Visite de parlementaires et d’associations à la prison de Billwerder, à Hambourg

La délégation était composée des personnes suivantes :

Cornelia ERNST - Parlementaire européenne GUE/NGL

Sabine WILS - Parlementaire européenne GUE/NGL

Mehmet YILDIZ - Parlementaire régional Hambourg - DIE LINKE

Gisela NUGUID - Chargé des questions migratoires pour l‘Eglise

Clément BONSU - Pasteur et objecteur de conscience en rétention + son successeur

Astrid SCHUKAT - Observatrice des expulsions à l’aéroport d‘Hambourg

Marine DE HAAS - Volontaire E&P Migreurop et Flüchtlingsrat Hamburg

Deux personnes du groupe des visites de l’Eglise, habituées à aller régulièrement en rétention.

La prison de Billwerder enferme des étrangers en situation irrégulière et des détenus de droit commun. Bien que les étrangers soient retenus séparément, la délégation a constaté que les mêmes gardiens travaillent dans les deux espaces. Ainsi les visiteurs ont noté des modes d’encadrement qui avaient tendance à être similaires dans les deux espaces et une gestion carcérale commune qui va bien au-delà de l’esprit – déjà restrictif – de la directive retour de l’Union Européenne. L’Allemagne n’a pas encore transposé cette directive, et les modifications prévues de la loi allemande soulignent un recul des garanties accordées aux étrangers par rapport aux dispositions posées par le texte européen, pourtant déjà coercitives .
Malgré des conditions de détention qui se sont améliorées, la délégation constate que l’enfermement continue de représenter un traumatisme pour les étrangers mainteus ; en témoignent deux suicides et une tentative ayant eu lieu pendant l’année 2010. La délégation a également noté des difficultés pour les étrangers qui souhaitent accéder à une assistance juridique indépendante ainsi qu’une absence de contrôle des conditions de rétention, bien qu’il soit prévu par la loi.

La visite a commencé par un tour dans le département de la prison réservé aux étrangers (Abschiebehaft = rétention). Mr Clement, l’un des responsables de la rétention nous a montré les différentes pièces du département. Plusieurs couloirs, une pièce collective de taille moyenne avec des chaises, des tables et des livres. Il nous a également montré une cellule vide : petite, un lit, une télévision et un lavabo et toilette séparés du reste par une cloison s‘arrêtant aux épaules. Toutes les cellules (35) sont individuelles (une personne par cellule) et équipées d’une télé. Le temps quotidien d’ouverture des cellules a récemment été allongé : désormais les personnes peuvent sortir de leur cellule 8h45 par jour. Cela signifie de 8h à 11h30, de 13h à 15h et de 15h15 à 18h30. Les repas sont pris dans les cellules, seuls. Les visites sont autorisées 4 fois par semaine, à chaque fois pour une heure seulement (sauf le mercredi pour deux heures). Les détenus ont la possibilité d’avoir recours à une assistance juridique (Öffentliche Rechtsauskunft - ÖRA) s’ils en font la demande écrite aux autorités allemandes en charge des étrangers (Ausländerbehörde). Ce sont des juristes qui interviennent mis à disposition par les autorités, donc il ne s’agit pas à proprement parler d’une assistance indépendante. Les autorités allemandes en charge des étrangers sont représentées une fois par semaine en rétention pour répondre aux questions/demandes des détenus.

Les personnes qui possèdent de l’argent au moment de leur mise en détention et/ou de leur expulsion peuvent se voir confisquer d’importantes sommes d’argent par les autorités allemandes en charge des étrangers en vertu de l’article 66 de la Loi allemande sur le séjour des étrangers (http://www.aufenthaltstitel.de/aufenthaltsg.html#66). Sachant que le coût journalier de la rétention à la prison de Billwerder s’élève à 111 €, la personne peut se voir confisquer jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Si le détenu n’a aucun moyen financier, il peut faire une demande « d’argent de poche » et peut obtenir environ 30€ par mois. Les autorités allemandes peuvent interdire à la personne expulsées de revenir sur le territoire allemand tant que celle-ci ne se sera pas acquittée de sa dette.

Au moment où nous avons visité le département de la rétention, 15 personnes étaient détenues. De nombreuses nationalités sont représentées, afghane, turque, ghanéenne, vietnamienne etc. Mr Clement nous a affirmé que la grande majorité venait de Turquie, d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest. Concernant la durée de rétention, il a affirmé que cela pouvait varier d’un jour à six mois. En moyenne les détenus restent deux mois en rétention mais nous avons également appris que le vendredi d’avant, une personne turque avait été libérée après six mois de détention. Ainsi, si cela n’arrive pas souvent, des personnes continuent quand même d’être enfermées au-delà de deux mois. Selon ses estimations, environ un tiers des personnes seraient expulsées dans le cadre du règlement Dublin II.

Nous avons ensuite pris part à une table ronde avec le directeur de l’établissement Mr Quietsch et pu poser, pendant plus d’une heure, les différentes questions, réflexions que nous avions. Il a entre autres parlé des progrès atteints au cours des derniers mois au sein du département rétention de la prison (selon lui : « une offre d’activités plus large pour les détenus, meilleur accès aux soins médicaux, attention accrue envers les problèmes et l’isolation des détenus afin d’éviter des situations dramatiques comme des tentatives de suicide »). Le conseiller des étrangers (Ausländerberater), Mr Seidi était également présent et a informé la délégation sur son travail quotidien en rétention. Mr Seidi, qui parle de 6 à 8 langues européennes et africaines différentes fait office de conseiller social et de traducteur. Mr Seidi et Mr Quietsch nous ont expliqué les tentatives de la direction et du personnel „d’être le plus proche possible des détenus“, en allant directement à la rencontre des personnes et en essayant de rendre les conditions de détention supportables (appels téléphoniques vers l’extérieur, lettres, accès à une assistance juridique...). Cela „afin d’être attentif le plus tôt possible à toute forme de charge psychologique“. Ensuite ont été discutées les diverses activités mises à disposition des détenus : variété de chaînes de télévision, terrain de sport, offre religieuse, groupe de visite de l’Eglise etc. Plus concrètement sur la question des suicides en rétention (2 suicides en rétention en 2010 et une tentative en décembre 2010) les acteurs religieux ont rappelé qu’une table ronde avait été mise sur l’agenda après le suicide dramatique d’une femme en rétention et la nécessité de repenser la rétention. Le directeur de la prison a affirmé ne pas pouvoir initier une telle réunion mais y participerait si on l’invitait.

Concernant la question de l’accès à la rétention d’autres organisations (indépendamment de l’Eglise qui est la seule à aller régulièrement en rétention actuellement), Mr Quietsch a assuré que l’administration et le personnel se réjouissaient de toute nouvelle initiative qui serait dans l‘intérêt des détenus. Si d’autres organisations souhaitaient venir régulièrement en rétention pour rencontrer les détenus, cet accès leur serait garanti dans tous les cas.

„ Nous sommes complètement conscients que les personnes qui se trouvent en rétention ne sont pas des détenus de droit commun. La réalité est cependant telle, que ces deux catégories de détenus sont enfermées dans un même établissement, et cela peut mener à des failles potentielles. La conséquence naturelle est un contrôle exagéré des personnes en rétention“ a affirmé le directeur de la prison de Billwerder. Certains membres de la délégation ainsi que le directeur de la prison soulignent la nécessité pressante d’une séparation réelle entre rétention et établissement pénitentiaire, ainsi que le souligne la directive retour de l’Union Européenne. Mr Quietsch a expliqué : „Evidemment l’idée d’améliorer les conditions de rétention m’est sympathique. Cela pourrait s’effectuer dans un établissement séparé. A Hambourg par exemple, on trouve assez de locaux vides pour mettre en place un établissement à part pour une trentaine de personnes. On pourrait même réfléchir à une rétention ouverte, si celle-ci était effectivement séparée du régime pénitentiaire. Mais ici à Billwerder ce n’est pas faisable.“

Après la table ronde avec le directeur, la délégation est retournée en rétention afin d’échanger avec les détenus et de discuter avec eux. Dans les locaux de la rétention, c’est une ambiance lourde, chargée d’ennui que l’on ressent immédiatement. D. est Ghanéen et se trouve en rétention à Billwerder depuis déjà deux mois. Lorsque sa cellule est ouverte, il fait le tour des locaux de la rétention en cercle sans s’arrêter. Il nous raconte : „Les gens sont ok par ici, nous sommes bien traités mais au final nous sommes toujours prisonniers et c’est vraiment difficile.” Beaucoup se demandent combien de temps encore ils seront enfermés, alors qu’ils n’ont commis aucun délit. Les conditions de détention sont en effet bien meilleures que dans de nombreux établissements allemands et européens. Cela s’explique entre autres par le fait que le nombre de détenus a largement baissé au cours de la dernière année. Le personnel a expliqué à la délégation que cela était sûrement lié au fait que les autorités allemandes en charge des étrangers se décident plus facilement pour des solutions alternatives à la rétention. Cela s’explique également par la disponibilité des services de police. Quand la police aurait beaucoup à faire (manifestations, matchs de football etc.) alors il y aurait moins de nouveaux détenus. En tous cas, même si les conditions de détention à Billwerder peuvent être considérées meilleures qu’ailleurs, la rétention mène automatiquement à des troubles psychologiques parfois très lourds pour les étrangers enfermés quel que soit leur statut administratif (demandeurs d’asile, sans papiers, migrants de passage etc.) ainsi qu’à un sentiment d’isolation marqué qui peut avoir de lourdes conséquences (suicides, automutilations, dépressions...). La tentative de suicide d’un jeune Rom détenu à la prison de Billwerder en décembre 2010 en voie d’expulsion montre clairement que finalement, l’amélioration des conditions de détention ne règle pas les problèmes et que les personnes victimes d’enfermement deviennent malades dans de telles situations.