Revue de presse décembre 2024
Libye
- InfoMigrants, « Méditerranée : près de 21 000 migrants interceptés par les gardes-côtes libyens, régulièrement accusés de violences », le 4 décembre 2024
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en 2024, 20 839 personnes exilées ont été interceptées en mer Méditerranée et refoulées vers la Libye alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Italie. Ces refoulements ont été opérés par les autorités libyennes, fréquemment accusées de graves violations des droits des exilé·e·s. Amnesty International a notamment dénoncé les gardes-côtes libyens pour des pratiques telles que la détention arbitraire, la torture, des conditions de détention cruelles et inhumaines, ainsi que de violences sexuelles, d’extorsion de fonds, de travail forcé et d’homicides illégaux [1].
Depuis 2017, année de la signature d’un accord entre l’Italie et la Libye visant à financer les autorités libyennes pour intercepter les exilé·e·s tentant de traverser la mer en direction de l’Italie [2], la Libye est devenue un partenaire central dans la stratégie d’externalisation des politiques migratoires de l’Union européenne, jouant le rôle de garde-frontières du continent européen. L’Union européenne se rend complice des exactions commises par les gardes-côtes libyens en renforçant et renouvelant ses partenariats avec la Libye. En février 2023, malgré le chaos persistant dans le pays et les violations des droits humains largement documentées par les ONG [3], le protocole d’entente (MoU) signé en 2017 entre la Libye et l’Italie a été reconduit, inchangé, pour une troisième fois, et ce pour une durée de trois ans [4].
Niger
- Le Monde, « Niger : arrestation à Niamey d’une figure de la société civile », le 4 décembre 2024
Moussa Tiangari, figure de la société civile et responsable de l’ONG nigérienne membre de Migreurop « Alternative espaces citoyens », a été enlevé à son domicile par des personnes armées en tenue civile le 3 décembre 2024. 48 heures plus tard, il a été retrouvé placé en garde-à-vue au Service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière organisée de Niamey. Il est accusé de « apologie du terrorisme, atteinte à la sûreté de l’État et association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme ».
Tiangari est depuis plusieurs décennies un fervent défenseur des droits humains qui œuvre pour la démocratie, le développement socio-économique des populations surtout les plus démunies. Son arrestation est symptomatique d’une criminalisation accrue des ONG et des acteurs de la solidarité, une tendance qui a pris de l’ampleur après le coup d’État ayant renversé le gouvernement nigérien en août 2023 [5]. Cette tendance ne se limite pas à l’Afrique. Elle s’est également manifestée en France, comme en témoignent les enquêtes pénales menées contre Utopia 56 depuis novembre 2024 [6]. Les autorités publiques ont recours à divers instruments répressifs pour contrôler l’aide apportée aux étrangers en situation irrégulière sur leur territoire : condamnations pour aide à l’entrée, pressions exercées sur les militants sur le terrain, ou encore pénalisation de l’aide au séjour irrégulier, entre autres [7].
Syrie
- InfoMigrants, « Après la chute d’Assad, la France et d’autres pays de l’UE suspendent les demandes d’asile des Syriens », le 9 décembre 2024
La fuite de Bachar al-Assad de Syrie le 8 décembre 2024, à la suite de l’offensive des groupes rebelles, a marqué la fin du régime dictatorial qui dominait le pays depuis un demi-siècle. Bien que l’avenir politique de la Syrie demeure incertain, plusieurs pays européens ont déjà annoncé leur intention de restreindre l’accès au droit d’asile pour les exilé·e·s syrien·ne·s, ainsi que de procéder à des expulsions massives. La Norvège, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Autriche, ainsi que l’Allemagne — pays qui accueille actuellement le plus grand nombre de Syriens en exil — ont suspendu l’examen des demandes d’asile en cours concernant les ressortissant·e·s syrien·ne·s. La France, entre autres, envisage de prendre des mesures similaires.
Face à cette situation, Amnesty International rappelle que la Convention de Genève de 1951 – à laquelle tous ces pays sont signataires - oblige les États à examiner individuellement chaque demande d’asile déposée sur leur territoire [8]. Ces mesures collectives et restrictives placent donc les États européens en violation flagrante de leurs obligations internationales. En outre, les justifications de ces décisions apparaissent incohérentes, car la chute du régime dictatorial ne fait pas de la Syrie un pays sûr. Le pays reste profondément instable, fragmenté entre divers groupes armés, ce qui augure la persistance des conflits et de graves incertitudes pour la sécurité de ses habitants [9]. Par ailleurs, la montée au pouvoir du nouveau dirigeant Ahmed Al-Charaa, un ancien djihadiste, alimente les craintes concernant le respect des droits humains, notamment ceux des femmes et des personnes issues de minorités [10].
Espagne
- Euronews,« Plus de 10 000 migrants sont morts en mer en tentant d’atteindre l’Espagne en 2024 (ONG) », le 26 décembre 2024
Un rapport de l’association espagnole de défense des droits des migrant·e·s Caminando Fronteras a recensé un total de 10 457 personnes exilées décédées en mer en 2024 alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Espagne. Ce bilan marque une augmentation de 58 % par rapport au chiffre enregistré l’année précédente.
Les raisons avancées par l’ONG pour expliquer ces décès en mer sont l’absence d’assistance aux personnes en détresse, l’externalisation des frontières et des missions de sauvetage, ainsi que la priorité systématique accordée au contrôle migratoire au détriment du droit à la vie - toutes conséquences directes des choix politiques opérés par les gouvernements européens. Plus de 90 % des décès sont survenus sur la route Atlantique, particulièrement périlleuse. Cette dangerosité s’explique par le durcissement des contrôles migratoires, conséquence des arrangements conclus entre l’Union européenne et les pays d’Afrique de l’Ouest, ainsi que par le déploiement des agents de Frontex dans cette zone [11]. Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (Maroc, Mauritanie, Sénégal) se rendent complices dans ce « système frontalier européen ». En entravant volontairement les départs, ces États poussent font reculer le point d’embarcation toujours plus en amont sur le continent africain, rendant les traversées encore plus dangereuses [12].
France
- Le Monde, « La France tente de promouvoir les « retours volontaires » en Côte d’Ivoire », le 12 décembre 2024
La France cherche à promouvoir les expulsions qualifiées de « volontaires » des personnes ivoiriennes dépourvues de titre de séjour. À cette fin, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a ouvert des bureaux à Abidjan en novembre 2024. Ce choix n’est pas anodin, la Côte d’Ivoire étant le sixième pays d’origine des personnes déposant des demandes d’asile en France. Le but et la nature de ce dispositif sont clairement assumés : le directeur général de l’OFII a affirmé que « l’objectif pour la France est de faire baisser l’immigration irrégulière et d’augmenter les retours volontaires, même si le retour volontaire n’exclut pas le retour contraint ».
Ce dispositif s’inscrit dans la lignée des efforts du gouvernement français visant à renvoyer un maximum de migrant·e·s extra-européen·ne·s, conformément au durcissement des politiques migratoires sous le gouvernement démissionnaire. Présenté comme une initiative « volontaire » offrant une « seconde chance aux migrants », ce programme masque en réalité une stratégie coercitive exploitant la vulnérabilité des personnes exilées [13]. Victimes d’un système qui réduit leurs chances de réussite en raison de leur pays d’origine et de l’accès limité à la régularisation, ces migrant·e·s se retrouvent souvent en situation de précarité extrême. Cette précarité les pousse à accepter des retours qualifiés de « volontaires », qui ne sont bien souvent qu’un dernier recours face à l’absence d’alternatives viables.
Italie/Albanie
- Il Post, « Il governo non si è liberato dei giudici che hanno ostacolato il trattenimento dei migranti in Albania », le 29 décembre 2024
Le recours introduit par le gouvernement italien contre la décision des juges de la section immigration du tribunal de Rome, qui avaient refusé de valider l’enfermement des migrants arrivés en octobre 2024 dans des camps en Albanie, a finalement reçu une réponse. Le 19 décembre, la Cour suprême de cassation d’Italie a confirmé que ces juges avaient agi de manière légitime en refusant de valider la rétention des migrants [14]. Ils avaient procédé à une évaluation au cas par cas, au lieu de s’appuyer uniquement sur la liste des pays sûrs établie par le gouvernement, laquelle incluait les pays d’origine de ces personnes, mais ne respectait pas les normes du droit européen [15].
Bien que cette décision constitue un nouvel obstacle au protocole dit « Italie-Albanie », la question des transferts reste en suspens. Le gouvernement italien attend toujours la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par le tribunal de Bologne en novembre 2024 afin de se prononcer sur la conformité des critères utilisés par l’Italie pour désigner un pays comme « sûr » au regard de la législation européenne [16]. Si cette conformité devait être validée, cela pourrait ouvrir la voie à une reprise des transferts, tout en limitant la possibilité pour les juges italiens d’invalider les rétentions. Par ailleurs, la Première ministre italienne a déjà exprimé sa volonté de relancer les transferts de migrants vers l’Albanie dès janvier 2025, « coûte que coûte », et ce malgré l’échec des deux premières tentatives [17].
Grèce
- InfoMigrants, « Grèce : huit morts dans un naufrage au large de Rhodes », le 20 décembre 2024
- Efsyn, « Θανατηφόρα « επιχείρηση αποτροπής » », le 21 décembre 2024
Le 20 décembre 2024, huit personnes exilées ont perdu la vie lors du chavirement d’une embarcation de fortune à neuf kilomètres de l’île grecque de Rhodes. Présenté comme un naufrage « accidentel » par les autorités grecques, l’incident a été causé par la collision de la vedette de patrouille des garde-côtes avec le bateau des migrant·e·s, qui se serait produite lors d’une « opération de dissuasion ». Dix-huit exilé·e·s, dont certains blessé·e·s, ont pu être secouru·e·s.
Ces « opérations de dissuasion » ne sont qu’un euphémisme employé pour désigner des pratiques assimilables à des refoulements, qui sont régulièrement signalées dans les eaux territoriales grecques [18]. En 2024, outre des chavirements survenus lors des interventions des garde-côtes, des migrant·e·s ont également perdu la vie sous les coups de feu tirés par les autorités [19]. Le vice-président du groupe du Parlement européen Left a souligné que ces événements, loin d’être des « tragédies » isolées, s’inscrivent dans une politique de forteresse Europe qui fait primer le contrôle des frontières sur la protection des vies humaines [20]. La Grèce a déjà été condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui protège le droit à la vie, lors du naufrage survenu le 20 janvier 2014 près de Farmakonisi et qui a coûté la vie à onze personnes exilées [21].
Pologne
- Le Monde, « La Commission européenne autorise la Pologne à suspendre le droit d’asile en cas d’« instrumentalisation » des migrants », le 11 décembre 2024
À la suite de l’annonce faite par le président polonais de la nouvelle stratégie migratoire de la Pologne pour la période 2020-2025, qui prévoir une suspension temporaire du droit d’asile sous prétexte d’une supposée « menace à la sécurité nationale » émanant de la Russie et de la Biélorussie, la Commission européenne a officiellement approuvé cette mesure le mercredi 11 novembre. Elle a ainsi validé la possibilité de restreindre de manière exceptionnelle l’exercice des droits fondamentaux des personnes migrantes, notamment le droit d’asile, en cas d’« instrumentalisation des migrants aux frontières de l’Union européenne », notamment par la Russie et la Biélorussie.
L’aval de l’UE à cette décision de la Pologne est symptomatique de la tendance de l’Europe forteresse à se verrouiller progressivement au détriment des droits fondamentaux des personnes exilées, une tendance déjà confirmée lors des dernières années à travers l’adoption du Pacte européen sur la migration et l’asile et de la réforme du Code Schengen. Cette suspension du droit d’asile autorise de facto les refoulements, une pratique explicitement interdite par la Convention de Genève de 1951, à laquelle tous les États membres de l’UE sont signataires. L’UE, pourtant porte-étendard des droits de l’Homme à l’échelle internationale, démontre à travers cet aval qu’elle privilégie la sécurisation de ses frontières au détriment des droits des exilé·e·s.
Royaume-Uni
- The Guardian,« Labour government discussed Tanzania asylum camp plan in 2004, files show », le 31 décembre 2024
Des documents récemment rendus publics révèlent que le gouvernement travailliste a proposé en 2004 l’ouverture d’un camp d’exilé·e·s en Tanzanie. Ce projet prévoyait de détourner deux millions de livres – initialement allouées à la prévention des conflits en Afrique – pour financer des camps où des exilé·e·s somalien·ne·s, en quête de protection internationale, auraient été enfermé·e·s en attendant que leur demande d’asile soit traitée par le Royaume-Uni. Face à l’opposition en Tanzanie et aux critiques émanant de l’Union européenne, ce plan a été abandonné.
Ces révélations montrent encore que l’idée d’externaliser le traitement des demandes d’asile, récemment matérialisée par le protocole « Italie-Albanie », n’est pas une nouveauté. Bien que ce projet ait été rejeté par l’UE en 2004, en 2024, la Commission européenne a qualifié la délocalisation des procédures d’asile vers des pays non européens de « solution innovante » [22], après que quinze États membres aient exprimé leur souhait de recourir à cette stratégie pour gérer les migrations. Par ailleurs, le Pacte européen sur la migration et l’asile pourrait normaliser cette pratique en généralisant le concept de « pays tiers sûrs » [23] dès sa mise en place en 2026. Les gouvernements travaillistes n’ont pas changé de cap. En dépit de l’opposition apparente de l’actuel Premier ministre britannique à l’externalisation des politiques migratoires, comme en témoigne l’abandon de la politique d’expulsion vers le Rwanda proposée par l’ancien gouvernement conservateur [24], ce dernier a exprimé publiquement son intérêt pour le protocole « Italie-Albanie », louant les politiques migratoires adoptées par l’actuel gouvernement italien [25].
Serbie
- InfoMigrants, « La Serbie va recevoir 14 millions d’euros de l’UE pour renforcer ses frontières », le 6 décembre 2024
L’Union européenne a annoncé une enveloppe de 14 millions d’euros destinée à la Serbie pour renforcer les contrôles à ses frontières. Ces fonds seront destinés à des « équipements spéciaux » destinés à augmenter l’efficacité des contrôles frontaliers. Cette aide s’ajoute aux millions d’euros déjà octroyés par l’UE aux Balkans occidentaux au cours des dernières années : entre 2021 et 2024, l’Union a augmenté de 60 % ses financements en faveur des pays de cette région afin d’endiguer les mouvements migratoires.
Ces fonds contribueront à consolider le rôle de garde-frontières que la Serbie joue pour l’UE, un rôle accru depuis la signature en juin 2024 d’un accord de coopération qui autorise le déploiement permanent d’agents de Frontex sur le territoire serbe [26]. Les dirigeant·e·s européen·ne·s continuent à instrumentaliser le processus d’adhésion des pays des Balkans occidentaux à des fins de contrôle des frontières en conditionnant leur adhésion à leur coopération en matière migratoire [27]. Les autorités frontalières serbes ont été accusées à plusieurs reprises par des organisations de la société civile de refoulements et de pratiques violentes et dégradantes envers les migrant·e·s [28]. Compte tenu de ces accusations, le renforcement des capacités des garde-frontières serbes risque une ultérieure mise en danger les droits des personnes exilées.
Commission européenne
- InfoMigrants,« New EU migration policies expected to get even tougher in 2025 », le 3 décembre 2024
- Politico, « EU to propose new migration rules in latest rightward shift », le 2 décembre 2024
De nouvelles propositions législatives visant à renforcer le Pacte européen sur la migration et l’asile sont attendues en 2025 de la part de la Commission européenne. Ce renforcement du Pacte se présente comme une priorité, dans le contexte du virage à droite de la Commission après les élections parlementaires de juin 2024, auquel s’ajoutent les pressions exercées par certains États membres, notamment la Hongrie et la Pologne, pour durcir les politiques migratoires. Les nouvelles règles devraient encadrer les droits et obligations des personnes exilées ayant vu leur demande d’asile rejetée. Les propositions actuelles prévoient de restreindre la liberté de mouvement de ces personnes, en les obligeant à se rendre dans des camps de migrants. La Commission met également l’accent sur la négociation avec des pays non-membres de l’UE afin qu’ils acceptent l’expulsion des exilé·e·s ayant séjourné dans leurs pays avant de rejoindre l’Europe.
L’enfermement des personnes refusées au droit d’asile en Europe viole leurs droits fondamentaux, en les confiant à des camps pour migrants alors qu’elles n’ont commis aucun crime, pour le simple fait qu’elles sont sans titre de séjour. Cette pratique risque également de mettre leur bien-être en péril, compte tenu des conditions inhumaines de ces camps, dénoncées par des ONGs dans plusieurs pays européens [29]. En outre, le Pacte européen sur la migration et l’asile, qui entrera en vigueur en 2026, facilitera l’expulsion vers des pays dits « sûrs », même lorsque ces pays ne sont pas ceux d’origine des exilé·e·s, à travers la généralisation du concept de « pays tiers sûr » [30]. Cela permettrait aux États européens de contourner leurs obligations internationales en renvoyant les exilé·e·s vers un pays tiers, à partir du moment où un lien, même minime, est établi. Cependant, les pays avec lesquels l’UE négocie ces expulsions, comme la Turquie et la Tunisie, ont été régulièrement accusés de refoulement et de traitements inhumains envers les exilés [31].