Colloque « Europe des camps, la démocratie en danger »

français

L’objet du colloque était de reprendre les analyses formulées lors du séminaire de février 2003 par le groupe de travail « Migreurop » sur les différents types de camps recensés en Europe et de mettre ces analyses à l’épreuve de différentes visions. Sociologues, politologues, philosophes, économistes, représentants d’ONG, représentants d’institutions européennes, organisations internationales et députés européens étaient invités à se prononcer sur ces travaux, à la lumière des récentes propositions du gouvernement britannique en faveur de l’établissement de camps pour demandeurs d’asile à l’extérieur de l’Europe (deux premières demi-journées).

Un des objectifs était d’interpeller les élus du Parlement européen, les membres de la commission européenne, les membres du conseil sur les logiques qui tendent à la mise à l’écart des étrangers comme axe de la politique européenne en matière d’immigration.

Le réseau Migreurop avait également pour ambition de trouver une ligne politique et une ligne d’action dans la lignée de ces réflexions à l’issu du colloque (troisième demi-journée).

Après une restitution des travaux de février (Pierre Arnaud Perrouty, MRAX Belgique) et une explication sur le système des camps en république tchèque qui n’avait pas encore été donné pour analyse, une théorisation de la fonction des camps (entre désir de mettre à l’écart et de dissimuler et désir de faire savoir) a été présentée par Federica Sossi (Social Forum Milan).

Ensuite, la notion d’externalisation a été étudiée par Daphné Bouteillet Pacquet (Amnesty International Union européenne) au regard des propositions britanniques de création de camps de transit dans des zones protégées proches des conflits mais également dans des zones proches de l’Union européenne. Abdelkrim Belguendouz (Université de Rabat, Maroc) a présenté le cas du Maroc, également victime de l’externalisation des contrôles migratoires qui mène à l’édification d’une vaste zone d’attente sur le territoire marocain et en l’occurrence l’apparition de camps.

Le philosophe Matthieu Bietlot a donné son analyse des nouvelles réalités que recouvre la notion de frontière et pour conclure cette demi-journée, Didier Bigo (IEP Paris) a mis en avant la nécessité de renchérir le coût politique des discours sécuritaires.

La deuxième demi-journée, consacrée à l’interpellation des politiques et des institutions, a commencé par une synthèse des constats sur les caractéristiques communes dégagées par l’analyse des camps et un certain nombre de questionnements dérivés de ces constats adressés aux responsables institutionnels réunis autour de la table ronde animée par Claire Rodier (GISTI).

Les contributions de la commission, du conseil, du HCR et de l’ECRE n’ont pas vraiment répondu à ces questions. La commission a rappelé son travail pour l’élaboration de normes minimales en matière d’asile et d’immigration et ses positions sur le projet britannique et la possibilité de détention des demandeurs d’asile inséré dans la directive sur les procédures d’asile en cours de négociation. Le Conseil a également présenté son point de vue sur cet aspect. Le HCR a plus largement répondu sur les questions d’externalisation.

Enfin, le groupe Migreurop a débattu des différentes actions envisageables et d’une ligne politique à tenir pour dénoncer les logiques d’enfermement.

Synthèses des travaux

Travaux de février 2003 (restitués au colloque de juin)
Pierre-Arnaud PERROUTY
MRAX (Belgique)

Tous les Etats de l’UE procèdent, sous une forme ou une autre, à la mise à l’écart des étrangers sur leur territoire. Cette mise à l’écart peut prendre des formes diverses : camps spécifiques, prisons ou simples locaux. Elle est également pratiquée sous des formes moins visibles, à commencer par la politique de visas de l’UE qui aboutit à maintenir à l’écart (non plus sur mais) de son territoire une grande partie de la population mondiale.

Pour ce qui est des lieux d’enfermement, deux distinctions peuvent être opérées. La première distingue les centres ouverts des centres fermés. Les centres d’accueil en Allemagne ou les centres ouverts en Belgique sont par exemple des lieux dont les personnes peuvent entrer et sortir. La distinction est évidemment importante de leur point de vue mais ces centres procèdent en réalité d’une même logique de contrôle et de mise à l’écart que les centres fermés. Ainsi dans les centres de réception en Allemagne, la liberté d’aller et venir des personnes est limitée à une certaine zone géographique. En Belgique, le gouvernement procède à des éloignements au départ de centres ouverts. Du point de vue de l’Etat, cette distinction n’est donc peut-être pas réellement déterminante.

La seconde distingue les camps à l’intérieur de ceux à l’extérieur des frontières de l’UE. Si aucune décision n’a été prise à l’échelle européenne au dernier Conseil, on sait que la question de l’externalisation du traitement des demandes d’asile et de l’enfermement hors des frontières reviendra très prochainement sur la table.

Parmi les camps fermés situés à l’intérieur des frontières, on peut globalement en distinguer 3 types, en fonction de la situation des personnes qui s’y trouvent :

 les camps d’attente où les personnes sont détenues dans l’attente d’un examen de leur situation et d’une éventuelle admission sur le territoire (ex : les zones d’attente en France, le centre 127 en Belgique) ;

 les camps de détention visant des personnes déjà entrées sur le territoire (ex : les centres de détention en Grande-Bretagne) ;

 les camps d’éloignement où les personnes sont détenues en vue de leur expulsion (ex : centres fermés en Belgique, de rétention en France, de détention en Allemagne).

Cette typologie présente cependant des limites importantes :

 des camps se situent à cheval sur plusieurs types (ex : les centres de détention en Grande-Bretagne, les centres de séjour temporaire en Italie) ;

 à l’inverse, il existe des cas atypiques. Le camp de Sangatte en France par exemple, fruit d’un accord dans l’urgence entre l’Etat et la Croix-Rouge en 1999, relevait d’une logique à la fois humanitaire et policière. Autre exemple, les centres de départ allemands (Ausreisezentren) qui accueillent des demandeurs d’asile - déboutés mais « inéloignables » - encouragés au « départ volontaire ».

 outre les camps, il existe d’autres lieux d’enfermement d’étrangers : les prisons (notamment en France, en Grande-Bretagne et en Belgique) et les locaux de rétention, peu ou pas visibles, peu connus et très difficiles d’accès.

Les régimes des centres d’enfermement présentent des différences importantes. Les durées légales de détention sont très variables : la France vient de porter la durée de rétention de 12 à 32 jours ; 60 jours en Italie ; 5 mois (extensibles à 8) en Belgique ; pas de limite en Grande-Bretagne. Les durées moyennes varient tout autant : 5 jours en France ; 26 à 32 jours en Belgique ; entre 1 et 4 mois dans 65 % des cas en Grande-Bretagne. Les conditions matérielles varient-elles aussi considérablement : logements, sanitaires, nourriture, activités, visites, possibilité de téléphoner, accès à l’air libre, etc. Beaucoup de centres ne prévoient aucun aménagement pour les mineurs non-accompagnés. Parfois, des centres d’accueil spécifiques sont créés (dans certains Länder allemands). Plusieurs pays sont par ailleurs sur le point de se doter d’un système de tutelle.

On peut relever deux tendances communes dans la gestion de ces centres. D’une part, la volonté affichée de nombreux gouvernements d’augmenter le nombre de places dites « d’accueil » (en attestent les récentes déclarations des gouvernements italien, français et belge). D’autre part, on assiste à une délégation croissante de la gestion des centres à des entreprises privées. C’est déjà largement le cas en Grande-Bretagne et en Italie.

Enfin, les camps d’enfermements d’étrangers en Europe présentent d’importants traits communs en termes d’efficacité, d’objectifs annoncés et d’objectifs réels.

L’efficacité des centres d’éloignement se situe entre 40 et 60 % (par efficacité, on entend le nombre de personnes effectivement éloignées par rapport au nombre de personnes enfermées en vue de leur éloignement). En d’autres termes, une efficacité assez faible pour un coût opérationnel énorme. Avec une conséquence importante pas assez soulignée : la fabrication de clandestins, constitués pour partie de ceux qui finissent par être libérés parce qu’inéloignables et de ceux qui, éloignés, reviennent dans le pays où ils ont leurs attaches ou un travail.

Avec une efficacité aussi réduite, la portée réelle de ces camps se situe beaucoup plus dans l’ordre symbolique. Il s’agit en réalité d’envoyer un double signal. D’une part aux candidats-migrants (le « signal fort ») à qui on espère signifier que la politique de lutte contre l’immigration clandestine (enfermement-éloignement) sera poursuivie avec fermeté (« voyez ce qui vous attend »). D’autre part aux opinions publiques internes à qui on espère démontrer que le problème est pris au sérieux (« voyez, on s’en occupe »).

Au-delà d’une double portée symbolique, l’existence de ces camps rencontre aussi des objectifs moins avouables. D’abord rendre moins visible ce qui gêne : mettre à l’écart des personnes qui symbolisent les contradictions d’un système et l’absence patente de réflexion politique de fond sur le droit de se déplacer. L’exemple de Sangatte est particulièrement éclairant de ce point de vue. Ensuite se débarrasser opportunément d’une charge encombrante - financièrement mais surtout politiquement - pour le trésor public : qu’une personne soit effectivement éloignée ou poussée à la clandestinité, il n’y a en effet plus d’aide sociale à payer.

Travaux de juin 2003

Synthèse par Claire Rodier (GISTI)

(résumé)
La réflexion menée par le réseau Migreurop sur le phénomène de la mise à l’écart des étrangers qu’ils soient ou non demandeurs d’asile a été confirmée par les discussions des Quinze sur les projets britanniques. Le travail du réseau a d’abord été consacré à l’identification des différents types de camps (voir intervention de P.A. Perrouty). Nous nous sommes interrogés sur les conditions de détention, le statut juridique des personnes, les dispositifs spécifiques...La palette des situations est très variée mais elle fait cependant apparaître des caractéristiques communes :

  les personnes qui se trouvent dans ces camps n’ont commis aucun délit

  la création de ces camps résulte d’une volonté de dissimulation

  ces lieux revêtent un caractère symbolique, message à l’opinion des pays de l’Union Européenne

  il paraît impossible d’assurer dans ces lieux le respect des droits fondamentaux

  ces lieux nient l’individualité au profit de la masse

  tous ces constats révèlent que la création des camps ne relève pas d’une volonté de sanction mais constitue un pacte non juridique passé entre l’Etat et une société à qui cette mise à l’écart est présentée comme une garantie de sa sécurité.

  On a l’habitude d’utiliser un vocabulaire très euphémisé pour parler des camps, voire le vocabulaire de l’humanitaire (par exemple les « Centres de permanence temporaire et d’assistance » en Italie). C’est également le cas quand on parle des « zones de protection ».

Ces constats posés, nous avons recherché les logiques qui ont conduit nos pays à inventer ou à réinventer les camps d’étrangers.
Un certain nombre de postulats sous-tendent la politique de l’Union Européenne que nous souhaiterions remettre en cause aujourd’hui :

  la perméabilité des frontières, le déplacement des frontières devraient nécessairement être compensés par un renforcement des moyens d’empêcher les personnes de les franchir.

  L’intégrité du système européen d’asile et d’admission légale repose sur une politique cohérente en matière de retour

  La pression de la demande d’asile en Europe serait insupportable

Nous contestons ces postulats : en matière d’asile, l’Europe n’accueille qu’une petite partie du nombre de réfugiés en quête de protection sur la planète. Les procédés sophistiqués utilisés pour décourager les « faux demandeurs d’asile » ont souvent pour effet de priver la plupart des réfugiés de la protection que nous leur devons en aboutissant souvent à la mise en camps.

En ce qui concerne la politique de retour, les plans de rapatriement volontaire ne semblent pas d’une grande efficacité. L’accent est mis sur le retour forcé et dans les formes qu’il prend actuellement, il ne permet pas de préserver le respect des droits des personnes.

Nous lisons aussi de la politique fondée sur ces postulats contestables une mise des Etats non-membres de la communauté européenne au service de la protection des frontières. L’exemple marocain, et la constitution d’une vaste zone d’attente n’est pas le seul. Autour de l’Europe se constitue un vaste cordon sanitaire, parsemé de camps, qui sont autant de nasses pour les migrants, comme à Malte, en Ukraine, en Lituanie...

De là se pose un certain nombre de questions que nous adressons aux institutions présentes à ce colloque :
  nos sociétés peuvent-elle s’appuyer sur la mise à l’écart des étrangers dans des lieux où les droits fondamentaux ne peuvent par définition être respectés ?

  l’enfermement des réfugiés comme mode de gestion de l’asile est-il en train de devenir la règle ?

  la coopération opérationnelle qui ne permet pas de contrôle démocratique est-elle le mode de définition de la politique européenne en devenir, notamment en ce qui concerne l’enfermement ?

  comment la commission et le HCR vont-ils gérer les projets d’externalisation même si ceux ci ont été officiellement écartés à Thessalonique ? (à savoir que nous sommes dans un processus similaire à Schengen : laboratoire, projets pilote puis élargissement à d’autres partenaires).

Le réseau migreurop

Les discussions qui ont suivi ces interventions n’ont pas permis de dégager des voies communes d’action entre les différentes ONG qui constituent le réseau. Une proposition de rationaliser l’action de Migreurop et de la limiter dans ses objectifs a été faite par plusieurs. C’est dans cette perspective qu’un comité de pilotage du réseau s’est constitué en juillet dont la Cimade/DER fait partie.

Les nouveaux objectifs du réseau sont de faire connaître l’existence de ces lieux de mise à l’écart des étrangers en Europe. Le réseau n’a pas pour objet de porter des campagnes de lobbying ou des campagnes d’opinion en lui-même mais de fournir la matière qui servira à ces campagnes. Celles ci pourront être portées par des associations constituant le réseau ou par d’autres associations.

Migreurop se donne donc pour mission de poursuivre le travail commencé en février dernier : recenser les lieux de mise à l’écart et les conditions de la mise à l’écart, analyser les raisons et les logiques qui sous tendent cette mise à l’écart, dénoncer les tendances qui se dégagent.

Concrètement, le réseau est en train de faire une carte des camps de détention qui sera diffusée au Forum Social Européen où se tiendra un séminaire sur les camps en Europe. Un site d’information avec une carte plus détaillée est en cours de création. Une liste de discussion sous-tend toute l’activité du réseau. Elle a pour but principal d’échanger des informations à la fois sur les logiques européennes d’enfermement des étrangers et sur l’actualité de la détention en Europe et à sa périphérie.

Qui fait partie du réseau ?

Pour l’instant le comité de pilotage est animé par le Gisti, la Cimade, l’Anafé, le MRAX (Belgique), plusieurs chercheurs (Smaïn Laacher (EHESS), Oliver Clochard (Migrinter)). La liste de discussion du réseau relie les partenaires européens principalement situés en Allemagne (ProAsyl), en Espagne (ACCEM, CEAR Mellila, Alicante), Italie (ASGI, Forum Sociale de Milan), Grande Bretagne (JCWI, ILPA, BID, BRC, Barbed Wire Britain,,...), République tchèque, Belgique (MRAX,...).

Où trouver des infos ?

Sur le site Migreurop : http://www.migreurop.org
En demandant à faire partie de la liste de discussion du réseau à fromentin@gisti.org ou caroline.intrand@cimade.org. Les actes du colloque seront disponibles sur le site ou sur demande