Migrants-Lampedusa : Claire Rodier « L’UE délocalise déjà les contrôles »

Pour Claire Rodier, du réseau Migreurop, les régimes autoritaires du Maghreb et de Libye sont des alliés très coopératifs dans la mise en œuvre des politiques migratoires de l’UE.

Comment 
expliquer cet afflux 
de migrants tunisiens 
à Lampedusa ?

Claire Rodier. Les raisons qui poussent des jeunes Tunisiens à quitter leur pays restent les mêmes qu’avant la révolution. Ils partent à la recherche de liberté et de travail. Mais un couvercle s’est soulevé. Jusque-là, le verrouillage de cette zone de la Méditerranée était assuré par la collaboration entre la Tunisie, la Libye et l’Italie, avec l’appui de l’Union européenne. La police tunisienne empêchait les gens de partir, les patrouilles italiennes et libyennes interceptaient ceux qui avaient réussi à prendre la mer. Avec la chute du régime, la police tunisienne a complètement lâché prise, même si elle entend reprendre vite les choses en main. Cela s’est sans doute conjugué avec un relâchement des patrouilles libyennes. Des questions se posent dès lors sur le rôle de Kadhafi, qui a pour habitude d’instrumentaliser la question migratoire dans ses relations avec l’Europe.

Comment jugez-vous le souhait des autorités italiennes de déployer des policiers sur le sol tunisien ?

Claire Rodier. En réalité, l’UE exporte déjà ses «  compétences  » en matière de contrôle des flux migratoires, avec une délocalisation des contrôles. Des agents européens, par le biais de l’agence Frontex, pratiquent partout des contrôles dans les pays de départ des migrants.

Les gouvernements de la rive sud 
de la Méditerranée sont-ils des gardiens de l’Europe forteresse ?

Claire Rodier. Les régimes autoritaires du Maghreb ainsi que la Libye ne se contentent pas d’interdire la sortie du territoire à leurs ressortissants. Ils sont, pour l’UE, des alliés très coopératifs, dans une région qui tient lieu de zone tampon. Cette externalisation des politiques migratoires de l’Europe se monnaye de diverses façons selon les pays, par exemple en contrepartie d’accords commerciaux.

Entretien réalisé par 
Rosa Moussaoui

Article paru L’Humanité, 15 février 2011

http://www.humanite.fr/14_02_2011-claire-rodier-%C2%AB-l%E2%80%99ue-d%C3%A9localise-d%C3%A9j%C3%A0-les-contr%C3%B4les-%C2%BB-465170