L’externalisation des politiques migratoires au Sud n’est pas la solution à la crise structurelle de l’accueil au Nord

Action collective

Ces 9 et 10 mars 2023, le Conseil justice et affaires intérieures (JAI) de l’Union européenne sera consacré au renforcement de l’Europe forteresse et de l’externalisation des questions migratoires. Les 27 espèrent ainsi mettre fin aux crises structurelles de l’accueil en Europe. Nous, associations signataires [1] de cette carte blanche, dénonçons ces fausses bonnes solutions et demandons à la Belgique, lors de ce Conseil et à la veille de sa présidence de l’UE en 2024, de réorienter radicalement l’approche des politiques migratoires européennes d’une logique répressive vers des solutions solidaires, durables et respectueuses du droit international.

L’impasse de l’approche répressive des politiques migratoires européennes

Depuis plus de trente ans, les Etats membres tentent via les politiques d’externalisation de restreindre les arrivées de personnes migrantes en Europe, de laisser les pays tiers gérer l’asile et de faciliter le retour de celles et ceux qui n’auraient pas obtenu ou perdu leur droit de séjour en Europe. Cette méthode est inefficace, onéreuse et irrespectueuse du droit international qui inclut les droits fondamentaux des personnes exilées.

En effet, même si les personnes exilées se déplacent et sont majoritairement accueillies dans leur propre région, le nombre de ceux et celles qui arrivent malgré tout aux frontières européennes ne baisse pas [2]. En revanche, les routes irrégulières de l’exil empruntées sont de plus en plus meurtrières et enrichissent le business des trafiquants faute de voies légales. Les retours forcés, pilier de la stratégie, ne sont pas exécutés faute d’accords d’éloignement avec les pays tiers [3]. Enfin, le montant du budget [4] de l’agence Frontex est exponentiel alors que de nombreuses enquêtes suspectent l’agence de non-respect des droits fondamentauxdes personnes migrantes, sans réel résultat : le nombre d’arrivées dépend en effet bien plus des aléas de l’instabilité géopolitique internationale que des obstacles mis en place par les pays d’arrivée.

Du côté de l’accueil, aucun mécanisme de répartition solidaire et équitable entre les Etats membres européens n’est accepté. Les pays frontaliers de l’espace Schengen sont toujours seuls, faute de réforme du Règlement Dublin [5], à assumer le premier accueil. Malgré cela, des pays de second plan, comme la Belgique, se plaignent d’être dépassés par des mouvements des personnes « dublinées ». Ceci occasionne sur le terrain des pratiques de « tri » aux frontières sans traitement individuel, de détention et d’encampement contraires au droit d’asile.

Le respect du droit international comme sortie de crise et solutions durables

Face à ce constat, on est en droit de se demander pourquoi tant d’acharnement à faire croire à l’opinion publique qu’empêcher les personnes de quitter leur pays est non seulement faisable mais que cela résoudra les crises structurelles de l’accueil en Europe. L’appel d’air est également évoqué, alors qu’il n’a jamais été vérifié dans les faits.

Car c’est bien en facilitant un accès légal à la mobilité internationale que les personnes en danger pourront demander une protection internationale sans devoir risquer leur vie. Pour d’autres, ce sera une possibilité d’étudier ou de travailler afin de contribuer au pays d’accueil et de lutter contre les inégalités mondiales via l’envoi des fonds aux pays d’origine. Dans ce cadre, les 27 devraient signer des accords de partenariats collaboratifs et non coercitifs avec les pays du Sud visant à l’atteinte des Objectifs de développement durable. C’est une demande des pays tiers qui n’est jamais suivie par l’Europe.

Concernant l’accueil des demandeurs d’asile, la société civile demande depuis des années un mécanisme contraignant de répartition équitable au niveau européen. Cela exige une réforme du Règlement Dublin. En Belgique, la feuille de route de sortie de crise, proposée en septembre 2022 par la société civile, met en évidence un plan de répartition obligatoire entre les communes et la réquisition de logements d’urgence pour une durée temporaire. Elle propose également que les personnes « inéloignables » tels les ressortissants afghans, sortent du réseau d’accueil grâce à un titre de séjour temporaire. Actuellement, rappelons que les personnes en besoin de protection internationale sont laissées à la rue et ne peuvent compter que sur la solidarité des citoyens et citoyennes et d’organisations humanitaires.

Enfin, les fonds consacrés aux politiques migratoires doivent être réorientés du contrôle et l’expulsion vers la mobilité, l’accueil et l’inclusion, notamment via l’accès à l’emploi et à la formation. La réforme du permis unique actuellement sur la table de négociation aux niveaux européen et belge est une opportunité pour tenter de résoudre le problème des postes vacants des métiers en pénurie et la régularisation par le travail des personnes dépourvues de séjour légal.

Sans changement de paradigme et de retour aux valeurs fondatrices de l’Europe que sont la solidarité et le respect du droit, la crise de l’accueil en Europe restera permanente et ce ne sont pas les obstacles à la mobilité et l’obsession du retour qui changeront la donne. C’est pourquoi nous demandons à la Belgique, lors du Conseil JAI de ces 9 et 10 mars ainsi que dans le cadre de sa future présidence de l’UE en 2024, de réorienter radicalement les politiques migratoires répressives (et donc le Pacte européen sur la migration et l’asile) en direction de solutions concrètes en termes de mobilité, d’asile et d’accueil qui soient respectueuses du droit international, solidaires et durables.


Signataires :

CNCD-11.11.11, 11.11.11, CIRÉ, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Caritas, Jesuit Refugee Service, Ligue des Droits Humains, Centre avec, MOC, FGTB, CEPAG, CSC Bruxelles, Move, EuroMed Rights et Migreurop.

Carte blanche publiée sur rtbf.be le 9 mars 2023 et en néerlandais sur detijd.be.