L’Europe est en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente
Bruxelles santé (Belgique), juin 2013
Depuis plus d’une décennie, une approche exclusivement sécuritaire oriente les politiques migratoires européennes : mise en place d’une politique restrictive de délivrance des visas, construction de murs et de clôtures, contrôle militarisé des frontières terrestres, aériennes et maritimes, renvoi forcé dans les pays d’origine et sous-traitance du contrôle migratoire à des États peu démocratiques en échange de rétribution... Et pourtant, l’Europe n’est pas menacée d’invasion, la part des migrations internationales est restée stable ces 50 dernières années, et la majorité des migrations se fait entre les pays du Sud.
Pour empêcher l’accès à ses 42.000 km de côtes, 9.000 km de frontières terrestres et 300 aéroports internationaux, l’Union européenne a créé en octobre 2004 « l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne », dite Frontex, basée à Varsovie. En quelques années, Frontex est devenue l’acteur clé de la politique migratoire européenne. Son rôle est de plus en plus important, comme le montrent l’évolution de son budget annuel (19 millions d’euros en 2006, 118 millions d’euros en 2011), les moyens militaires qui lui sont dévolus, et son autonomie. Frontex a en effet une personnalité juridique, elle peut signer des accords avec les pays tiers et, depuis la révision de son mandat en octobre 2011, elle peut initier des opérations de contrôle des frontières.
Les opérations de Frontex sont à haut risque pour les migrants, et tout particulièrement pour les demandeurs d’asile pourtant théoriquement protégés par la Convention de Genève de 1951, interdisant le refoulement des personnes qui demandent protection. Il existe des témoignages de violation avérée du principe de non refoulement lors d’une opération de Frontex en 2009 (75 boat people interceptés à proximité des côtes italiennes ont été remis à une patrouille maritime libyenne). Par ailleurs, Frontex se félicite d’avoir réduit de 250 à 60 le nombre quotidien d’entrées irrégulières en Grèce via la Turquie en 2011. Mais parmi les personnes qui n’ont pas franchi la frontière par peur d’être arrêtées et enfermées, certaines étaient peut-être en besoin de protection internationale et pouvaient légitimement déposer une demande d’asile (les per- sonnes interceptées à cette frontière sont majoritairement originaires d’Afghanistan, du Pakistan, et du Bangladesh). Et tandis que leur droit de quitter tout pays, pourtant proclamé par la Déclaration universelle des droits de l’homme, était violé, ces personnes ont peut être choisi d’emprunter des voies encore plus dangereuses pour accéder au territoire européen.
Prétextant que les violations des droits ne peuvent être prédites, Frontex ne met pas en place, dans sa stratégie des droits fondamentaux, de mesures préventives appropriées. Pas même en faveur des personnes particulièrement vulnérables comme les mineurs ou les demandeurs d’asile. L’agence estime qu’il n’est pas de sa responsabilité de confirmer que les droits de l’homme sont respectés dans un pays donné. Aucune mesure n’est donc prise pour s’assurer, lors d’opérations menées avec des pays ayant signé des accords avec Frontex, que les migrants ne seront pas soumis à des traitements inhumains ou dégradants. L’analyse de risque, qui est menée en collaboration avec des officiers de liaison présents dans ces pays, ne porte que sur le “risque migratoire” et aucunement sur la situation des droits humains dans les pays de retour. Cela est particulièrement inquiétant dans la mesure où, suite à la révision de son mandat, l’agence peut signer des accords avec les États tiers sans aucun contrôle du Parlement européen.
Par ailleurs, la question fondamentale de la responsabilité de l’agence n’est pas claire : qui est responsable en cas de
violation des droits des migrants, entre l’agence, l’État hôte d’une opération, ou l’État dont relève l’agent qui a commis la faute ? Quels mécanismes effectifs sont mis en place pour garantir l’accès des migrants à l’exercice de leurs droits ? Quelle garantie présente l’agence en termes de respect du principe de non refoulement, lors d’opérations maritimes notamment ?
Autant de questions que la campagne Frontexit lancée par Migreurop et ses partenaires soulève et veut poser aux institutions concernées. A travers des actions d’investigation et de sensibilisation, cette campagne se propose d’informer et de dénoncer dans les pays d’Europe et d’Afrique visés par les actions de l’agence FRONTEX l’opacité juridique qui entoure ses activités, et de démontrer l’incompatibilité du mandat de FRONTEX avec le respect des droits fondamentaux.
Marie-Hélène Salah
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