Les autorités marocaines ont repris le renvoi de personnes non ressortissantes marocaines noires[1] vers la frontière avec l’Algérie
CP interassociatif sur la situation à la frontière maroco-algérienne
34 personnes de nationalités camerounaise, guinéenne, ivoirienne, malienne et sénégalaise, arrêtées et refoulées entre le 2 et le 10 mars 2017, sont bloquées dans le no man’s land entre le Maroc et l’Algérie.
« Nous ne pouvons aller ni d’un côté ni de l’autre. Nous sommes coincés sans eau et nourriture »
Al. a été arrêté par les forces auxiliaires le 2 mars 2017 à un arrêt de bus dans la ville d’Oujda, alors qu’il était sorti faire des courses. Conduit à la gendarmerie royale d’Oujda pour un contrôle d’identité, une prise d’empreinte et faire des photos, il a ensuite été transporté dans « un camp près de la frontière » dans lequel il est resté 3 jours avant d’être refoulé vers le no man’s land. Il témoigne que les forces de l’ordre lui ont pris, comme aux autres, son passeport et ses effets personnels (argent, téléphone, etc.). Il a déclaré : « Je n’ai pratiquement rien mangé depuis 8 jours et je me bats pour trouver de l’eau ».
L. a été arrêté le 8 mars 2017 à Oujda. Il était en route « pour le chantier » lorsque deux membres des forces de l’ordre « en tenue verte » l’ont arrêté pour prendre ses empreintes et faire des photos. Après 2 jours dans une première caserne où il a rejoint un groupe de 8 personnes, et une nuit passée dans une seconde caserne, il a été refoulé avec 15 autres à 4h du matin le vendredi 10 mars 2017 dans la zone frontalière. Les forces auxiliaires les ont abandonnés à 10 mètres des grillages et leur ont sommé – parfois à coup de bâton – d’aller du côté algérien.
Ab. a été arrêté, avec 17 autres personnes, lors d’une tentative de passage des barrières de Melilla le 7 mars 2017. Il a passé 3 jours dans une caserne et a aussi été refoulé le vendredi 10 mars dans le no man’s land entre le Maroc et l’Algérie.
Des enfants également arrêtés et refoulés
Dans le groupe, se trouvent également 12 enfants arrêtés à Oujda et laissés seuls dans la zone frontalière. Certains ont leurs parents ou leur tuteur à Oujda, d’autres sont venus seuls au Maroc.
« Parmi nous, il y a 14 blessés, dont 3 gravement »
D’après les déclarations des personnes contactées par le GADEM, des violences ont accompagné les arrestations et reconduites à la frontière. Des personnes en migration ont été battues à coup de bâton aux bras, à la tête ou aux jambes : 3 d’entre elles auraient des blessures graves aux jambes. Pour 2 autres, c’est le bras qui aurait été touché. L’une d’elle dit avoir été « tailladée avec des lames tranchantes » au visage. L. a été frappé à l’épaule et Al., blessé au genou, se dit très inquiet de la situation de 3 autres personnes qui sont dans un état grave. L’une d’elle a déjà perdu connaissance deux fois.
Les témoins déclarent avoir été également victimes de violences de la part des forces de l’ordre algérienne en tentant de rejoindre l’autre côté de la frontière.
Des demandes de régularisation déposées
D’après Al. et L., 6 à 7 personnes viennent de déposer une demande de régularisation dans le cadre de la seconde phase de l’opération lancée en décembre 2016.
Al. est installé à Oujda depuis une année et a déposé un dossier pour régulariser sa situation administrative « mais on nous a pris tous nos documents, même nos passeports ». Au sein du groupe, certains sont installés au Maroc depuis bien plus longtemps dont M. qui est là depuis 10 ans. Il habite à Rabat et était venu rendre visite à un ami à Oujda quand il a été arrêté.
« Renforcer la sécurité »
Ces arrestations et refoulements interviennent dans un contexte de renforcement de la répression contre les personnes en migration dans les régions de Tanger-Tétouan et Nador depuis début 2017. Le 8 mars 2017, les autorités marocaines annonçaient la construction de nouveaux postes de contrôle aux environs de Saïdia pour « renforcer la sécurité » en plus de la clôture métallique déjà en place. Le but de cette clôture et des postes de contrôle est de « protéger le Maroc des menaces terroristes » et de « lutter contre la criminalité transfrontalière ». Les personnes en migration deviennent, malgré elles, les victimes collatérales de ce tour de vis sécuritaire.
Une situation incompréhensible au regard de la nouvelle politique migratoire !
Le Maroc s’est pourtant engagé dans une nouvelle politique migratoire qui se veut radicalement nouvelle et respectueuse des droits humains et le gouvernement a adopté une stratégie nationale d’immigration et d’asile. Les organisations de la société civile et les instances de coopération internationale ont salué les efforts mis en œuvre et notamment, la dernière phase de l’opération de régularisation annoncée le 12 décembre 2016. Il est aujourd’hui difficile de comprendre la logique de la reprise des violences et des refoulements vers une frontière fermée depuis 1994. Le renvoi des personnes noires non ressortissantes marocaines vers ce no man’s land menace leur intégrité physique et morale, et constitue un acte de discrimination et de racisme.
Le GADEM et les organisations signataires, tout en rappelant que la loi marocaine en vigueur protège les enfants mineurs contre toute mesure d’éloignement (art. 26 et 29 de la loi n° 02-03), demandent instamment :
- l’arrêt immédiat de toute mesure d’éloignement prise à l’encontre des enfants et la mise en place d’un dispositif de protection à leur égard ;
- l’intervention des autorités compétentes pour que l’ensemble des personnes arbitrairement refoulées en dehors de toute procédure légale soient toutes réadmises - sans conditions et dans les plus brefs délais - sur le territoire marocain ;
- la garantie pour ces personnes d’accéder de toute urgence à des soins, à un point d’eau potable et à de la nourriture ;
- l’arrêt immédiat des violences aux frontières autant du côté marocain qu’algérien.
Premières organisations signataires :
- Le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM)
- La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH)
- Association lumière sur l’émigration au Maroc (ALECMA)
- Le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc (CCSM)
- Le Collectif Loujna Tounkaranké
- Le Conseil des migrants subsahariens au Maroc (CMSM)
- L’Odt travailleurs immigrés au Maroc
[1] Le GADEM a sciemment utilisé cette expression pour insister sur le fait que ces arrestations et refoulements ne concernent pas tous les étranger-e-s au Maroc, mais se font au faciès ciblant des personnes sur la base de leur couleur de peau.