Revue de presse septembre 2024

 Algérie

 

Depuis le mois de janvier 2024, près de 20 000 exilé·e·s en provenance de pays subsahariens ont été refoulé·e·s par l’Algérie. Ce chiffre est lié à l’augmentation du nombre de migrant·e·s arrivant en Algérie à la suite de l’abrogation en décembre 2023 de la loi 2015-036 relative au ’trafic illicite de migrants’ au Niger. Cette loi, adoptée en 2015 dans un contexte de pression croissante de l’Europe pour réduire les mouvements migratoires vers le continent européen [1], contraignait les personnes souhaitant quitter ou transitant par le Niger à emprunter des routes à travers le désert, plus dangereuses. L’abrogation de cette loi a permis aux exilé·e·s de se déplacer à nouveau librement dans la sous-région [2]. Néanmoins, iels restent confronté·e·s aux pratiques brutales des autorités algériennes. À la suite des refoulements, les exilé·e·s arrivent à Assamaka, premier village après la frontière, souvent après avoir parcouru 15 kilomètres à pied dans le désert. Une fois sur place, iels doivent faire face aux conditions précaires du centre de transit de l’OIM, qui n’assure la prise en charge que d’un tiers des exilé·e·s refoulé·e·s [3].

Le nombre de migrant·e·s refoulé·e·s au Maghreb a augmenté à la suite du renforcement de la coopération entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye en avril 2024, visant à « lutter contre l’immigration clandestine » [4]. Alors que le Niger s’est défait de sa législation issue de l’externalisation des politiques européennes, les pays du Maghreb continuent a accepter et perpétuer cette externalisation. Dans le cas de l’Algérie, bien qu’aucun accord formel sur la gestion des mouvements migratoires n’existe avec l’UE, les États membres de l’Union influencent ses pratiques à travers des financements ponctuels. Ainsi, la dernière grande opération de retours dits « volontaires » depuis l’Algérie, qui a eu lieu le 15 août 2024, aurait été encadrée par l’Organisation Internationale pour les Migrations et financée par le ministère français des Affaires étrangères [5]. Les refoulements de migrants de l’Algérie vers le Niger remontent à plusieurs années et s’inscrivent dans le cadre d’une gestion sécuritaire des mouvements migratoires en Afrique du Nord. Depuis 2014, année de la supposée signature d’un accord migratoire entre l’Algérie et le Niger, les autorités algériennes ont régulièrement procédé à des refoulements de migrant·e·s provenant de pays subsahariens [6].

 Maroc

 

Le 15 septembre 2024, les autorités marocaines ont refoulé plusieurs centaines de jeunes, majoritairement marocains, qui tentaient de franchir la frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Ceuta. En réponse aux appels diffusés sur les réseaux sociaux incitant à franchir les grillades frontalières à cette date, un important dispositif de sécurité a été déployé autour de l’enclave à titre préventif. Soixante personnes ont été arrêtées, accusées d’avoir orchestré ce que les autorités ont qualifié d’« opération massive d’immigration illégale » à Ceuta [7]. En réponse à cette situation, le ministère de l’Intérieur espagnol s’est contenté de faire l’éloge des forces frontalières marocaines pour leur gestion de la situation [8].

Depuis des années, le Maroc joue un rôle de partenaire stratégique pour l’Union européenne, qui sous-traite régulièrement sa gestion des mouvements migratoires en concluant des accords avec le pays maghrébin. Ces accords permettent à l’UE de déléguer ses responsabilités migratoires tout en fermant les yeux sur les abus qui en découlent. Le Maroc est également un interlocuteur privilégié de l’Espagne sur cette question. Depuis la signature de l’accord sur la circulation des personnes en 1992, le Maroc agit comme un « État tampon » entre l’Espagne et le reste de l’Afrique pour contenir les mouvements d’exilé·e·s vers l’Europe [9]. Ceuta et Melilla sont devenues de macabres laboratoires de cette politique d’externalisation, où les droits des personnes exilés sont systématiquement piétinés aux portes de l’Union européenne, à travers des refoulements et des violences perpétrées par les autorités frontalières [10].

 Liban/Chypre

 

Les exilé·e·s syrien·ne·s qui cherchent à échapper à la guerre dans leur pays suivent souvent la même route : quitter la Syrie pour le Liban voisin. Ces personnes se retrouvent bloquées dans un pays qui ne les autorise pas à travailler, et les empêche de se diriger vers l’Europe. Nombre d’entre eux tentent en effet d’atteindre l’île de Chypre, qui a conclu en 2020 un protocole d’entente – jamais publié – avec le Liban « visant à freiner les départs et faciliter les retours des candidats à la migration » [11]. En avril 2024, arguant d’une hausse des arrivées par voie maritime, Chypre a officiellement suspendu le traitement des demandes d’asile des ressortissant·e·s syrien·ne·s [12]. Le mois suivant, un protocole d’entente a été officiellement signé entre l’Union européenne et le Liban, avec un financement européen destiné à renforcer le contrôle des frontières libanaises et enrayer les départs d’exilé·e·s. Le rapport publié par Human Rights Watch (HRW) le 4 septembre 2024 permet de mieux documenter ces pratiques, qui ne sont pas nouvelles, mais qui se poursuivent aujourd’hui grâce aux financements de l’Union européenne. L’UE a versé 16,7 millions d’euros à diverses autorités libanaises entre 2019 et 2023, visant à « renforcer la capacité du Liban à freiner la migration irrégulière ». Cette somme inclue des fonds pour « les forces armées libanaises et d’autres forces de sécurité, avec des équipements et des formations pour la gestion des frontières et la lutte contre la contrebande » [13]. Les témoignages recueillis par HRW dans ce rapport, ajoutés aux données de suivi des avions et des bateaux auxquelles l’organisation a eu accès rendent indéniable la complicité de l’UE dans les violences infligées aux exilé·e·s par les autorités libanaises.

Par ailleurs, Chypre demande depuis 2023 à l’UE de classer certaines parties de la Syrie comme « sûres » pour justifier le non-accueil sur l’île et les nombreux refoulements opérés depuis quelques années [14]. L’ « accord » conclu en mai 2024 « accroît les risques relatifs aux droits humains et sape le système de protection internationale » [15]. HRW insiste sur l’importance de mettre en place des mécanismes indépendants pour surveiller le respect des droits humains, afin de garantir que ces personnes ne soient pas exposées à de nouvelles violations des droits.

 Royaume Uni

 

Le mardi 3 septembre a eu lieu le pire naufrage de l’année 2024 dans la Manche. Un bateau transportant plus de 60 exilé·e·s erythréen·ne·s a coulé entraînant la mort de douze personnes et laissant deux personnes en état critique. À cet évènement s’est ajouté un autre naufrage sur le littoral du Pas-de-Calais le soir du 15 septembre qui a causé la mort de huit personnes [16]. L’année 2024 a été la plus meurtrière dans la Manche [17], avec un total de 43 décès à ce jour. En réaction, le ministre français de l’Intérieur démissionnaire Gérald Darmanin et le nouveau Premier ministre britannique Keith Starmer ont annoncé leur volonté de « donner un nouvel élan » à la collaboration entre leurs pays en matière de politique migratoire. Cependant, cette démarche est loin d’être nouvelle : depuis près de 20 ans, des accords entre les deux nations se renouvellent périodiquement, à travers lesquels le Royaume Uni finance la France pour qu’elle renforce le contrôle de la frontière franco-britannique [18].

Ces accords reflètent une externalisation des politiques migratoires britanniques vers la France, qui, contre rémunération, réprime les migrant·e·s tentant de rejoindre les côtes britanniques à travers des contrôles migratoires racistes et déshumanisants et des expulsions brutales [19]. Le renforcement des contrôles au tunnel sous la Manche et au port de Calais, ainsi que la militarisation des côtes, pousse de plus en plus d’exilé·e·s à risquer leurs vies en tentant de traverser la Manche à bord d’embarcations de fortune [20]. Ce passage en mer est d’autant plus dangereux que des pratiques abusives de la part des autorités françaises aggravent la situation. Le collectif de journalistes Lighthouse Reports a ainsi dénoncé les méthodes illégales et dangereuses utilisées par la police française, telles que percuter des bateaux, les perforer pour forcer les passagers à nager jusqu’à la côte, ou encore menacer les exilé·e·s avec du gaz poivré [21].

 Allemagne

 

Le lundi 9 septembre, le gouvernement allemand a annoncé une réintroduction temporaire des contrôles aux frontières terrestres de l’Allemagne. Cette mesure vise à « lutter contre l’immigration illégale » en augmentant le nombre de non-admissions aux frontières. Elle a été adoptée à la suite de l’attaque au couteau, revendiquée par l’État islamique, survenue le 23 août dans la ville de Solingen, qui a fait trois morts. La dérogation de la liberté de circulation dans l’espace Schengen serait ainsi justifiée par la « protection de la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière ». En ce qui concerne la forme que prendra cette nouvelle mesure, la ministre allemande de l’Intérieur a précisé que les frontières ne seront pas fermées, mais qu’il y aura des « contrôles intelligents » et une surveillance plus rigoureuse des passages par la police.

L’adoption de cette mesure est dangereuse car elle aura pour conséquence une hausse du nombre de non-admissions, mais aussi car elle résulte en un amalgame entre les membres de l’État islamique et les exilé·e·s musulman·ne·s cherchant à rejoindre l’Allemagne, contribuant à la stigmatisation de ces dernier·è·s. De plus, comme il a été constaté après les attentats du 13 novembre 2015 en France, le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières sous prétexte de prévenir des menaces pour la sécurité favorise le profilage racial. Ces contrôles « aléatoires » ont rapidement visé des exilé·e·s et contribué à une hausse des non-admissions à la frontière française [22]. De plus, la réforme du code Schengen approuvée par l’UE en mai dernier prolonge la durée pendant laquelle un État membre peut fermer ses frontières, sous prétexte de « menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure », de six mois à deux ans [23]. Même avant cette réforme, les États membres prolongeaient souvent la fermeture des frontières, parfois en violation des normes de l’Union européenne, comme la France l’a fait périodiquement depuis 2015 [24].

 Italie

 

Le nouveau projet de loi « sécurité » en Italie est à un pas de son adoption définitive : il ne manque que la ratification du Sénat. Inscrit dans la continuité des politiques liberticides du gouvernement Meloni, ce texte modifie le Code pénal en vue d’interdire les manifestations, y compris celles de nature pacifique. En durcissant les sanctions et en créant de nouvelles infractions, ce texte aurait pour conséquence la criminalisation de certains groupes sociaux, notamment les personnes exilées. En effet, les interdictions des manifestations pacifiques s’étendent également aux exilé·e·s enfermé·e·s dans les « CPR » (centri per i rimpatri, centres pré-expulsion). À l’intérieur de ces camps, les exilé·e·s encourront des peines de prison allant de un à cinq ans si trois ou plus d’entre elleux s’engagent dans une « révolte », même si celle-ci prend la forme de résistance passive aux ordres des autorités du camp [25]. De plus, les personnes exilées en situation dite « irrégulière » en- dehors de ces camps ne sont pas épargnées : la loi veut interdire l’achat de cartes SIM à toute personne ne disposant pas d’un permis de séjour en Italie [26].

Si elle est adoptée, cette loi aura des conséquences néfastes pour les personnes exilées. La restriction de l’accès aux cartes SIM les priverait notamment de toute possibilité de contact avec l’extérieur. En outre, les conditions déplorables des camps pour migrant·e·s en Italie sont dénoncées depuis longtemps [27] : enfermement arbitraire, installations insalubres, pratiques violentes, et même l’administration forcée de psychotropes pour sédater les exilé·e·s [28], des faits constatés par de nombreuses ONG. Ce projet de loi aboutirait à l’emprisonnement de tout·e exilé·e qui oserait protester contre ces injustices, ou même simplement refuser la sédation par résistance passive. Ce texte vient s’ajouter aux mesures adoptées en 2023 qui ont élargi le recours à la détention pour des motifs liés à la migration et qui ont débouché sur la détention systématique de personnes en fonction de leur nationalité [29]. La combinaison de ces mesures et du nouveau texte risque de systématiser l’enfermement des migrant·e·s, d’abord dans les camps, puis, s’ils osent résister aux conditions imposées, en prison.

 Pays-Bas

 

La coalition de droite actuellement au pouvoir aux Pays-Bas demande à l’Union européenne une exemption à la politique commune d’asile et de migration. Le gouvernement néerlandais envisage de déclarer une « crise de l’asile » pour une durée de deux ans. Cette déclaration permettrait à la ministre de la Migration d’activer la « Loi d’urgence », qui autorise à contourner la législation migratoire en vigueur, lui conférant ainsi la possibilité de prendre des mesures sans l’approbation du Parlement. Cette initiative vise à réduire le nombre de personnes exilées arrivant sur le territoire néerlandais et à renforcer les contrôles aux frontières. La ministre néerlandaise de l’Asile et de la Migration a affirmé que les Pays-Bas « auront la politique d’asile la plus stricte de l’histoire » [30]. Parmi les mesures proposées par le gouvernement néerlandais figurent la limitation du regroupement familial, les expulsions de personnes dépourvues de permis de séjour, ainsi que la dérogation à la loi actuelle qui organise la répartition des personnes exilées entre les différentes communes.

Ces décisions s’inscrivent dans un contexte déjà préoccupant, caractérisé par les conditions déplorables dans lesquelles se trouvent les exilés aux Pays-Bas. Notamment, l’usage excessif de la violence contre les personnes exilées détenues dans le camp de Hoogeveen [31]. Les conditions néfastes des exilé·e·s aux Pays-Bas ont également été signalées par le Conseil de l’Europe en 2022, qui a dénoncé la violation du droit à la santé des exilé·e·s dans les centres d’accueil néerlandais [32].

 Commission européenne

 

Magnus Brunner, ancien ministre autrichien des Finances, a été nommé nouveau Commissaire en charge des affaires intérieures et du portefeuille des migrations de la Commission européenne, malgré son absence flagrante d’expérience dans le domaine de la migration. L’origine de Brunner et son appartenance politique laissent présager un durcissement des politiques migratoires sous son mandat : l’Autriche adopte depuis longtemps une position stricte sur le contrôle des frontières et une ligne dure en matière de migration [33]. De plus, le Parti populaire européen (PPE), dont il est membre, plaide ouvertement pour un renforcement des contrôles aux frontières de l’UE. Le président du PPE, réagissant à l’élection de son collègue en tant que Commissaire à la migration, a affirmé que « l’arrêt de l’immigration illégale en Europe est une demande essentielle ».

Ce choix est particulièrement néfaste pour la sécurité des personnes exilées, qui devront également affronter les conséquences du Pacte européen sur l’asile et la migration, dont l’entrée en vigueur est prévue à la mi-2026. La combinaison de cette nouvelle législation et la nomination d’un commissaire dont la politique migratoire s’annonce strictement axée sur la réduction des arrivées à tout prix augure des répercussions défavorables pour les personnes exilées dans les années à venir.