Revue de presse novembre 2024

Égypte

Une nouvelle loi a été adoptée par le Parlement égyptien pour encadrer le statut des personnes exilées en quête de protection internationale. Elle dote l’Égypte de son propre cadre juridique pour traiter les demandes d’asile dans ce pays, jusqu’à présent gérées par le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette législation interdit aux personnes ayant le statut de réfugié·e en Égypte de s’engager dans toute activité politique ou partisane et de faire quoi que ce soit qui pourrait « nuire à la sécurité nationale ou à l’ordre public, ou qui contredirait les objectifs et principes de toute organisation à laquelle l’Égypte est partie ». Les exilé·e·s sont également contraint·e·s de « respecter les valeurs et traditions de l’Égypte ». Toute personne qui ne respecte pas ces règles sera forcée à quitter le pays, quelle que soit la situation

Cela contrevient à la Convention de Genève, dont l’Égypte est signataire, plaçant ainsi l’État en violation de ses engagements internationaux. Cette situation est d’autant plus préoccupante en raison de la position géographique de l’Égypte, qui partage des frontières avec la Palestine et le Soudan, tous deux en guerre. L’Égypte a déjà été dénoncée pour son traitement inhumain des personnes exilées. Les autorités égyptiennes sont accusées par la Plateforme des réfugiés en Égypte (RPE) de procéder à des refoulements massifs vers des pays en guerre et d’enfermer des exilé·e·s sur des bases militaires dans un effort systématique de l’État pour empêcher les exilé·e·s d’accéder au droit d’asile [1]. Cette loi vise notamment à enrayer les mouvements migratoires en direction de l’Europe – objectif au cœur du partenariat conclu entre l’UE et l’Égypte en mars 2024 [2], et dans le cadre duquel l’UE a octroyé cinq milliards d’euros à ce pays, se rendant ainsi complice des violations des droits subies in situ par les exilé·e·s.

Maroc

Le 14 novembre 2024, la Cour d’appel de Nador a condamné 14 migrants à dix ans de prison ferme. Ces derniers avaient été arrêtés en 2022 après avoir tenté de franchir la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla. Ils étaient accusés d’« entrée illégale sur le sol marocain  », « désobéissance  » et d’avoir eu « un comportement violent contre des employés chargés d’appliquer la loi  » [3]. Condamnés en juin 2022 à deux ans de prison ferme, leur peine avait été doublée par la Cour d’appel de Nador avant d’être annulée par la Cour de cassation de Rabat, qui a renvoyé l’affaire devant une nouvelle juridiction de la Cour d’appel, qui a, en novembre 2024, aggravé la peine de ces migrants à dix ans de prison ferme. Cette nouvelle condamnation survient alors que les migrants ont déjà purgé trois ans de prison ferme.

Cet acharnement judiciaire envers des exilé·e·s qui ont voulu exercer leur droit à la migration, et dont le seul « crime » est d’avoir tenté de franchir les frontières dépourvus de visa, est une conséquence directe de l’externalisation des politiques migratoires européennes. Le Maroc est depuis des décennies le garde-frontières de l’Espagne, rôle qui s’est encore intensifié ces derniers mois avec la multiplication des poursuites judiciaires pour « incitation à l’immigration clandestine » sur les réseaux sociaux [4]. La criminalisation des personnes migrantes a été facilitée par l’accord de coopération Espagne-Maroc portant sur la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité, qui est entré en vigueur en 2022 et ancre les migrations dans une logique sécuritaire [5]. Cet accord renforce l’amalgame entre migration dite « irrégulière » et criminalité, légitimant des pratiques répressives qui normalisent la violation des droits humains aux frontières et étendent le contrôle européen bien au-delà de ses limites territoriales.

Sénégal

La marine sénégalaise a intercepté près d’un millier de personnes exilées au large des côtes du Sénégal en l’espace d’un mois. Le Sénégal est l’un des principaux points de départ pour les personnes tentant de rejoindre l’Europe via la route de l’Atlantique (îles Canaries/Maghreb) faute de pouvoir obtenir un visa.

Cette augmentation du nombre de pull-backs intervient après l’octroi, en octobre 2024, d’une aide de 30 millions d’euros de l’UE au Sénégal, destinée à renforcer les capacités des autorités sénégalaises dans le contrôle de leurs frontières, visant notamment à bloquer les départs vers l’Europe – un nouvel exemple d’externalisation des politiques migratoires. En parallèle, les pays membres de l’UE entretiennent un discours hypocrite sur la prétendue promotion de la « migration régulière » [6]. En réalité, celle-ci est rendue impossible pour la majorité des personnes souhaitant rejoindre une Europe verrouillée, et qui n’obtenant pas de visas, sont obligées de prendre des routes « illégalisées » au péril de leur vie pour exercer leur droit à la mobilité [7].

Somalie-Allemagne

L’Allemagne a conclu en novembre 2024 un arrangement en matière migratoire avec la Somalie, visant à augmenter le nombre d’expulsions des ressortissant·e·s somalien·ne·s dépourvu·e·s de droit de séjour. Cet accord s’inscrit dans une série de partenariats similaires conclus par l’Allemagne avec d’autres pays, notamment la Géorgie, le Kenya et le Maroc. Cependant, le Premier ministre somalien a précisé que cet arrangement serait limité aux retours dits « volontaires » et ne concernerait pas les expulsions forcées. Une déclaration qui semble contradictoire avec la position de son homologue allemand, ce qui soulève des questions sur l’application concrète de cet accord et la réalité des pressions exercées par l’Allemagne.

Un tel arrangement avec la Somalie, pays failli qui se caractérise par une profonde instabilité [8], constitue une violation de la Convention de Genève et met en péril les droits des personnes exilées. Les États européens maintiennent une forte emprise sur les pays africains en raison de l’aide au développement qu’ils leur accordent, et qui souvent représente une part essentielle des finances de ces pays [9]. Cette aide est utilisée comme un levier pour contraindre les pays africains à se plier aux demandes de l’UE, notamment en matière migratoire [10]. Cette dynamique s’inscrit dans une logique néocolonialiste, ces partenariats mettant à mal la souveraineté des États africains. Ils nuisent également aux droits des exilé·e·s, utilisé·e·s comme monnaie d’échange dans un rapport de force inégal qui sert avant tout les intérêts des puissances européennes.

Tunisie

Le 12 novembre dernier, Abdallah Said, militant pour les droits des migrants et président de l’association « Enfants de la Lune » de Médenine a été placé en garde à vue. Il a été interrogé par la Cellule d’investigation financière, qui l’accuse d’avoir « accepté du financement étranger pour assister des migrant·e·s originaires de pays subsahariens à entrer illégalement en Tunisie ». L’enquête est actuellement menée par le pôle antiterroriste.

Cette arrestation envoie un signal dangereux, annonçant une nouvelle vague de répression encore plus sévère, dans la continuité des politiques racistes du régime de Kaïs Saïed. Depuis mai 2024, ce dernier s’attaque aux associations de défense des droits des exilé·e·s, les accusant d’être des « traîtres » impliqués dans un prétendu complot visant à « modifier la composition démographique de la Tunisie ». En criminalisant l’aide aux migrant·e·s, le régime de Saïed devient un acteur clé de l’externalisation de la politique migratoire de l’Union européenne. Cette répression se déroule avec la complicité tacite de l’UE, qui continue à soutenir activement ce régime en maintenant son partenariat stratégique de 2023 avec la Tunisie, à travers lequel l’UE lui fournit des moyens financiers et techniques pour renforcer le contrôle de ses frontières. Une situation que les forces de sécurité tunisiennes utilisent pour commettre des violences systématiques à l’encontre des exilé·e·s [11]. L’inaction de l’UE face à ces emprisonnements témoigne de sa priorisation des politiques sécuritaires au détriment des droits humains.

Allemagne

Le gouvernement allemand a approuvé la mise en place de procédures accélérées dans les aéroports dans le cadre du Pacte européen sur l’asile et la migration. Cette mesure vise à accélérer le traitement des demandes d’asile. ainsi que le renvoi des personnes arrivant directement depuis un « pays d’origine sûr ». Actuellement, les personnes arrivant par avion en Allemagne et déposant une demande d’asile à leur arrivée sont transférées dans des « zones de transit », où elles peuvent être en détention administrative pendant un maximum de 19 jours. La nouvelle procédure élargit la définition des pays d’origine sûrs : un pays sera désormais considéré comme « sûr » si son taux de protection — c’est-à-dire la proportion de demandeurs d’asile originaires de ce pays qui obtiennent une protection en Allemagne — est inférieur à 20 %. En outre, le règlement prévoit un allongement de la durée maximale de détention dans les zones de transit, qui passe de 19 jours à 6 mois.

L’introduction de « procédures accélérées à la frontière » n’est pas nouvelle. Le cas de l’Italie a notamment montré les conséquences d’une telle approche : une réduction des garanties procédurales pour les demandeur·se·s d’asile, rendant plus difficile de présenter une demande de protection complète et motivée en raison du temps limité qui leur est accordé pour constituer leur dossier [12]. De plus, en cas de rejet de la demande d’asile, le recours n’est pas suspensif et il sera possible d’exécuter immédiatement la mesure d’expulsion de la personne concernée, même si un recours est pendant [13]. Par ailleurs, comme l’a montré le cas de la France [14], le prolongement de la période de détention des migrant·e·s est à la fois attentatoire à leurs droits et inefficace au regard de l’objectif affiché : il n’a d’autre effet que de les priver de leurs droits, en impactant négativement leur santé mentale, sans pour autant remplir l’objectif d’augmenter les expulsions. En outre, selon la directive européenne 2013/32, dite « Procédures », un pays doit remplir des critères globaux de sécurité pour être considéré comme sûr. Par conséquent, l’Allemagne, dont la considération se base sur un critère quantitatif, viole la législation européenne.

Italie/Albanie

Le protocole d’entente (MoU) “Italie-Albanie”, conclu en novembre 2023, est actuellement dans une impasse. Malgré le fait que le transfert de migrants qui a eu lieu en octobre 2024 a été invalidé par le tribunal de Rome, une deuxième tentative de transfert de migrants vers les camps albanais a eu lieu le 5 novembre. Celle-ci a connu le même sort que la première : le tribunal de Rome a refusé de valider la rétention des migrants dans ces camps, invoquant le fait que leurs pays d’origine ne pouvaient être considérés comme “sûrs” au regard du droit européen. Cette situation rendait illégale l’application d’une procédure accélérée à la frontière pour ces migrants, tel que prévu par le protocole. Les migrants concernés ont depuis été transférés en Italie. Par ailleurs, la section spécialisée en immigration du tribunal de Bologne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin qu’elle se prononce sur la conformité avec la législation européenne des critères employés par le gouvernement italien pour désigner un pays comme « sûr » [15]. Entre-temps, les camps, inaugurés en octobre dernier, sont désormais vidés de leur personnel italien, ayant été rapatrié en Italie en raison de l’absence de migrants détenus. Aucun nouveau transfert vers ces installations n’est prévu dans un avenir proche.

Bien que le blocage du protocole représente un pas positif pour les droits des personnes exilées, il ne constitue pas un échec définitif du « plan Albanie ». La décision attendue de CJUE sera déterminante pour l’avenir du protocole et pourrait permettre la reprise de futurs transferts. Par ailleurs, ce type de modèle d’externalisation ne devrait plus rencontrer d’obstacles juridiques à partir de l’entrée en vigueur du Pacte asile et migration en 2026. Le règlement 2024/1348 relatif aux procédures d’asile, adopté dans le cadre du Pacte, introduit la possibilité de considérer certains pays comme « sûrs » même s’il existe des exceptions pour certaines zones de leur territoire ou pour des catégories spécifiques de personnes, ce qui est contraire à l’arrêt de la CJUE du 4 octobre 2024. L’entrée en vigueur de ce règlement pourrait théoriquement empêcher les juges nationaux d’entraver l’application de procédures accélérées à la frontière pour les migrant·e·s provenant de pays « partiellement sûrs », procédure qui limite largement la possibilité de voir leurs demandes d’asile acceptées [16].

Pays-Bas

Le gouvernement néerlandais a annoncé, le 11 novembre, son intention de réintroduire des contrôles aux frontières terrestres, suspendant temporairement la liberté de circulation régionale garantie par l’espace Schengen. Cette mesure vise à augmenter le nombre de refus d’entrée sur le territoire pour les personnes exilées dépourvues de visa qui seraient interceptées lors de contrôles aux frontières. Cette initiative s’inscrit dans la dérive anti-migratoire adoptée par les Pays-Bas depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de droite et d’extrême droite actuellement au gouvernement.

Les contrôles « aléatoires » à la frontière favorisent le profilage racial, entraînant un plus grand nombre de refus d’entrée pour les exilé·e·s non européens [17]. Cette démarche n’est pas nouvelle : l’Allemagne a mis en place ce type de contrôles en septembre 2024 à la suite d’une attaque terroriste sur son territoire [18], suivant l’exemple de la France après les attentats de novembre 2015. Néanmoins, dans le cas des Pays-Bas, aucune explication concrète n’est donnée pour l’adoption de cette mesure, bien qu’elle soit conditionnée dans la législation européenne à l’existence d’une « menace à la sécurité intérieure » [19]. Ce phénomène reflète une tendance croissante au sein de l’UE à tolérer des violations de la liberté de circulation régionale, pourtant l’un de ses principes fondateurs. La récente réforme du Code Schengen, adoptée en mai 2024, témoigne de cette souplesse accrue en autorisant une prolongation de la durée pendant laquelle un État membre peut fermer ses frontières, passant de six mois à deux ans [20].

Suède

En mai 2024, la coalition de droite et d’extrême droite actuellement au pouvoir en Suède avait proposé une « loi sur la délation » visant à contraindre les fonctionnaires à signaler aux autorités les migrant·e·s en situation dite irrégulière. Initialement, cette proposition devait s’appliquer à tous les employés du secteur public, indépendamment de leur domaine d’activité. Cependant, après une enquête gouvernementale, le projet de loi a été modifié pour se limiter à six agences : l’Office des impôts, la Sécurité sociale, l’Agence de recouvrement des dettes, l’Agence nationale de l’emploi, le Service suédois des prisons et de la probation, ainsi que l’Agence des retraites. Les employés de ces organismes seront contraints de signaler les cas de migrant·e·s dépourvu·e·s de permis de séjour à la police, qui sera chargée de transmettre les informations aux services de l’immigration.

Si cette restriction du champ d’application de la loi représente un soulagement partiel pour les personnes exilées — qui ne risqueront plus d’expulsion pour le simple fait de recourir aux services de santé ou d’éducation —, le texte demeure une menace pour leurs droits. La mise en place d’une telle « loi sur la délation » constitue une atteinte à la démocratie et à l’État de droit. Elle risque également d’éroder la confiance des personnes exilées envers les institutions suédoises, les dissuadant de solliciter leur aide, même en cas de besoin, ce qui pourrait les mettre en danger, les isoler de la société, et rendre leur intégration encore plus difficile.

Royaume Uni

Le Premier ministre britannique a annoncé la création d’un fonds de 90 millions d’euros visant à arrêter les « passeurs » qui opèrent dans la Manche, jugeant que ces réseaux sont « une menace comparable au terrorisme ». Ce fonds s’ajoute aux millions d’euros que le Royaume Uni verse déjà à la France pour militariser la frontière maritime entre les deux pays et empêcher les traversées [21]. Ce fonds sera dédié à l’achat d’équipements de surveillance de haute technologie, ainsi qu’à la création d’un nouveau « commandement d’élite de la sécurité des frontières ». Ceci survient dans un contexte où les naufrages dans la Manche se poursuivent, faisant de 2024 l’année la plus meurtrière pour les personnes tenant des traversées vers le l’Angleterre, avec 60 décès comptabilisés à ce jour [22].

La mise en place de dispositifs de « lutte contre les passeurs » vise à dissuader les personnes jugées indésirables et celles qui leur apportent assistance ou secours, et non à protéger les victimes, comme prétendu par le gouvernement [23]. Le discours du Premier ministre repose sur une stratégie de la peur, visant à détourner l’attention du public vers une supposée menace des passeurs pour cacher les véritables coupables de ces décès en mer : les politiques migratoires ultra-sécuritaires et l’externalisation du contrôle des frontières opérée par le Royaume-Uni à travers ses accords avec la France [24] qui entravent la mobilité des migrant·e·s. Les tragédies qui surviennent dans la Manche ne sont pas des fatalités, mais les conséquences de choix politiques délibérés visant à rendre les frontières infranchissables [25].