Déclaration de Calais
Refusons l’encampement des exilé·e·s et la clôture des frontières
À l’occasion de ses dix ans, le réseau Migreurop était réuni le week-end dernier à Calais pour apporter son soutien aux exilé·e·s retenus dans les nasses du Calaisis, ainsi qu’aux militant·e·s et organisations engagées dans les luttes contre les politiques de chasse aux migrant·e·s pratiquées par les États français, britannique et par l’Union européenne (UE).
Ces trois jours de débats avec des militant·e·s venus de toute l’Europe, de Turquie et d’Afrique ont débouché sur un constat partagé. La fortification du port de Calais et du site d’Eurotunnel, appuyée par un harcèlement policier incessant, contraignent les personnes à tenter de passer en Grande-Bretagne dans des conditions de « clandestinité » toujours plus périlleuses. Il s’agit là de l’une des multiples déclinaisons d’une politique menée à toutes les frontières de l’Europe pour entraver la circulation des exilé·e·s. Elle va souvent de pair avec des conditions de vie misérables et une ghettoïsation qui les criminalisent (par des interdictions et des contrôles abusifs) et les coupent des populations et solidarités de proximité. Ces camps et autres bidonvilles sont le fruit de politiques européennes constamment réaffirmées, bien que mises en échec par les stratégies de contournement des migrant·e·s : l’utopie de frontières ouvertes aux seuls privilégiés de la mondialisation conduit à l’institutionnalisation de la maltraitance des exilé·e·s et non à mettre fin à l’exil…
Les dispositifs de surveillance et de contrôle (barrières de Ceuta et Melilla ou à l’entrée de la Macédoine, murs aux frontières gréco-turque et serbo-hongroise, patrouilles de l’agence Frontex et opération Sophia en Méditerranée…) sont censés maintenir les migrant·e·s loin de l’Europe. Ils interviennent en complément des politiques de non-délivrance de visas et de coopération avec les pays dits d’origine – y compris les plus dictatoriaux – appelés à entraver les départs. Les droits fondamentaux de millions de personnes, notamment celui de demander l’asile, sont ainsi bafoués. Faute de voies légales d’accès aux territoires européens, elles sont condamnées à des persécutions policières, à l’exploitation de leur misère par des passeurs, et à la survie dans des conditions d’extrême précarité. Ces dernières ne peuvent qu’aggraver les traumatismes liés aux guerres et aux violences multiples auxquelles ces exilé·e·s tentent d’échapper.
Dans le Calaisis, la double barrière juridique du traité du Touquet (qui fixe les conditions de la sous-traitance à la France du contrôle de la frontière britannique) et du règlement Dublin III (qui oblige les demandeurs d’asile à déposer leur demande dans le premier pays de l’UE traversé) rend impossible que Soudanais, Syriens, Irakiens, Erythréens, Afghans… demandent l’asile au Royaume-Uni. En 2014, le Royaume-Uni n’a ainsi reçu que 30 000 des 630 000 demandes d’asile enregistrées dans l’Union européenne. Ce nombre, en baisse depuis plusieurs années, ne devrait pas connaître d’évolution majeure en 2015, alors même que les arrivées dans l’UE ont connu une augmentation qualifiée d’« historique ».
La situation que connaît le Calaisis depuis près de 20 ans (le camp de Sangatte « fermé » en 2002 avait ouvert en 1999) est symptomatique des politiques que prône avec une constance aveugle l’Union européenne. Ainsi, les projets de « hotspots » et de « processing centres » se traduiront immanquablement, s’ils sont effectivement mis en œuvre, par la création d’immenses centres d’enfermement en Italie, en Grèce mais aussi au Niger et en Turquie. L’ « encampement », le plus loin possible des regards des sociétés civiles, est bien l’horizon ultime des politiques migratoires de l’Union européenne : à force de trier les migrant·e·s, elle en arrive à violer les droits humains les plus fondamentaux, voire à provoquer la mort de nombreux exilé.e.s.
Le réseau Migreurop tient solennellement à réaffirmer que le respect des droits et de la dignité humaine exige que cesse toute forme d’enfermement et de ghettoïsation des personnes exerçant leur droit à quitter leurs pays. Les conditions d’un accueil digne, dans le Calaisis et ailleurs, passent aussi par l’abolition du règlement de Dublin et de son cortège de renvois forcés. Il doit aussi être mis fin aux multiples contrôles liés aux accords franco-britanniques (tels celui du Touquet) qui ont transformé la frontière en clôture au lieu d’en faire un lieu de passages légaux et protégés.
18 décembre 2015
Photo : Calais, campement, décembre 2015.
(c) Sara Prestianni http://www.saraprestianni.eu/