La carte des camps de Migreurop dans le Rapport Hammarberg
La criminalisation des migrations en Europe : quelles incidences pour les droits de l’homme ?
Strasbourg, 4 février 2010
CommDH/IssuePaper(2010)1
Or. anglais
La criminalisation des migrations en Europe : quelles incidences pour les droits de l’homme ?
Document thématique commandé et publié par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
Les documents thématiques sont commandés et publiés par le Commissaire aux droits de l’homme pour contribuer au débat ou approfondir la réflexion sur une importante question d’actualité en matière de droits de l’homme. Les opinions exprimées par les experts dans ces documents ne reflètent pas nécessairement la position officielle du Commissaire.
Le présent document thématique a été établi par Mme Elspeth Guild, professeur à l’Université Radboud de Nimègue, à la suite d’un atelier d’experts organisé par le Bureau du Commissaire à Paris les 24 et 25 septembre 2009.
Table des matières
I. Introduction
II. Vue d’ensemble des réactions internationales face à la tendance à l’incrimination des migrations
III. Le droit pénal et l’incidence de son application au domaine des migrations
a. Le droit pénal et les victimes
b. Incidence de la terminologie de l’incrimination
IV. Le droit européen des migrations et le développement de la politique d’incrimination
a. Le franchissement des frontières extérieures
L’entrée irrégulière sur le territoire et l’intéressé
L’entrée irrégulière sur le territoire et les tiers
Les enjeux en matière de droits de l’homme
b. Le séjour et l’emploi des immigrés
Les enjeux en matière de droits de l’homme
c. L’asile
Les enjeux en matière de droits de l’homme
d. La rétention administrative
Les enjeux en matière de droits de l’homme
e. Les incidences sur les droits sociaux
Les enjeux en matière de droits de l’homme
V. Les incidences de la législation et des politiques européennes en vigueur en matière de migrations
a. Le franchissement des frontières extérieures
Les mesures directes
Les mesures indirectes
b. Le séjour, l’emploi et le retour des immigrés
Les mesures directes
Les mesures indirectes
c. L’asile
Les mesures directes
Les mesures indirectes
d. La rétention administrative
Les mesures directes
VI. Conclusions et recommandations
dans la partie RÉTENTION :
d. La rétention administrative
Le placement prolongé de migrants en rétention administrative représente l’un des principaux aspects du phénomène de la criminalisation des migrations en Europe. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a accordé une attention toute particulière à cette situation et a invité les États membres « à interdire progressivement la rétention administrative des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile, en établissant une distinction claire entre ces deux groupes, et, dans l’intervalle, à permettre le placement en rétention uniquement lorsque cela s’avère nécessaire pour empêcher l’entrée illégale dans le pays ou pour assurer l’expulsion ou l’extradition, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme », ainsi qu’à « veiller à ce que le placement en rétention soit autorisé par les autorités judiciaires »48.
Le recours à la rétention administrative, conçue comme un mécanisme de préexpulsion, a fleuri partout en Europe au cours de ces dix dernières années.
L’organisation non-gouvernementale Migreurop a établi et mis à jour la carte des centres de rétention pour ressortissants étrangers en Europe [1]
. L’examen rapide de cette carte montre qu’il existe des centaines de centres de ce genre. L’O.N.G. française Cimade a publié un rapport sur la rétention administrative en France et consacré plus de 400 pages à ce grave problème signalé depuis longtemps. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a souligné un autre aspect négatif de la rétention des ressortissants étrangers : leurs conditions de rétention trop souvent épouvantables50.
Comme l’a indiqué le CPT à plusieurs reprises, les personnes placées en rétention courent davantage le risque d’être victimes d’atteintes aux droits de l’homme. Les préoccupations exprimées par le CPT au sujet de la rétention des ressortissants étrangers transparaissent clairement dans son recueil de normes, qui comporte un chapitre spécialement consacré au traitement des personnes retenues en vertu de la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers51. Le CPT a clairement affirmé qu’il n’acceptait pas l’argument selon lequel les ressortissants étrangers placés en rétention n’étaient pas des détenus puisqu’ils pouvaient quitter quand ils le souhaitaient le territoire sur lequel ils se trouvaient. Le Comité a fait part de sa profonde inquiétude à l’égard du placement en rétention des ressortissants étrangers dans des établissements pénitentiaires, qu’il juge fondamentalement imparfait52. Le CPT s’est en outre prononcé sur le recours à la force dans le cadre des procédures d’expulsion : « les membres des forces de l’ordre peuvent, à l’occasion, être contraints de recourir à la force pour procéder à un tel éloignement. Toutefois, la force employée devrait être limitée à ce qui est strictement nécessaire. Plus particulièrement, il serait totalement inacceptable que des personnes faisant l’objet d’un ordre d’éloignement soient agressées physiquement pour les persuader de monter à bord d’un moyen de transport ou pour les punir de ne pas l’avoir fait »53. Le fait de séparer une personne du reste du groupe dans des conditions qui permettent aux gardiens d’exercer un pouvoir considérable sur le bien-être de l’intéressé le met spécialement en danger et impose de lui accorder une attention particulière. Le recours croissant au placement des ressortissants étrangers en rétention préoccupe gravement le CPT.
Les enjeux en matière de droits de l’homme
Au regard de l’article 5 CEDH, la détention régulière fait exception au droit à la liberté et la sûreté d’une personne. Cette exception est strictement délimitée et uniquement applicable aux personnes condamnées par une juridiction, en vue de conduire une personne devant une juridiction, aux mineurs, aux malades et aux ressortissants étrangers. S’agissant de ces derniers, l’exception doit être motivée par le fait qu’il « s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».
La Cour européenne des droits de l’homme a statué sur la légalité du placement en rétention d’un ressortissant étranger à des fins administratives, alors que son expulsion n’était pas envisagée54. Elle a déclaré à cette occasion qu’elle « [tenait] compte de l’importance de cette disposition dans le système de la Convention : elle consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté » (paragraphe 63). Elle a cependant estimé que « tant qu’un Etat n’a pas « autorisé » l’entrée sur son territoire, celle-ci est « irrégulière », et que la détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser - sans que la formule soit dénaturée - à « empêcher [l’intéressé] de pénétrer irrégulièrement ». La Cour a cependant ajouté que « pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre de pareille mesure de détention doit donc se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés, car « une telle mesure s’applique non pas à des auteurs d’infractions pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays » (Amuur, précité, § 43) ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi » (paragraphe 74). Compte tenu des graves conséquences d’une détention sur une personne, les lignes directrices définies par la Cour en matière de légalité sont extrêmement importantes. Les États ne sauraient enfermer les ressortissants étrangers du seul fait de leur statut (c’est-à-dire l’absence d’autorisation), puis se désintéresser du problème.