"Inculpés" de Vincennes, le verdict en appel : peines allégées mais culpabilité confirmée
Vendredi 13 janvier 2012, 13h30.
La salle d’audience de la cour d’appel est pleine. De nombreux militants sont venus écouter le verdict en solidarité avec les « inculpés » de Vincennes. Les avocats de la défense, du trésor public et des parties civiles occupent les premiers bancs. Aucun des « inculpés » n’est présent.
Le président commence par annoncer que la cour a tenu compte, au-delà des situations individuelles, de plusieurs paramètres. D’une part, la cour reconnaît que le CRA de Vincennes était en 2008 « artificiellement divisé » en deux centres et que la « concentration » d’un grand nombre de retenus sur un même site a « facilité les incidents ». D’autre part, elle admet que l’incendie a pris des proportions importantes en raison de facteurs extérieurs : le fait que les extincteurs n’étaient pas rechargés, que les matelas étaient combustibles et que le bâtiment reposait sur une structure légère.
Malgré ces affirmations, la cour confirme la culpabilité individuelle des six condamnés, rejetant ainsi les arguments de la défense sur le caractère collectif de la protestation. Pour le président, les personnes mises en examen n’ont pas eu un rôle mineur ou inexistant mais ont participé activement au déclenchement de l’incendie. La cour considère que certains retenus et non la totalité d’entre eux ont mis le feu, ce dont les enregistrements des caméras de vidéosurveillance témoigneraient. Le président réaffirme que les personnes n’ont pas été prises au hasard : à ses yeux, les caméras montrent qu’A.D. est un leader, que M.D. essaie d’obstruer une caméra et que Ma.D. porte du feu. Dans l’autre CRA, M.S. et N.A. seraient les seuls actifs. Le président admet que d’autres retenus ont « sans doute » participé mais conclut, au sujet des six condamnés : « Ils n’ont pas eu un rôle mineur, ce ne sont pas des boucs émissaires ».
La culpabilité des six hommes est confirmée. Les peines prononcées à leur encontre sont diminuées de six mois par rapport à la première instance :
A.D. :
Première instance:30 mois dont 6 avec sursis
Appel : 24 mois
E.M. :
Première instance : 12 mois ferme
Appel:6 mois
MD :
Première instance : 36 mois fermes
Appel : 30 mois
Ma.D
Première instance : 30 mois dont 6 avec sursis
Appel : 24 mois
N.A
Première instance : 30 mois fermes
Appel : 24 mois
M.S
Première instance:30 mois fermes
Appel : 24 mois
N.A. et M.S. sont en outre condamnés à payer 9864,22 euros sur le préjudice de l’Etat résultant des blessures subies par les fonctionnaires de police. Enfin, N.A. et M.S. sont condamnés à verser à cinq des six parties civiles, 50 euros au titre des frais non payés par l’Etat et exposés par celle-ci.
Le président passe à la lecture d’un autre arrêt, la salle se vide et les soutiens sont amers. Si la cour reconnaît l’importance de plusieurs facteurs extérieurs dans l’incendie et réduit légèrement les peines des accusés, elle confirme leurs responsabilités individuelles dans l’incendie et la destruction du CRA. Au vu des éléments soulignés par la défense tout au long de ce procès, il apparaît pourtant que cet incendie est le fruit d’un mouvement collectif provoqué par un système d’enfermement abusif, que la mise en examen de quelques hommes sur près de 250 retenus repose sur un choix contestable et que les preuves à leur encontre sont bien maigres, voire inexistantes. Aussi peut-on se demander si ce verdict à la fois consensuel et ferme, qui tempère les décisions en première instance mais ne les contredit pas, n’est pas destiné principalement à désamorcer l’affaire. Enfin, on notera que le nom de M. Souli, mort dans le centre de rétention de Vincennes à la veille de l’incendie, n’a pas été prononcé une seule fois au cours de cette ultime audience.
Samedi 14 janvier : un rassemblement qui tourne à l’arrestation massive
Le lendemain du verdict, samedi 14 janvier 2012, un rassemblement d’environ 130 personnes a eu lieu devant le centre de rétention administrative de Vincennes pour protester contre l’existence des centres de rétention et autres lieux d’enfermement. Un des objectifs des personnes rassemblées était de se faire entendre des sans-papiers retenus à l’intérieur du centre, ce qui fut le cas (en partie grâce à des pétards). Une heure et demie après le début de la manifestation, le cortège a été bloqué par les gardes mobiles sur un parking à proximité du CRA. Alors que le rassemblement se déroulait dans le calme, les manifestants ont été gazés, bousculés puis encerclés. Pendant plus d’une heure, ils ont été forcés de rester à l’intérieur du cercle pendant que des policiers en civil faisaient irruption violemment dans la foule afin d’attraper plusieurs militants qu’ils avaient ciblés.
Finalement, les 102 personnes encerclées, soit presque la totalité du cortège initial, ont été arrêtées. Trois manifestants ont été placés en garde-à-vue. Les 99 autres ont été confinés dans deux bus (pour certains pendant près de trois heures) puis transférés dans un local de police jouxtant un dépôt de la SNCF. Ce nouveau local du 18ème arrondissement, qui est officiellement un commissariat de la police régionale des transports, comporte une grande cour entourée de barbelés propice aux arrestations massives. Après avoir subi une fouille et une vérification d’identité, les manifestants ont été enfermés dans la cour pendant plusieurs heures. Ils ont été libérés vers 23h, soit environ quatre heures après l’heure officielle de l’arrestation. Les trois personnes placées en garde-à-vue sont quant à elles passées en comparution immédiate lundi 16 janvier mais l’audience a été reportée. Les motifs invoqués sont : participation à un attroupement armé, violence sur agent et dégradation de bien privé.