ou encore à des violences, laissant penser qu’un grand nombre de personnes qui acceptent le retour dit volontaire ont en réalité besoin d’une protection [13]. Face à l’épuisement physique et psychologique, et au verrouillage des frontières européennes, les personnes migrantes sont contraintes de retourner dans leurs pays d’origine où le respect de leurs droits et de la dignité humaine ne peut être garanti, s’exposant à davantage de vulnérabilité.
Suisse
- Le Temps, « Le soutien de la Suisse à la Côte d’Ivoire pour améliorer la gestion de ses frontières », le 18 mars 2024
La Suisse a financé un projet intitulé « Gestion des frontières en Côte d’Ivoire » dont le Centre international pour le développement des politiques migratoires (ICMPD) était chargé de la mise en œuvre. Le 11 mars se sont achevées sept sessions de formation des garde-frontières et des gardecôtes ivoiriens pour lutter « contre la fraude documentaire et à l’identité ». Ce projet fait partie de deux accords signés en novembre 2021 dans le cadre de la coopération migratoire entre les deux pays, et s’ajoute au protocole d’entente – signé la même année – concernant les réadmissions des ressortissant.e.s ivoirien·ne·s en situation dite irrégulière en Suisse. La Côte d’Ivoire a également pu bénéficier d’un appui matériel pour équiper 12 postes-frontières avec détecteurs de faux documents d’identité, ainsi que d’un soutien dans l’élaboration de sa politique nationale de « gestion intégrée des frontières ».
Si la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne, elle profite des politiques anti-migratoires de l’Union du fait de son enclavement géographique et de son adhésion à l’espace Schengen. Selon Amnesty International, la Suisse serait même l’un des pays « qui applique le plus strictement la procédure Dublin ». À travers sa coopération bilatérale avec la Côte d’Ivoire, la Suisse participe pleinement aux processus d’externalisation des politiques migratoires européennes, et mobilise les mêmes acteurs du contrôle migratoire. De surcroît, l’ICMPD, impulsé notamment par la Suisse et l’Autriche, agit en lieu et place de l’UE pour participer à la diffusion de l’approche sécuritaire des politiques migratoires européennes [14]. Or, pour nombre de pays membres de la CEDEAO, la migration dans la région est vue comme positive et répond à des logiques de circulations transfrontalières ancestrales.
Italie
- La Repubblica, “Oltre 60 i migranti morti di fame, sete e ustioni su un gommone partito dalla
Libia : “Inascoltati gli Sos”,le 14 mars 2024
- Courrier international, « Drame. Des dizaines de migrants seraient morts après quatre jours de dérive en Méditerranée », le 14 mars 2024
Le 13 mars 2024, le navire de l’ONG SOS Méditerranée a secouru 25 naufragé·e·s parti·e·s de Libye en direction de l’Italie. 60 personnes seraient décédées durant le voyage. Après 7 jours de dérive, les rescapé·e·s témoignent et déclarent « ne pas avoir reçu d’aide, bien que des avions et des hélicoptères aient survolé leur zodiac ». Malgré l’état de santé physique et moral préoccupant des personnes de l’’Ocean Viking, le Sea-Eye 4, le Sea-Eye 5, ainsi que le Humanity 1, quatre navires de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée appartenant à des ONG, ont été détenus par les autorités italiennes durant ces dernières semaines empêchant des opérations civiles de sauvetage en mer. Dans un communiqué conjoint du 23 février 2023, des ONG engagées dans le sauvetage et la recherche en Méditerranée centrale dénoncent une violation des droits par les autorités italiennes, et déclarent que « ce jeu politique aggrave le déficit de sauvetage et a des conséquences désastreuses, rendant la Méditerranée centrale – qui est déjà l’une des routes migratoires les plus meurtrières au monde – encore plus périlleuse » [15]. Ces campagnes de criminalisation visent à entraver les opérations de sauvetage des ONG - qui constituent “des acteurs et des témoins gênants” dans la coopération entre l’UE et les garde-côtes libyens [16] - ont pour unique conséquence de renforcer la politique migratoire mortifère de l’Union européenne et de ses États membres.
- Alter Economia,“Protocollo Italia-Albania : il Viminale avvia la gara milionaria per la gestione dei centri”, le 22 mars 2024
À la suite de la validation par le Parlement italien du protocole d’entente Italie-Albanie en février 2024 permettant l’externalisation de la détention des personnes migrantes et des demandeur·euse·s d’asile, l’Italie a publié des appels d’offres pour la gestion de camps sur le sol albanais. Un contrat de 34 millions d’euros par an est prévu pour la mise en place de deux hotspots et un centre de rétention par un gestionnaire privé. Ces structures visent à recevoir les personnes migrantes secourues par des opérations de sauvetage en mer et devraient être opérationnelles à partir de mai 2024.
Selon Amnesty International, ce protocole d’accord présente d’ores et déjà des risques pour « le droit à la vie et à l’intégrité physique des personnes en détresse en mer, ainsi que le droit à la liberté, le droit de demander l’asile et le droit d’être traité sans discrimination » [17]. Alors que selon l’article, le contrat qui s’élève à 34 millions ne comprend que les frais de subsistance et le personnel des structures, Amnesty estime à 100 millions d’euros par an le montant total de cet « accord ». Outre le coût exorbitant de cette mesure, la gestion des camps par des acteurs privés constitue une menace pour les droits des personnes migrantes. La mise en concurrence sur le marché des acteurs privés via cet appel d’offres aura nécessairement un impact sur les conditions de vie au sein des camps, « la course à la réduction des coûts et à la maximisation des profits » contribuera à détériorer davantage la qualité de vie et les services présents dans les centres de détention [18], déjà indigne. Ainsi, la privatisation de la gestion des camps permet de diluer, voire d’invisibiliser, les responsabilités en cas de violations des droits.
Allemagne
- Euractiv, “German Federal States demand progress on outsourcing asylum applications to third countries”, le 07 mars 2024
Le 6 mars, lors d’une réunion du Chancelier avec les représentant·e·s des Länder, ces dernier·e·s ont enjoint le gouvernement fédéral à conclure des arrangements avec les pays dits tiers pour externaliser l’examen des demandes d’asile afin, selon eux, de « décourager l’immigration irrégulière » (!), instrumentalisatisant ce faisant l’asile à des fins de contrôles migratoires. Si le gouvernement a rejeté les propositions consistant à suivre les modèles italiens et britanniques, il s’est engagé à interroger la légalité de l’externalisation du traitement de la demande d’asile. Le 20 juin, le gouvernement allemand devra présenter sa proposition.
Bien que l’Allemagne ait accueilli 500 000 personnes lors de la crise de l’accueil de 2015, ce pays a également participé activement au renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne [19].En parallèle d’une hospitalité affichée, le pays a néanmoins entretenu une approche sécuritaire envers les personnes exilées. Il se pourrait donc que l’Allemagne suive finalement l’exemple du Royaume-Uni et de l’Italie dans la mise en place de l’externalisation de l’asile, vieille lubie des pays européens, pourtant contraire au droit international. Si le plan Royaume-Uni/Rwanda est remis en cause tant par les institutions nationales qu’internationales, et qu’il est pour le moment suspendu, le protocole d’accord Italie-Albanie a quant à lui été validé par les institutions italiennes. Le Danemark, qui avait voté en juin 2021 une loi permettant l’externalisation du traitement de la demande d’asile, a de son côté été contraint de faire marche arrière, faute de conformité avec les traités internationaux [20]. Pourtant, le modèle séduit de plus en plus, marquant la consécration d’une Europe verrouillée, aux dépens de l’effectivité du droit d’asile. Le Parti populaire européen, lors de sa campagne pour les élections européennes 2024, a annoncé qu’il souhaiterait revoir le droit d’asile afin de pouvoir concrétiser ce modèle externalisé, cette fois à l’échelle européenne [21].
France
- Le Monde, « Dans la Manche, les techniques agressives de la police pour empêcher les traversées de migrants », le 23 mars 2024
Selon une enquête du journal le Monde, en collaboration avec le collectif de journalistes Lighthouse Report, du journal britannique The Observer, et de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, les forces de l’ordre françaises continueraient d’effectuer des interceptions de « small boats » en mer. Une pratique pourtant interdite depuis 2018. L’enquête documente diverses interventions en pleine mer, en vue notamment de crever les canots pneumatiques, mettant ainsi en danger la vie des personnes exilées qui tentent de rallier le Royaume-Uni.
Depuis 2018, les traversées par « small boat » n’ont de cesse d’être privilégiées par les personnes exilées. Pour répondre aux pressions et exigences du Royaume-Uni, la France multiplie les atteintes à la vie et à la dignité des personnes exilée et tente de rendre le territoire français toujours plus hostile. Les personnes secourues en mer sont bien souvent livrées à elles-mêmes, sans soutien psychologique ni solution d’hébergement, contraintes de rentrer à pied et encore trempées dans les campements qu’elles occupent [22]. Selon, Pierre Bonnevale, politologue, « à mesure que la frontière est sécurisée et que les pouvoirs publics déploient de nouvelles technologies pour surveiller la Manche et donc compter, on observe un accroissement net des passages via des small boats » [23]. Malgré l’inefficacité - au regard de l’objectif affiché - des politiques de dissuasion en matière migratoire, qui perdurent depuis les années 90 à la frontière franco-britannique, les gouvernements français et britanniques s’échinent à mettre en danger les personnes exilées via des politiques sécuritaires et mortifères. Au début du mois de mars, le Président français a reçu le Premier ministre britannique pour une sempiternelle discussion autour de l’« immigration irrégulière ». Une rencontre qui s’est soldée par une aide de 500 millions d’euros du Royaume-Uni à la France afin de militariser et de renforcer davantage la frontière [24]… Encore une fois…