Revue de presse janvier 2024

Égypte

L’enquête du Guardian révèle que des Palestinien·ne·s versent jusqu’à 10 000 dollars pour sortir de Gaza et se rendre en Égypte, par le poste-frontière de Rafah. Iels témoignent du fait de devoir payer des « frais de coordination » à un réseau en lien avec les services de renseignement égyptiens pour pouvoir inscrire leur nom sur la liste des personnes autorisées à quitter quotidiennement le territoire. Depuis le 21 octobre, des évacuations limitées ont été autorisées par le poste-frontière de Rafah qui a plusieurs fois été bombardé par l’armée israélienne. Ces évacuations étaient restreintes aux ressortissant·e·s étranger·ère·s ou possédant une double nationalité. Cette enquête révèle les inégalités de traitement basées sur la nationalité, en violation des droits humains.

Pour les Palestinien·ne·s ne possédant pas de double nationalité, les entraves à la mobilité sont importantes, d’autant plus lorsqu’iels ne possèdent pas de ressources financières importantes et/ou ne bénéficient pas d’un réseau d’entraide.

À la suite d’un projet de « gestion des migrations » (2022) financé par l’UE en Égypte, le gouvernement égyptien recevra 87 millions d’euros (presque quatre fois plus que ce qui avait été prévu dans le budget 2022-2023) et de nouveaux équipements pour le contrôle des frontières. Le projet est mis en œuvre par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et l’opérateur français Civipol (opérateur de coopération technique du ministère français de l’Intérieur) qui livrera les nouveaux bateaux aux garde-côtes égyptiens. Human Rights Watch alerte sur les abus et violences commises par les autorités égyptiennes et les conséquences du partenariat en cours [1]. Les financements par l’UE pourraient encore augmenter pour mettre en place sa politique de contention. L’OIM participe à la mise en œuvre de la stratégie d’externalisation du contrôle des frontières européennes avec les financements de l’UE. En 2020, un rapport d’observation de Migreurop soulignait également que « les dispositifs d’accueil et de protection des organisations internationales sur le territoire égyptien ne cessent de se dégrader » et que « le gouvernement “gère” l’accueil des personnes migrantes et réfugiées avec des méthodes contre-terroristes » [2]. Alors qu’il est documenté que ce pays ne respecte pas les droits humains, l’UE et l’OIM fournissent à l’Égypte une caution politique et des garanties diplomatiques.

Maroc

Le 24 juin 2022, une centaine de personnes a tenté de rejoindre l’Espagne en passant les dizaines de kilomètres de barbelés et les barrières qui séparent le Maroc de l’Espagne. La répression de la Guardia Civil espagnole et de la gendarmerie marocaine a engendré la mort d’au moins 37 personnes, et 77 personnes ont disparu. L’enquête menée par les autorités espagnoles [3]n’ont pas conduit à une condamnation des garde-frontières espagnoles. Les autorités marocaines n’ont, de leur côté, mené aucune enquête sur les pratiques de la gendarmerie marocaine.
Comme l’explique Omar Naji, membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) « depuis cette date, on assiste à une augmentation des poursuites contre les migrants subsahariens ». Depuis juin 2022, 33 personnes exilées ont été jugées coupables par les juges marocains pour des infractions liées à la facilitation de la migration et/ou appartenance à des réseaux criminels. Et de nombreuses autres personnes en exil Noires sont encore en attente d’un procès pour des motifs similaires. Cette stratégie de criminalisation des migrations et de leur facilitation, qui se couple aux autres entraves à la mobilité, est encouragée et influencée par les politiques répressives de l’UE.

Le Maroc est considéré comme un partenaire stratégique de l’UE pour l’externalisation du contrôle frontalier, et les enclaves de Ceuta et Melilla sont un macabre laboratoire de cette stratégie de contention des migrations aux portes de l’UE [4]. Depuis 2015, l’UE alloue plus de 234 millions d’euros au Maroc, des fonds majoritairement consacrés au contrôle des frontières (⅘ du budget), et, dans ce même cadre, 500 millions d’euros supplémentaires ont été alloués jusqu’en 2027 pour la période 2021-2027 [5].

Tunisie

Les refoulements collectifs se poursuivent à Sfax en Tunisie. Depuis les déclarations du président en février 2023, des violences envers les personnes en exil Noires, des expulsions dans le désert libyen, puis en coordination avec les autorités libyennessont dénoncées. Des refoulements collectifs dans le désert algérien des personnes exilées Noires sont également documentés. Une fois en Algérie, des refoulements en cascade ont lieu vers le Niger. Ces violences largement documentées se poursuivent, et l’UE - qui a conclu un protocole d’ententeavec la Tunisie en 2023 – demeure silencieuse. Le gouvernement tunisien nie ces refoulements et bénéficie de la caution politique de l’UE et de l’OIM [6], qui le considère comme un partenaire dans le contrôle des migrations.

Royaume-Uni

Depuis 2022, le gouvernement britannique tente de légaliser l’arrangement entre le Royaume uni et le Rwanda pour externaliser l’asile. Conclu en avril 2022, l’arrangement prévoit l’expulsion au Rwanda des demandeur·euse·s d’asile n’étant pas arrivé·e·s par des postes-frontière habilités (ce qui vise spécifiquement les traversées en bateau par la Manche de la France vers le Royaume-Uni) et celleux ayant transité·e·s par des pays dits « sûrs » avant d’atteindre le Royaume-Uni. Dans le cadre de cet « accord », les personnes peuvent demander une protection auprès des autorités rwandaises, qui ne leur permet pas de revenir au Royaume-Uni. Le premier avion à destination de Kigali avait été bloqué en juin 2022 par une mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) [7]. En novembre 2023, la Cour Suprême du Royaume-Uni avait déclaré le projet illégal, retenant que le Rwanda ne pouvait être considéré comme « un pays tiers sûr ».
Malgré l’ensemble des décisions de justice empêchant la mise en œuvre de cet arrangement, le gouvernement britannique poursuit son objectif politique. En décembre 2023, il a signé un traité avec le Rwanda visant à dépasser les critiques de la Cour Suprême et à considérer ce pays comme « sûr ». Le 17 janvier 2024, le projet de loi a été adopté par les député·e·s alors que le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) déclare que la dernière version du projet n’est « pas compatible » avec le droit international [8]. Les différentes évolutions de l’arrangement entre le Royaume-Uni et le Rwanda soulignent la volonté du gouvernement britannique de légaliser ses objectifs politiques anti- migratoires en dépit des conventions internationales et des décisions de justice. Le 23 janvier 2024, la Chambre Haute du Parlement britannique a voté une motion demandant au gouvernement de repousser la ratification du traité signé avec Kigali. Cette motion adoptée rappelle l’illégalité de ce projet en dépit des dispositifs mis en place par le gouvernement britannique pour rendre légalement « sûr » le Rwanda afin d’entraver les circulations, externaliser l’asile et légaliser les refoulements.

Union européenne

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que la requête des associations concernant l’enquête autour de la mort de Blessing Matthew était « irrecevable ». Blessing Matthew était une personne en exil nigérienne qui s’est noyée à la frontière franco-italienne, en mai 2018. Les investigations françaises n’ont pas mené à la mise en cause des gendarmes présents pour effectuer les contrôles le jour de la mort de Blessing Matthew. Une juge d’instruction indépendante avait prononcé un non-lieu en 2020, et le non-lieu définitif a été rendu par la justice en février 2021.
Un témoignage mettant en cause les pratiques des gendarmes dans la mort de Blessing Matthew a pourtant apporté un nouvel élément au dossier étayé par le travail des associations Tous Migrants et Border Forensics. Malgré ce nouvel élément qui aurait pu engendrer la réouverture du dossier, la CEDH a jugé la requête irrecevable. L’implication des forces de l’ordre dans la mort de Blessing Matthew ne sera donc pas réexaminée. Les pratiques de forces de l’ordre resteront impunies alors que ce dossier interroge, dans le fond, la technique de la traque développée et utilisée par les forces de l’ordre à la frontière franco-italienne. Une technique qui consiste à cibler les personnes en exil et les poursuivre à l’aide de technologies (drones, caméras techniques) [9]. Ce contrôle militaro-policier augmente les risques de traversée de la frontière pour les personnes qui tentent d’éviter les contrôles et refoulements [10].

La Cour de Justice de l’UE (CEJ) a confirmé que les femmes qui subissent des violences basées sur leur genre ont le droit de demander une protection dans les États de l’UE. La décision rappelle que cela comprend l’exposition à des violences physiques ou mentales, comprenant les violences sexuelles et les violences domestiques. La CEJ s’est prononcée à partir du cas d’une femme de nationalité turque et d’origine kurde qui a demandé une protection en Bulgarie du fait d’un mariage forcé par sa famille en Turquie. Comme dans de nombreux pays de l’UE, les juges nationaux bulgares ont refusé de procéder à une telle appréciation. Ainsi, la CEJ confirme qu’en tant que groupe social persécuté, les femmes peuvent demander une protection comme cela est entendu dans la Convention de Genève de 1961.

Allemagne

Le 18 janvier 2024, l’Allemagne a adopté une loi dans l’objectif de faciliter les expulsions. Cette loi permet d’allonger la durée maximale de détention, qui passe de 10 à 28 jours. Elle élargit les pouvoirs de la police allemande, autorisée à pénétrer dans les logements partagés pour interpeller les personnes en situation irrégulière. Enfin, elle renforce la criminalisation de la migration et sa facilitation en prévoyant des sanctions plus lourdes envers des personnes accusées d’aide au passage, rémunérées ou non. Cette législation favorise notamment la criminalisation de l’assistance en dehors des réseaux associatifs formels. Une législation qui renforce la condamnation des personnes en exil, observable de manière massive en Grèce [11], en Italie et à Chypre, et qui se déploie de plus en plus sur l’ensemble du territoire européen, au-delà des frontières extérieures de l’UE [12]. En somme, l’Allemagne aligne sa politique sur la vision sécuritaire de l’UE en dépit des attentes aux droits dénoncées de ces politiques. Alors que l’extrême droite se développe et s’organise sur des projets racistes [13], le gouvernement allemand renforce la gestion sécuritaire des migrations participant au climat xénophobe.

Chypre

Les bureaux de l’organisation KISA à Chypre (association de défense des droits des personnes en exil et membre du réseau Migreurop) ont été attaqués par un attentat à la bombe le 5 janvier 2024. Kisa dénonce l’absence d’enquête de la part des autorités chypriotes, qui ont par ailleurs participé au harcèlement juridique et policier à l’encontre de l’organisation et du personnel de KISA. Une importante campagne de criminalisation et de délégitimation depuis des années à l’encontre des associations de défense des droits des personnes en exil, notamment de KISA, et le climat anti- migratoire [14] alimenté par les pratiques des autorités participe au développement des actions

Espagne

La Cour suprême espagnole a confirmé que l’expulsion de mineur·e·s depuis Ceuta vers le Maroc en août 2021 était illégale. En 2021, les autorités espagnoles ont procédé au refoulement d’une dizaine de mineur·e·s en exil de Ceuta vers le Maroc. À cette période, les autorités espagnoles avaient entrepris de refouler au Maroc les mineur·e·s par petits groupes. Alors que l’Espagne a “légalisé”, par une stratégie juridique les refoulements (2015)16, cette décision de la justice espagnole rappelle la hiérarchie des normes et le principe de non-refoulement inscrit dans les conventions internationales.

Les ressortissant·e·s sénégalais·e·s devront obtenir un visa de transit aéroportuaire en Espagne à partir de février 2024. Le visa de transit aéroportuaire (VTA) est un outil de contrôle des frontières, il oblige toute personne circulant par l’Espagne en destination d’un autre pays dit tiers à l’UE à obtenir ce visa en amont de son voyage. Le VTA est un outil d’externalisation de l’asile et du contrôle des frontières, empêchant la circulation des personnes en amont17. La liste des pays concernés par cette obligation de visa est européenne, mais les États membres de l’UE peuvent également y ajouter d’autres nationalités. C’est notamment le cas lorsque les autorités détectent une augmentation des demandes d’asile à la frontière de la part de certaines nationalités. Les autorités espagnoles entravent ainsi le droit d’asile pour les ressortissant·e·s sénégalais·es du fait des difficultés d’obtention du VTA.

Finlande/Russie

En novembre 2023, la Finlande a progressivement fermé ses postes-frontières avec la Russie, ne laissant aucune possibilité d’entrée par les postes-frontières habilités à la frontière finno-russe et entravant la mobilité des personnes exilées. Jusqu’au 11 février, les postes-frontières sont fermés, portant atteinte au droit de demander l’asile comme le dénonce Amnesty International. Dans le même temps, les contrôles aux frontières sont renforcés, appuyés notamment par Frontex. Le gouvernement finlandais prévoit également la construction future d’un mur dit « de protection » de 70 kilomètres pourvu de clôtures et d’un système de surveillance. Le Commissaire aux droits de l’Homme a rappelé que les États membres du Conseil de l’Europe doivent se conformer à leurs obligations en matière de droits de l’Homme. Il a demandé que la Finlande apporte des précisions sur « les garanties mises en œuvre et les mesures prises pour assurer la protection des droits de l’Homme ». Alors que l’UE se qu’aux diverses persécutions subies par les membres d’association ».

France/Royaume-Uni

Dans le Pas-de-Calais et la Somme, un nouveau dispositif de contention des migrations a été installé. Il s’agit d’un barrage flottant installé sur le fleuve l’Authie, se jetant dans la Manche. Ce barrage est constitué de flotteurs rigides et s’ajoute à la longue liste des dispositifs sécuritaires mis en place à cette frontière : barrières surmontées de barbelés, caméras de vidéosurveillance, murs, véhicules 4x4, bateaux Zodiacs, lunettes de vision nocturne, etc. La sécuritisation de la frontière, notamment franco- britannique, permet l’expérimentation de nombreux dispositifs de contrôle des mobilités [15].
Ce nouveau dispositif s’inscrit dans un contexte tendu entre le Royaume-Uni et la France. Malgré l’augmentation des moyens techniques de contention et de contrôle, ainsi que les nombreux accords [16], le gouvernement britannique critique le nombre de passages tandis que la Cour des comptes française met en cause le gouvernement britannique sur son manque de collaboration [17]. En jeu, plusieurs millions d’euros investis pour empêcher le passage de cette frontière alors que dans la Manche, le nombre de décès de cette politique migratoire répressive continue d’augmenter [18] et les conditions de vie dans l’attente d’un passage se précarisent.

France/Mayotte

À Mayotte, des groupes anti-migrants ont organisé un ensemble de manifestations et d’actions contre les personnes en exil. Barrages filtrants, protestations devant les campements et violences physiques et verbales à l’encontre des personnes en exil, le climat xénophobe est renforcé par les déclarations du gouvernement français. Le ministre de l’Intérieur a annoncé le démantèlement d’un campement, six mois après l’opération policière, nommée Wuambushu [19]. Le ministre de l’Intérieur accuse notamment les associations d’être responsables de l’arrivée de personnes en migration. Cet argumentaire fallacieux, utilisé par l’extrême droite, a été condamné en octobre 2023 pour diffamation. À Mayotte, les destructions des lieux de vie informels et les limitations d’accès à la nourriture et aux soins pour les personnes exilées par les forces de l’ordre et des groupes anti- migrants, peu inquiétés par les autorités françaises, s’ajoutent à un droit dérogatoire et à la violence des frontières.

Grèce

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la Grèce à verser 80 000 euros aux proches d’une personne syrienne, mortellement touchée par balle en 2014. Les faits datent du 22 septembre 2014, des garde-côte grecs ont tiré 13 coups de feu sur un canot en mer Égée qui transportait des personnes en exil de la Turquie vers la Grèce. Deux personnes ont été touchées. En 2015, la justice grecque avait classé l’affaire après l’enquête du Parquet grec. La CEDH déclare que l’enquête menée par les autorités grecques « comportait de nombreuses lacunes qui ont conduit notamment à la perte d’éléments de preuve ». La Grèce a déjà été condamnée pour les pratiques des gardes-côtes grecs en mer Égée qui ont mené à la mort de plusieurs personnes [20]. De la même manière, la CEDH a plusieurs fois communiqué sur les manquements dans les enquêtes menées par les autorités grecques qui conduisent à des non-lieux. Ce non-respect des mesures provisoires de la CEDH par les autorités grecques souligne une impunité généralisée des pratiques des garde-côtes par la juridiction nationale.

Italie

L’enquête menée par le Parquet de Potenza (sud de l’Italie) sur le centre de rétention de Palazzo San Gervasio révèle les conditions inhumaines et les violences qui ont eu lieu dans ce centre entre 2018 et 2022 (manque de soin, non-accès aux services sanitaires, linguistiques et juridiques ou de manière insuffisante). Les personnes en exil enfermées dans ce centre de rétention (au minimum 35 cas constatés par l’enquête) ont subi des violences physiques, et notamment l’administration massive et forcée de drogues tranquillisantes. Dans ce centre de rétention, sous la responsabilité de l’État italien et géré par une entreprise privée, une dizaine de personnes sont mises en examen dont un inspecteur de police et le directeur du centre. Les conditions d’enfermement inhumaines dans le centre de rétention de Palazzo San Gervasio ne sont pas un cas isolé [21], plusieurs centres de rétention italiens sont mis en cause par la justice italienne. Le système de détention des personnes en exil révèle ses conditions inhumaines et la violence qu’il produit physiquement et psychologiquement, de manière systématique. Médecin sans frontières a dénoncé les problèmes de santé dans les lieux d’enfermement à grande échelle des personnes en exil comme dans les hotspots en Grèce [22], ou récemment dans les centres pour demandeur·euse·s d’asile de Wethersfield au Royaume-Uni [23].