« Les inculpés sont les victimes d’une gestion aberrante et irrégulière d’un CRA »

Compte rendu de l’audience du 7 octobre 2011

13h40. Après le rapide rendu des jugements sur d’autres affaires, l’audience en appel de l’incendie du CRA de Vincennes reprend. Sont présents dans la salle, la cour, le procureur, la greffière, les six avocats de la défense, l’avocat des parties civiles, celui du trésor public, trois prévenus (un quatrième arrivera en cours d’audience), cinq témoins et une vingtaine de personnes venues assister à l’audience. Deux policiers resteront durant toute l’audience au fond, près de la porte. L’ambiance est plus calme que la veille. Le président de la cour demande la liste des cinq témoins de la défense présents. Me Stambouli précise qu’un témoin est en retard car il lui était difficile de s’organiser avec ses huit enfants. Le président rappelle ce qu’il avait expliqué la veille : les personnes en retard ne seront pas autorisées à témoigner. Il demande aux témoins de sortir, à l’exception du premier.

« Un chaudron prêt à exploser »

Le premier témoin est Laurent Giovannoni, 51 ans, Secrétaire général de la Cimade  [1] de 2005 à 2008. L’association intervenait dans le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes au moment des faits. A la demande de l’assesseur, M. Giovannoni revient sur la signification de l’acronyme Cimade, Comité inter-mouvement auprès des évacués, dont il définit très brièvement les missions. Il explique par ailleurs qu’il n’a pas été témoin de l’incendie du CRA le 22 juin 2008 et qu’il ne connaît personnellement aucun des prévenus mais qu’il souhaite, en tant que Secrétaire général de la Cimade à l’époque des faits, revenir sur le contexte dans lequel l’incendie a eu lieu. Il s’agit « d’éclairer la cour sur les circonstances ayant débouché sur ces événements - prévisibles - dans le centre de Vincennes ». M. Giovannoni rappelle les alertes données par la Cimade, tant à la Préfecture qu’aux ministères de l’Immigration et de l’Intérieur, concernant les risques et les tensions importantes. Il se propose de remettre ces différents courriers à la cour.

M. Giovannoni refait l’historique qui a conduit à l’incendie. En 2002, le gouvernement change de majorité. En 2003, cette nouvelle majorité opère des changements législatifs en matière d’immigration [2] : le ministère de l’Intérieur fixe des objectifs chiffrés en terme de reconduites à la frontière. Cette politique provoquera l’accroissement du nombre d’interpellations et, par conséquent, du nombre de retenus en centres de rétention administrative (CRA). Le ministère de l’Intérieur entreprend alors de développer un programme de construction et d’extension des CRA. Dès l’origine, la Cimade a mis en garde contre les conséquences d’une telle initiative. Forte de son expérience à l’intérieur des CRA, l’association savait qu’un grand centre de rétention pouvait facilement devenir incontrôlable. Il souligne en effet la difficulté de contrôler des personnes enfermées, soumises au stress et à l’angoisse de l’expulsion. Cet état d’angoisse et de stress maximal ne peut être contenu qu’à la condition pour les retenus de bénéficier d’une prise en compte individuelle et d’une évaluation personnelle de leur situation par les différents acteurs présents. Or, l’augmentation des capacités d’accueil d’un CRA crée un phénomène « d’anonymisation » du fonctionnement et entraîne un examen plus superficiel des situations individuelles. M. Giovannoni donne l’exemple du CRA de Mesnil-Amelot où, lorsqu’en 2003 la capacité du CRA passe de 80 à 140, automatiquement les incidents deviennent quotidiens. Laurent Giovannoni, pour la Cimade, alerte alors le ministre de l’Intérieur N. Sarkozy ainsi que son directeur de cabinet C. Guéant sur les risques d’explosion que comportent les CRA d’une capacité supérieure à 80 personnes. M. Guéant s’engage oralement à ne pas construire des CRA de plus de 100 à 120 personnes. En 2005, un décret limitant la capacité des centres de rétention administrative à 140 est passé [3], ce qui d’après le témoin « est déjà trop mais a le mérite de poser une limite ».

Un mois plus tard, les autorités décident néanmoins de construire un CRA de 280 places à Vincennes, « habillé » administrativement en deux CRA de 140 places. Les CRA 1 et 2 étaient gérés par les mêmes services administratifs, policiers et médicaux, les bâtiments ont brûlé en même temps le 22 juin 2008, donc pour la Cimade il s’agit bien d’un seul CRA. M. Giovannoni souligne à la fois les risques et l’illégalité de cette décision.

Le témoin poursuit en soulignant que le 20 juin 2006, à l’initiative des intervenants en CRA de la Cimade, une manifestation a eu lieu devant le ministère de l’Intérieur. Une délégation est reçue par le conseiller technique de Nicolas Sarkozy, dépose une lettre rappelant les engagements de Claude Guéant et dénonçant la politique du chiffre et le nombre excessif de retenus dans les CRA. Les intervenants de la Cimade ont ainsi à nouveau alerté les autorités des forts risques d’explosion.

En juin 2006, le centre de rétention de Vincennes ouvre. Un premier incendie a lieu en janvier 2007, des travaux de rénovation sont entrepris et le centre ne rouvre à pleine capacité qu’à la fin novembre 2007. De fin 2007 à juin 2008, les incidents graves et les mouvements de protestation se succèdent.

En janvier 2008, de violents heurts entre retenus provoquent l’intervention de la police ; en février, les policiers utilisent leur taser contre les retenus et en avril des gaz lacrymogènes à l’intérieur du centre ; début juin il y a de nouveaux heurts. La situation était explosive, le mode de gestion du CRA poussait les retenus, ainsi que les employés, à bout. La Cimade est reçue à la Préfecture de Police de Paris en février 2008 ; elle l’alerte sur les graves incidents qui ont lieu à Vincennes et l’enjoint de réduire le nombre de retenus au CRA. Le Préfet, venu sur les lieux, répond qu’il n’y a pas de corrélation entre le grand nombre de retenus et la fréquence des incidents. Aucune mesure n’est donc prise.

Enfin, le 16 juin 2008, la Cimade informe à nouveau la Préfecture de Police qu’un drame est chaque jour possible. M. Giovannoni était aussi membre de la « défunte » Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente (CRAZA). Celle-ci avait visité le CRA de Vincennes en avril 2008 et soumet un rapport aux ministères de l’Immigration et de l’Intérieur le 5 juin 2008. M. Giovannoni lit un extrait de ce rapport, qui souligne un “climat de tension et de violence qui règne de façon permanente dans tous les CRA et spécialement à Vincennes, où un rien suffit à mettre le feu aux poudres”, du fait de la concentration dans un même lieu de 280 personnes. M. Giovannoni répète que le centre de rétention de Vincennes n’est pas conforme à l’article R 553-3 du Ceseda [4].

L’un des deux assesseurs de la cour rappelle alors la Convention triennale liant la Cimade à l’Etat. La cour demande alors au témoin de préciser le mandat et le rôle de la Cimade en centre de rétention. M. Giovannoni répond que les intervenants de la Cimade offrent une aide juridique mais jouent aussi un rôle de pacification des relations entre les retenus et la police. Il s’agit pour les intervenants d’offrir une aide aux « retenus » à l’exercice de leurs droits. Leur présence quotidienne leur permet de réaliser un diagnostic pertinent de la situation. La politique du chiffre du gouvernement a crée un effet d’industrialisation dans les CRA, les personnels du CRA et les intervenants de la Cimade étaient débordés et les droits des personnes étaient de moins en moins respectés car leurs dossier étaient traités de façon superficielle. Les services de police eux même dénonçaient cette situation et demandaient à la Cimade de « faire quelque chose ». Le drame du 22 juin 2008, consécutif à la mort d’un retenu malade dans des circonstances peu claires, était prévisible. Tout le monde savait que « le chaudron était prêt à exploser ».

M. Giovannoni rappelle la mort de Salem Souli et le fait qu’il n’y a toujours pas eu de véritable enquête sur les circonstances de son décès. Il conclut son intervention en déclarant que selon la Cimade, « il est évident que les inculpés ne sont pas les coupables mais qu’ils sont les victimes d’une gestion aberrante et irrégulière d’un CRA par la Préfecture de Police et le ministère de l’Intérieur. » S’il y a une responsabilité, la faute revient à ceux qui les ont soumis à des situations extrêmement stressantes. « Négligence, aveuglement ? », il interroge enfin sur qui repose la faute d’avoir négligé les nombreuses alertes : le ministère, la préfecture ? En tout cas, « la responsabilité est là, pas chez les prévenus. »

La deuxième personne appelée à témoigner est âgée de 29 ans et était une intervenante de la Cimade au CRA de Vincennes au moment des faits, qu’elle qualifie de « drame annoncé ». Elle n’a pas assisté aux évènements du 22 juin 2008 et ne connaît pas personnellement les prévenus. Selon elle, il n’y avait pas deux CRA à Vincennes, mais bien un seul, géré par une seule équipe. Les intervenants de la Cimade étaient neuf ; ils tournaient souvent car l’atmosphère était très difficile à Vincennes et ils « craquaient ». Leur rôle consistait à informer les retenus, les aider à comprendre les raisons de leur enfermement ainsi qu’à faire valoir leurs droits. Elle évoque, au delà de l’atmosphère quotidienne tendue, des pics de violence récurrents accompagnés de tentatives de suicide et de grèves de la faim. En janvier 2007, une partie du centre a été détruite par un incendie et l’administration a immédiatement entrepris des travaux de rénovation au lieu de réfléchir au problème de la surpopulation. A partir de décembre 2007, le CRA était toujours plein et il y avait de grosses violences tous les deux mois. Le témoin dénonce une politique du chiffre et établit une corrélation entre les pics de violence et le nombre de retenus présents dans le CRA. Il y avait tout type de personnes venant de se faire arrêter dans le CRA et certains des retenus n’avaient rien à faire là : sans domiciles fixes, personnes ayant la nationalité française, personnes non expulsables, etc. Il y avait un fort sentiment d’incompréhension et le centre était ingérable. Les tensions étaient permanentes, les tentatives de suicide très fréquentes et les pratiques du personnel policier dégradantes : certains retenus étaient mis en salle d’isolement durant une nuit entière accrochés au matelas avec un casque sur les oreilles. D’après le témoin, les comptages des retenus, notamment la nuit, étaient une pratique courante, les violences policières régulières : utilisation de tazers et gaz lacrymogènes, ils déchiraient et piétinaient des Corans.

Le président interroge alors le témoin s’il s’agit là de faits rapportés ou si elle a directement assisté à ces traitements. Elle répond qu’elle a été personnellement témoin de l’agressivité policière et du recours systématique à l’isolement dont certains retenus revenaient en sang et dont les plaintes étaient agrémentées de certificats médicaux attestant des violences subies. Enfin, à chaque pic de violence, il y avait systématiquement un départ de feu. Ces violences se passaient toujours la nuit ou le weekend, quand la Cimade n’était pas sur place pour apaiser les retenus. Tout le monde savait que ce serait à terme « soit un mort, soit un incendie », le témoin conclut « on a eu les deux ». La situation explosive a été maintes fois dénoncée et l’information relayée par des communiqués de presse.

Le troisième témoignage est celui de Marc Bernardot, professeur de sociologie au Havre, spécialiste des migrations et de la question de l’enfermement des étrangers . Le témoin a eu connaissance de l’incendie par voie de presse et ne connaît pas les prévenus personnellement. Il commence par apporter des éléments de contexte en rappelant le processus de mise en rétention des étrangers en situation irrégulière est à l’œuvre dans toute l’Europe depuis une dizaine d’années. Il expose, en amont de la rétention l’extrême état d’incertitude et de stress dans lequel vivent ces étrangers, la forte peur d’être arrêtés et expulsés qui devient un effroi dès lors qu’ils sont convoqués dans des lieux officiels et a fortiori quand ils se retrouvent enfermés dans un lieu aussi restreint qu’un centre de rétention. De plus, le témoin rappelle que l’enfermement fait souvent suite à une arrestation traumatisante, à l’occasion de contrôles policiers voire à de pièges tendus à l’occasion de convocations administratives.

L’architecture des centres de rétention et leur mode de gestion provoque un grand stress pour les personnes retenues. Elles subissent à la fois la désorganisation et des messages d’hostilités ; les témoignages rapportent un grand niveau de violences policières, verbales et physiques. Au moment de l’incendie, Vincennes est le plus grand CRA de France, sa surpopulation est fréquemment dénoncée par les associations, il est connu pour être un centre de rétention très stressant, non seulement pour les retenus mais aussi pour le personnel, qui se plaint des conditions de travail et de la pression provoquée par les objectifs chiffrés du ministère. A Vincennes, les retenus changent très souvent, ils ne comprennent pas les raisons de leur mise en rétention et considèrent leur maintien en rétention et la menace de reconduite à la frontière illégitimes. Le témoin poursuit en soulignant qu’il s’agit d’un contexte favorable au passage à l’acte violent et les retenus sont ainsi placés dans une situation d’infériorité et de dépendance encore plus importante que dans une prison classique. Les retenus des CRA passent d’une vie civile normale et libre à une vie chaotique et enfermée sans avoir commis de « crime ». Lors de la mise en rétention, deux possibilités : l’effondrement psychique du retenu ou alors sa réaction agressive à un sentiment d’injustice. La rétention est désormais « institutionnalisée dans l’architecture administrative », c’est une « grosse machine », avec des risques de dérapages et de désorientation psychique, où les jeunes policiers « font leurs armes ». L’atmosphère de la rétention contamine toutes les personnes présentes au CRA : les policiers, les intervenants de la Cimade, le personnel médical. Celui-ci a intégré le principe de la rétention et les soins sont bâclés, les traitements mauvais. L’atmosphère générale dans un CRA est beaucoup plus imprévisible qu’en détention classique dans une centrale, où il y a du personnel spécialisé et des détenus qui ont reçu une condamnation. La rétention en CRA crée une atmosphère qui contribue à des passages à l’acte.

Négociations et incompréhensions sur la liste des témoins de la défense

14h50. A l’issue du troisième témoignage, Me Stambouli, avocate de la défense annonce que deux témoins sont arrivées à l’audience avec quelques minutes de retard car elles s’étaient trompées de chambre et demande au président d’accepter qu’elles témoignent. Ces témoins sont la sénatrice de Paris, Nicole Borvo Cohen-Seat, et la conjointe d’un des prévenus M. Diakité. Le président refuse à cause du retard, puis il accepte que la sénatrice témoigne mais pas la compagne de M. Diakité. Après protestation des avocats de la défense, le président accepte de leur accorder 5 minutes à chacune. La sénatrice est entendue et à 15h, quand elle a terminé, nouveaux heurts entre la cour et les avocats de la défense au sujet la liste des témoins. Le président refuse : « la compagne d’un prévenu, vous n’y pensez pas comme témoin ! » et déclare que la sénatrice ne s’est pas ajoutée à la liste mais s’est substituée à la conjointe de Diakité, d’autant que la veille la défense avait annoncé 4 témoins et aujourd’hui 5 ; on arriverait ainsi à 7 témoins avec les deux témoins arrivées en retard.

L’un des prévenus, M. Dramé, annonce qu’il accepte que la compagne de M. Diakité témoigne à la place de son témoin, Myriam Belidi, le dernier témoin.

15h12. Alors que la conjointe de M. Diakité s’approche pour témoigner, le président tonne « on a été clair, qu’est-ce que c’est que ces méthodes ? Suspension d’audience ». La cour sort, le public se lève. La compagne de M. Diakité interroge, offusquée : « La souffrance de mes huit enfants vous la mettez où ? C’est une blague ? »

15h20, la cour revient dans la salle d’audience. Me Stambouli et Me Braun font part de leur incompréhension face au refus du président d’entendre le témoignage de la compagne de M. Diakité alors qu’il lui avait préalablement accordé cinq minutes. Le président répond que les parents et les alliés des prévenus ne sont pas autorisés à témoigner devant la cour correctionnelle, seulement devant la cour d’assises. Il ajoute que la compagne de Diakité peut donner une attestation et appelle le sixième et dernier témoin.

Les témoins proches des prévenus

Le quatrième témoin est la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Sea t. Après avoir appris l’incendie du CRA de Vincennes dans la presse, elle s’est rendue sur les lieux le 22 juin 2008 au soir. Elle connaît M. Diakité depuis trois ans, c’est-à-dire avant l’incendie. Elle a visité le CRA de Vincennes en tant que parlementaire trois mois avant son incendie et le soir même. Elle affirme que les retenus sont enfermés dans un lieu atroce, que les conditions de rétention sont très difficiles et l’enfermement dans ces lieux exiguës source de tensions et d’incidents. A chacune de ses visites en CRA, elle sent ces tensions. La sénatrice dénonce la surpopulation et l’augmentation du nombre de retenus. Les retenus sont « des personnes qui sont passées soudainement du statut de personnes libres à personnes criminelles ». Or, conclue-t-elle, les retenus ne sont pas des criminels, ni même des délinquants, ils n’ont pas été condamnés, simplement « punis pour être en France ».

Le cinquième témoin est Martin Werner, 78 ans, retraité, ancien professeur de mathématiques à l’université . Il s’est rendu devant le CRA de Vincennes le 22 juin 2008 car un rassemblement de militants était organisé suite à la mort, la veille, de M. Salem Souli. Il y est resté de 15h30 à 18h environ. Il connaît le prévenu N. Autmani depuis le 27 janvier 2010, date à laquelle celui-ci est sorti de détention provisoire. Le témoin est pratiquement inaudible mais on comprendra que M. Werner a aidé M. Autmani à améliorer sa connaissance du français et qu’il a constaté de grands progrès dans son niveau.

La dernière personne appelée à témoigner sera Myriam Beledi, chargée de projet dans une association pour enfants malades. Elle se trouvait devant le centre de rétention de Vincennes le jour de l’incendie. Elle était venue pour un parloir avec le prévenu M. Dramé et avait emmené son fils. Elle souhaitait voir à quoi ressemblait un CRA car elle avait entendu parler des tensions qui y régnaient. A 19h, elle a vu de la fumée sortir du CRA et le feu s’est propagé très rapidement. Elle était anxieuse.

M. Beledi connaît le M. Dramé depuis plusieurs années et est restée en contact avec lui après l’incendie. Ils se sont connus dans un restaurant près de la Gare de Lyon où il travaillait en cuisine. Elle tient dans ses bras plusieurs dossiers épais ; elle explique : « Dramé est ce que l’on appelle un sans-papiers mais j’ai là dix ans de papiers qui témoignent des boulots qu’il a fait ici en France, de ses demandes de régularisation, etc. » Après sa sortie de rétention, elle a essayé de faire embaucher M. Dramé dans le restaurant d’un ami, qui l’acceptait à condition qu’il ait des papiers. Elle pensait naïvement que puisqu’il ne pouvait quitter la France à cause du procès, on lui donnerait des papiers, et souligne ainsi l’absurdité d’un système dans lequel on peut être à la fois interdit de quitter le territoire mais pas non plus autorisé à y résider ou d’y travailler. M. Beledi parle de la gentillesse et de la serviabilité de M. Dramé, qui garde sont fils quand elle est en déplacement. Elle raconte enfin qu’il a accepté de venir témoigner sur l’enfance au Mali dans l’association pour laquelle elle travaille.

Visionnage des caméras de surveillance des CRA 1 et 2

15h38, fin des témoignages. Le président annonce une séance de visionnage d’extraits choisis des caméras de surveillance des CRA afin d’avoir une vue d’ensemble du déroulement des faits. Les avocats de la défense ont finalement obtenu en appel d’accéder aux films avant l’audience. Le président commente les extraits qu’il montre.
D’abord les films pris par les caméras des unités n° 7, 2, 1 et 3 du CRA 2 dans la tranche 15-16h du 22 juin 2008. Caméras de surveillance de la cour intérieure : des retenus font une marche silencieuse en la mémoire de S. Souli. Un peu plus tard, un groupe de retenus sort des matelas, qui s’accumulent sur la pelouse. Au bout de quelques minutes, des policiers arrivent derrière la grille, un retenu ramène un matelas à l’intérieur. Une personne est agenouillée près des matelas. Quelques minutes plus tard, de la fumée, puis des flammes, montent de la pile de matelas. Une quinzaine de policiers arrivent pour disperser les matelas. Ils ont un extincteur qui ne semble pas fonctionner.

Les autres caméras, filmant la coursive extérieure et les couloirs du CRA, montrent toutes un agent de nettoyage qui continue son travail sans être troublé par l’agitation des retenus dans les couloirs. Me Braun constate que le nom de cet agent est inconnu et qu’il n’a jamais été entendu au cours de l’instruction et du procès.

Les caméras dans les couloirs montrent des retenus qui s’affairent, entrent et sortent des chambres, certains avec une lueur de briquet dans les mains ou une cigarette. Me Braun remarque que le nombre de personnes qui entrent dans une chambre autour de quelqu’un avec un élément enflammé est supérieur au nombre de personnes inculpées. Quelques minutes plus tard, la fumée et les flammes arriveront du bout du couloir.

Les avocats de la défense soulignent la rapidité avec laquelle le feu prend une ampleur considérable. En quelques secondes, la fumée devient très noire et omniprésente et les flammes jaillissent.

16h50. Le visionnage des caméras de surveillance du CRA 2 s’achève. Le président constate que sur ces vidéos « on voit au moins une quinzaine ou une vingtaine de personnes participer. » Il annonce une pause.

17h05. L’audience reprend avec le visionnage des caméras du CRA 1. La majorité du public a quitté la salle d’audience. Tout d’abord, les caméras des couloirs. Beaucoup de mouvements, des personnes qui fument, une porte de chambre démontée et emportée, des choses semblent se passer dans certaines chambres. Quelques altercations avec des policiers, un retenu est traîné au sol par ceux-ci pour être évacué. De la fumée dans les couloirs, un retenu panique. La porte est posée contre les vitres du « bocal » [5] , un retenu notamment saute dessus afin de les briser, en vain. Puis deux retenus ramènent la porte et tentent de la remettre dans ses gonds. D’autres caméras montrent une salle avec des combinés téléphoniques. En sortant dans la cour, des retenus arrachent les fils des combinés, qui résistent tous sauf un. Enfin, un film de la cour intérieure. Un retenu brise un bout de dalle, les autres « se servent en morceaux de cailloux », commente le président. De la fumée apparaît, des retenus jettent des bouts de dalle en direction des vitres.

Fin du visionnage des caméras de surveillance. Le président déclare qu’il faudra voir si ces évènements, départs de feu, démontage de porte, arrachages de dalles, jets de cailloux, échauffourées avec les policiers, arrachage de téléphones, peuvent être interprétés comme des tentatives de destruction du centre de rétention.

18h02. Visionnage de photos apportées par l’avocate de la défense, Me Boitel. Une photo montre le CRA surplombé d’une épaisse fumée noire ; une autre le toit du CRA en cours de destruction par les flammes. D’autres photos montrent l’arrivée des pompiers, 50 minutes après le départ du feu et la sortie des grandes échelles près d’1h30 plus tard. Les heures notées sur les photos correspondent à celles fournies par un témoin de la veille.

18h10. L’audience s’achève. Le président précise le programme des deux prochaines audiences. Jeudi 13 octobre, audition des prévenus Diallo et Mouktaré ; vendredi 14 octobre, Diakité et s’il y a assez de temps, Dramé.