Sur la nouvelle figure du Juge de Contrôle des Centros de Internamientos de Extranjeros : fonctions et mise en pratique du contrôle
La réforme de la Loi sur les Étrangers, entrée en vigueur le 11 décembre 2009 entraîne l’apparition d’une figure nouvelle dans l’ordre juridique espagnol : le Juge de Contrôle juridictionnel des Centros de Internamientos de Extranjeros (CIE), équivalents espagnols des Centres de Rétention Administrative. En janvier 2011, le Juge d’Instruction en charge du contrôle du CIE d’Aluche à Madrid se prononce au sujet du régime de visite des ONG dans le centre de rétention, encourageant le droit d’accès de ces dernières. Quelques jours plus tard, à Valence, avocats et associations saisissent le Juge auquel incombe le contrôle du CIE de Zapadores au sujet des violences policières et des mauvais traitements constatés dans les lieux.
1) Qui contrôle les Centros de Internamiento de Extranjeros (CIE) ?
Sur la nouvelle figure du Juge de Contrôle Juridictionnel des CIE
[1]
Bien que la Loi espagnole sur les Étrangers établisse le caractère non pénitentiaire des Centros de Internamiento de Extranjeros (CIE) [2], force est de constater que ces établissements recouvrent moins de garanties juridiques que les prisons. Alors que dans les lieux d’incarcération les fonctions de gestion et de surveillance incombent à un personnel pénitentiaire composé de fonctionnaires civils spécialisés, l’administration des CIE est entièrement assumée par des agents du Corps National de Police , souvent jeunes recrues récemment sorties de l’école de police sans avoir reçu de formation au sujet des personnes qu’ils ont à leur charge - personnes dont l’enfermement ne constitue pas, en théorie, une sanction pénale. Ainsi, dans ce contexte de privation de liberté, la Police Nationale détient à elle seule un pouvoir immense sur les personnes qu’elle retient, ne serait-ce que par la détermination des horaires du lever et du coucher, de l’attribution des cellules, de la possibilité et des modalités de mise en œuvre du droit à la communication des retenus avec leur famille par exemple. Outre le fait que la personne retenue nécessite la collaboration de la police pour faire usage de ses droits fondamentaux (le droit à la défense par exemple), toutes les relations de la personne avec « l’extérieur » sont soumises à influence policière. Il est pourtant à rappeler que la police, par les missions qu’elle se voit attribuer, entretient avec la question de l’immigration un rapport fondamentalement répressif. De même qu’il semble évident que ce monopole policier de la gestion des CIEs engage pour corollaires le règne de l’arbitraire et la perpétration d’abus en tout genre auxquels la presse et les rapports d’associations mobilisées sur la question du droit des étrangers font souvent écho.
Pour autant que l’existence de contrôles dans les CIEs s’avère indispensable afin de prévenir les abus en situation de privation de liberté, l’Espagne n’avait jusqu’alors jamais connu de système de contrôle effectif. Certes, un Juge d’Instruction autorisant le placement en rétention existe. Mais cette compétence s’exerce selon des « circonstances aléatoires » mettant à mal le principe du contrôle : la décision du placement incombe au Juge d’Instruction de garde exerçant sa juridiction sur le lieu d’arrestation de la personne, sans qu’il ne soit exigé de ce dernier une quelconque connaissance de cette forme spécifique de privation de liberté, ni du fonctionnement et des particularités du centre où se réalisera l’enfermement. De plus, l’étranger est souvent enfermé dans un centre éloigné de l’étendue territoriale sur laquelle s’exerce la compétence du juge ayant prononcé le placement, éloignement rendant difficile voire impossible tout contrôle par ce même juge quant au respect des droits dans ces centres.
La loi organique 2/2009, dernière réforme de la Loi sur les droits et libertés des étrangers (LOEx) entrée en vigueur le 11 décembre 2009, introduit une figure nouvelle dans l’ordre juridique espagnol : le Juge de Contrôle juridictionnel des Centros de Internamiento de Extranjeros - figure comparable au Juez de Viligencia Penitenciaria (Juge de Surveillance Pénitentiaire) en charge du contrôle judiciaire des prisons depuis 1979. Cette fonction appartient au Juge d’Instruction de la ville dans laquelle se trouve le CIE, ce qui introduit une certaine « continuité » dans les fonctions du juge et la possibilité pour celui-ci de se spécialiser progressivement sur un aspect juridique « jusqu’alors négligé », pour reprendre les mots du collectif Inmigrapenal. Ainsi, l’article 62.6 de la LOEx établit que « le Juge compétent pour autoriser, ou, le cas échéant, suspendre la décision de l’enfermement sera le Juge d’Instruction du lieu où s’est produite l’arrestation. Le Juge compétent pour le contrôle du séjour des étrangers en centre de rétention, ainsi que dans les zones d’attente aux frontières, sera le Juge d’Instruction du lieu où ils [les bâtiments] sont situés (...). Ce Juge prendra connaissance, sans recours ultérieur, des requêtes et des plaintes émanant des retenus lorsque celles-ci concernent leurs droits fondamentaux. Le juge pourra également visiter ces centres quand il aura eu connaissance d’une quelconque atteinte ou lorsque il le considérera opportun ».
Si l’introduction d’un Juge de Contrôle engage un mécanisme inédit d’interposition, il convient également de rappeler, à l’exemple du collectif Inmigrapenal, les difficultés mettant en doute la tangibilité de ce droit de contrôle. Premier obstacle : les juges de Contrôle des CIE ne sont pas les juges habilités à se prononcer sur le placement d’une personne en rétention, alors que leur fonction suppose qu’ils puissent mettre fin, quand ils le jugent nécessaire, à l’internement d’un retenu. En effet, si la fonction du juge de Contrôle est de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes retenues, devrait alors être prévue - et incorporée dans le Règlement d’application de la Loi sur les Étrangers en cours d’élaboration - la possibilité pour ce dernier de solliciter au Juge d’Instruction compétent la levée de la décision d’enfermement en cas d’urgence. Seconde limite à l’exercice de ce droit de contrôle : le Juge de Contrôle n’est pas forcément le juge responsable de l’instruction des causes pénales des faits délictueux constatés dans le CIE, de sorte que son introduction dans le système judiciaire « ne palliera pas, semblerait-il, les manquements spécifiques à l’élucidation des faits ». Enfin, l’article 62.6 ci-avant mentionné, ne contient aucun développement quant aux fonctions et facultés de ces Juges de Contrôle, lacune qui mériterait d’être réparée dans le futur Règlement d’application de la Loi sur les Étrangers. Malgré ces questionnements, les exemples développés ci-après illustrent la mise en marche du mécanisme de contrôle des CIE par les juges. Concluant dans le cas madrilène.
2) Exercice du contrôle : le Juge d’Instruction n°6 de Madrid appuie le droit de visite des ONG dans le centre de rétention d’Aluche
Le 13 janvier 2011, suite aux plaintes d’organisations sociales [3] de défense des droits des migrants et après avoir réalisé trois visites d’inspection dont la dernière remonte au 28 décembre dernier, le Juge d’Instruction n°6 de Madrid en charge du contrôle juridictionnel du CIE d’Aluche se prononce au sujet de « la difficulté éprouvée tant par les personnes internées à communiquer ou recevoir les visites des ONG, que par ces mêmes ONG lorsqu’elles souhaitent visiter et assister les personnes internées » [4].
Dans une premier temps, la résolution judiciaire dénonce le régime de visites réservé aux ONG qui « ne peuvent venir rencontrer les retenus que pendant l’après-midi (aux même heures que les familles), ne peuvent s’entretenir qu’avec une seule personne par visite, et sont tenues de faire la queue et d’attendre dans des espaces indignes exposés aux intempéries » [5] . Le juge note également que lors de la longue visite au centre qu’il réalisa le 28 décembre 2010, les parloirs de la salle de visite se trouvaient vides, pour la plupart. Les explications seront fournies par le Chef de la Sécurité : le matin, les visites sont réservées aux avocats des retenus.
L’arrêt du Juge d’instruction rappelle ensuite le caractère non pénitentiaire des CIE où, en matière de droits et libertés, seule la liberté de circulation à vocation à être limitée - et d’aucune manière les droits et les libertés reconnus par la loi au rang desquels le droit des retenus à recevoir des visites et à communiquer avec les ONG, et réciproquement. En effet, l’article 62 bis de l’actuelle Loi Organique sur les droits et libertés des Etrangers (LOEx) établit, outre « le droit d’une personne retenue à se voir faciliter l’exercice de ses droits reconnus par la loi » [6], « le droit d’une personne retenue à contacter des organisations nationales, internationales et non gouvernementales de protection des migrants » [7]. De même, l’article 62 bis dispose que « les organisations de défense des droits des étrangers pourront bénéficier d’un droit d’accès dans les centres de rétention, le Règlement d’application de cette loi établissant les conditions de ce droit d’accès ». Au delà de promouvoir le droit à la communication des personnes retenues, le Juge rappelle enfin que ces références juridiques différencient la visite et l’action des ONG des visites des proches : « la réalité sociale » démontre que l’action des ONG, aux déclinaisons plurielles (assistance juridique, humanitaire...), se distingue du « concept de simple visite de soutien ». En conséquence, et cela afin d’apporter une assistance effective aux retenus du CIE d’Aluche, le Juge demande au directeur du centre que les ONG bénéficient d’un régime de visite similaire à celui prêté aux avocats, à savoir, « que les membres des ONG, qu’ils soient ou non des avocats puissent visiter et communiquer avec les retenus le matin comme l’après-midi sans avoir à faire la queue, et que les visites et les communications se soient pas soumises à une durée maximale de vingt minutes mais que les ONG disposent du temps nécessaire pour la réalisation de leurs engagements ».
La résolution judiciaire s’attarde enfin sur le « régime généralisé de suspicion du visiteur comme de la personne internée » régnant dans les salles de visite,« comme si la visite comportait un danger » [8]. Le Juge mentionne à cet égard la présence policière permanente dans le lieu de rencontre ainsi que l’enregistrement scrupuleux des visiteurs à l’entrée du CIE. Il dénonce ensuite l’existence d’un système vitré automatisé - de type carcéral - dans les parloirs qui, une fois les salutations faites, impose que la discussion se fasse par l’intermédiaire d’un appareil téléphonique et « empêche tout contact physique et relation directe intime ». Sera requise dans la résolution la mise en place d’un système de communication « ouvert, intime, personnel permettant une relation directe, sans intermédiaire téléphonique ».
Le 28 février, les nouvelles normes d’application entrent en vigueur. Les ONG bénéficient d’un droit de visite inconditionné. La durée de visite est illimitée, et les visites pourront se réaliser sans surveillance policière, de manière directe et avec possibilité de contact physique. Enfin, les organisations auront le droit de "recevoir et de donner tout type de documentation aux personnes retenues sans que ces dernières ne fassent l’objet d’un contrôle sauf vérification qu’il ne s’agit pas d’objets dangereux" [9]
Les organisations Pueblos Unidos, SOS Racismo et Ferrocarril Clandestino [10] ainsi que les associations constitutives du réseau Migreurop dans l’État espagnol saluent une décision judiciaire qui « constitue une avancée fondamentale sur le chemin menant au respect des droits des personnes étrangères enfermées dans les CIE » [11]. A noter également que les conditions du droit d’accès des ONG, droit prévu par la LOEx, seront développées dans le futur règlement d’application de cette loi. L’enjeu de ce Règlement, dans lequel le régime d’enfermement des étrangers sera notamment explicité, est de taille. Toujours en cours d’élaboration, il était dans un premier temps prévu que le texte soit achevé en juin, puis en décembre 2010 mais n’est toujours pas sorti des arcanes ministérielles. En ce sens, l’arrêt du Juge d’Instruction revêt une caractère exemplaire : il rend avant l’heure effectif le droit d’accès des ONG prévu par la loi dans le centre d’Aluche et permet aux associations de demander qu’une version consolidée de cette résolution, appliquée à tous les CIE espagnols, soit incorporée dans le Règlement afin d’y garantir le droit d’accès des ONG.
3)La justice enquête sur les mauvais traitements commis dans le CIE de Valencia
Le 18 janvier 2011, neuf avocats du Collège des Avocats de Valence, accompagnés du collectif à l’initiative de la Campagne pour la fermeture des CIE (un réseau constitué par une vingtaine d’associations et d’ONG) saisissent le Juge d’Instruction nº3 de Valence en charge du Contrôle du CIE de Zapadores [12]. La plainte, étayée par les témoignages de plus de soixante retenus actuellement enfermés dans le centre de rétention ainsi que de migrants maintenant remis en liberté, dénonce deux types de situation.
Elle rapporte dans un premier temps une succession de mauvais traitements infligés par la police ou le personnel du centre aux détenus, observée pendant les mois de novembre et décembre derniers : coups de pied, punitions collectives démesurées suite aux mouvements de protestations des retenus quant aux mauvaises conditions de vie dans le centre, usage abusif des cellules punitives, absence de soin malgré les blessures provoquées par les mauvais traitements...
Elle se réfère ensuite aux mauvaises conditions de vie dans le CIE et aux violations quotidiennes des droits les plus basiques : absence de traitement médical adéquat en cas de maladie grave ; impossibilité pour les retenus enfermés la nuit dans des cellules collectives d’accéder aux toilettes entre 23:30 et 8:30 ; absence d’information des retenus quant à leurs droits ; confiscation des effets personnels -dont le téléphone mobile, les couvertures apportées par le famille ; manque d’intimité, impossibilité de contact physique lors des visites, contact visuel limité (un mur semi vitré sépare les visiteurs de la personne retenue, les personnes se doivent de crier pour se faire entendre)...
Première du genre, cette plainte, admise par le Juge d’instruction, a permis l’ouverture d’une enquête. Ce dernier a ensuite demandé à visionner les bandes de vidéosurveillance du centre avant d’exiger les rapports des médecins. Plus tard, victimes et témoins seront amenés à comparaître. Affaire à suivre.