Malte
MALTE
Généralités
Malte est un petit archipel densément peuplé situé au centre de la Méditerranée, il fait partie, depuis le 1er mai 2004, des frontières les plus au Sud de l’Union européenne.
À Malte, l’immigration est un phénomène récent engendré dans un premier temps par l’arrivée de réfugiés irakiens fuyant la première guerre du Golfe au cours des années 1990.
L’archipel présente la caractéristique d’être situé aux confluents de la Méditerranée entre la Sicile, la Libye et la Tunisie. Il est donc placé sur la route de nombreux migrants quittant l’Afrique du Nord pour rejoindre l’Europe. Proportionnellement, compte tenu de sa taille et de sa population, Malte est de loin le pays membre de l’Union Européenne à recevoir le plus de migrants.
Depuis 2002, année des arrivées massives de bateaux venus de Libye, l’immigration à Malte est perçue comme un problème par le gouvernement et les habitants. À la différence d’autres îles receveuses d’immigration comme les Canaries ou Lampedusa, Malte est un micro Etat qui ne peut, par conséquent, renvoyer les migrants dans une métropole et qui a donc en charge de traiter seul les nouveaux phénomènes migratoires.
Dès l’arrivée des premiers bateaux de migrants, le gouvernement maltais a mis en œuvre la politique de détention systématique de la loi d’immigration en construisant des centres de rétention dans l’urgence. Tous les migrants, demandeurs d’asile ou pas, sont enfermés jusqu’à leur rapatriement ou jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant leur demande d’asile. Alors que le nombre de migrants s’accroit, les autorités n’ont cependant jamais tenté de trouver de solutions pérennes et les centres de rétention d’urgence existent maintenant depuis des années.
L’asile
Alors que le nombre de demandes d’asile a considérablement baissé dans les autres pays européens, celui-ci croît fortement à Malte ainsi que dans les dix nouveaux pays entrés dans l’Union Européenne [1] .
La détention systématique en vigueur à Malte explique en partie ce phénomène : puisque le statut legal conséquent à la demande d’asile induit une diminution de la détention (de 18 à 12 mois maximum), quasiment toute la population immigrante demande asile, même si certains candidats préféreraient un système de régularisation plus « classique ».
Détention
Tous les migrants, qu’ils soient demandeurs d’asile ou pas, sont enfermés jusqu’à ce que les autorités en charge décident d’un éventuel besoin de protection internationale, si les services sociaux établissent une sévère vulnérabilité, ou encore, organisent un rapatriement.
Durée de la détention
La durée de la détention n’est inscrite dans aucune loi. Elle est établie dans un « policy document » de 2005 et s’élève à un maximum de 18 mois pour les migrants irréguliers, les migrants qui ne demandent pas asile et pour les personnes déboutées de leur demande. Pour les demandeurs d’asile, un maximum de 12 mois est fixé. Cette limite est une conséquence de la « Directive accueil » [2] qui spécifie que les demandeurs d’asile doivent avoir la possibilité d’accéder au marché du travail après 12 mois passés sur le territoire. Comme cette disposition ne peut s’appliquer si les demandeurs d’asile sont détenus, la pratique a évolué vers une libération systématique, après 12 mois, des personnes ayant demandé l’asile et qui sont toujours en attente de la décision d’une des autorités en charge (« Office of the Refugee Commissioner » ou « Refugee Appeals Board »).
Les personnes vulnérables
Les personnes dites vulnérables ne sont, en principe, pas soumises au régime de détention. En pratique, tout immigrant irrégulier est détenu et ce n’est que suite à leur enfermement que les personnes présentant une vulnérabilité font l’objet d’une évaluation pour décider de leur libération. La libération des personnes vulnérables n’est pas automatique. Les évaluations sont conduites par « l’Organisation for Integration and Welfare of Asylum Seekers (OIWAS) », une agence gouvernementale qui a également en charge la gestion des centres dit « ouverts » destinés aux immigrants, demandeurs d’asile, réfugiés et personnes vulnérables. Certaines procédures de libération des personnes vulnérables sont retardées si les places disponibles dans ces centres ouverts viennent à manquer. Quant à l’évaluation, elle présente certains problèmes : par exemple pour les femmes enceintes ou les familles avec de jeunes enfants, qui ne présentent pas de difficulté particulière en termes d’évaluation de la vulnérabilité, la procédure devrait être assez rapide. Or en pratique, il apparaît qu’elle peut prendre de quelques jours à des mois. Un exemple frappant fut le cas de deux mères congolaises avec leurs 6 enfants qui ont été détenus pendant six mois dans un centre mixte, logées dans une chambre meublés de deux lits doubles pour les deux familles. Ou encore cette famille somalienne dont la femme est arrivée à Malte enceinte, a été detenue jusqu’au terme, puis renvoyée en détention jusqu’à ce que le bébé ait atteint l’âge de trois mois. En 2007, après maintes plaintes de la part des ONG, les mineurs non accompagnés ont tous été libérés après 9 mois de détention, car la plupart étaient en attente de test de vérification de l’age (la radiographie du poignet). Ils ont en grande majorité rejoint les centres ouverts pour adultes jusqu’à la fin de l’évaluation.
Les procédures d’évaluation varient selon la vulnérabilité. Elles démarrent par une recommendation de la Police d’Immigration qui listera la présence de femmes enceintes, enfants, ou mineurs auprès d’OIWAS. Si la Police n’a pas fait de recommendation, le ONG présentes peuvent également faire des recommendations si la vulnérabilité n’a pas été détectée auparavant ou si la vulnérabilité apparait en détention. Pour d’autres cas plus délicats, comme les victimes de traumatismes ou les cas psychologiques, les recommendations doivent êtres étayées de rapports ou de preuves, telles que certificats médicaux ou évaluations psychologiques. Il n’y a pas de cellule psychologique en détention. MSF fournissait ce service jusqu’à recemment (expliqué ci-après).. Sans leur présence, les ONG peuvent tenter de faire appel aux services d’un spécialiste privé. Souvent, les recommendations de cet ordre sont effectuées après un séjour en hopital psychatrique car la situation de ces personnes vulnérables non détectée à l’arrivée compte tenu de l’absence d’un service spécialisé se dégrade en détention.
Une fois les recommendations faites par les differentes organisations, gouvernementales ou non gouvernementales, OIWAS procédera à un premier entretien avec une assistante sociale, qui fera un rapport destiné à une équipe spécialisée pour les évaluations de vulnérabilités spécifiques d’OIWAS. Si cette équipe reconnait une vulnérabilité qui ne permet pas la détention d’une personne, elle fera elle-meme une recommendation auprès de l’Officier Principal de l’Immigration en charge de la mesure de détention. Celui ci peut accepter ou refuser la recommendation. Si il l’accepte, il ordonne la visite médicale obligatoire préliminaire à la libération. Sinon, la personne concernée devra rester en détention. Chaque étape présente un délai variable, non déterminé. Aucun appel contre les décisions n’est prévu par la loi.
Les autres catégories de personnes dites vulnérables sont généralement soumises à des procédures bien plus longues et les cas de victimes de torture et de traumatismes ou encore de mineurs non accompagnés sont de probants exemples de délais particulièrement longs qui soulignent de graves dysfonctionnements dans le système d’évaluation.
Centres de rétention
Les camps de détention sont au nombre de trois (Safi Barracks, Lyster Barracks et Ta’Kandja), d’une capacité totale d’environ 2300 personnes, ils sont divisés en « compound », certains sont gérés par la Police, mais la plus grande partie de ces centres est gérée directement pas les forces armées (AFM) [3]. Il existe, en outre, un centre de transit à l’aéroport, mais où l’accueil ne dépasse pas une nuit. Ensuite selon le cas, il peut y avoir transfert vers un centre de détention si l’éloignement n’est pas possible. Les centres de détention sont mixtes, les femmes sont détenues avec les hommes, cependant depuis le premier trimestre 2009 on observe une répartition visant la fin de la mixité des centres, qui n’est pas encore totalement effective. De même, il n’y a pas de centre spécifique pour les familles avec des enfants, ni pour les mineurs non accompagnés.
Les visites sont autorisées dans certains centres uniquement sur demande. Une ligne téléphonique fixe est installée dans chaque centre pour recevoir et donner des appels, le crédit alloué par personne est de 5 euros tous les 2 mois. Les téléphones portables sont interdits et confisqués dès l’arrivée, tout comme l’ensemble des biens des détenus (argent, documents etc.). Les ONG sont fouillées à chaque visite et des fouilles sont parfois organisées dans les centres.
L’accès aux soins est organisé par une entreprise privée maltaise Medicare et, entre septembre 2008 et mars 2009 par Médecins Sans Frontières qui avait accès aux camps de détention jusqu’à ce que cette ONG annonce son retrait des camps. Selon MSF, les conditions actuelles de détention aggravent les risques médicaux et psychologiques du fait : du manque d’entretien des pièces sanitaires, de la mixité des centres jusque dans les sanitaires, de l’absence de personnel féminin pour encadrer les femmes détenues, du manque de lits et de la présence trop courante de matelas à même le sol, d’un manque de « promenades » (2 heures par semaine dans certains centres). De plus, il a été considéré que le personnel médical était insuffisant pour couvrir les besoins des détenus, l’absence de cellule psychologique, de pharmacie, d’endroit pour les quarantaines rendant beaucoup de consultations et de soins inutiles. Actuellement, les cellules de punition et de traitement disciplinaire sont encore utilisées afin de mettre des détenus en quarantaine. Les décisions de quarantaine sont prises par le personnel de detention dès le moment ou le risque de contagion est determiné par les medecins de Medicare. Ces cellules n’offrent pas les garanties sanitaires nécessaires, et de plus la décision de placer des personnes en isolement pour raisons médicales ne devrait être prise que par le personnel médical.
Les ONG ont accès aux centres après une demande d’autorisation auprès du Ministère de la Justice et des Affaires Intérieures. Ces permis peuvent être délivrés après plusieurs mois d’attente. En pratique, Jesuit Refugee Service, une ONG proposant une assistance juridique aux détenus, ainsi que Médecins sans Frontières pour l’assistance médicale se rendent régulièrement en rétention (jusqu’en mars 2009 pour MSF). Cependant, en février 2009, MSF lors de la publication de son rapport, regrettent que leurs activités en rétention ne s’accompagnent d’aucune amélioration des conditions sanitaires de la part des autorités. D’autres ONG s’y rendent ponctuellement comme Red Cross qui offre un service de recherche et de réunification de famille ou SOS Malta pour les retours volontaires. Le HCR a également accès aux centres de détention sans retenue. En théorie, les avocats ont accès aux centres de rétention. En pratique , le fonctionnement des centres induit un accès limité : les détenues n’ont pas de contact, leur argent est confisqué dès l’arrivée, et il n’y pas d’aide juridictionelle en première instance. Pour les procédures d’appel, la plupart des demandeurs d’asile demandent l’aide juridictionnelle et une liste de « legal aid lawyer » ont un droit d’accès aux centres à cet usage. Si un detenu souhaite faire appel aux services d’un avocat privé, l’autorisation doit être préalablement demandée aux autorités.
Des limitations sont posées pour l’accès aux cellules d’isolement ou de punition, ainsi qu’en cas de troubles de l’ordre.
Les centres ouverts
Il existe differents types de centres ouverts qui sont gérés par une agence gouvernementale appelée OIWAS.
Trois maisons de petite capacité offrent un support particulier pour les familles et les mineurs. A cela s’ajoute un centre d’accueil exclusivement pour femmes ; ouvert en 2008.
Les couples sans enfants sont logés dans des préfabriqués aux abords d’un ancien hangar à avion ouvert en 2008 dans lequel se trouvent 800 lits superposés réservés aux hommes célibataires. Un autre centre pour hommes célibataires appelé le « Tent Village » est composé de 45 tentes pour 1300 personnes.
Plus proche de la ville, se trouve le centre ouvert de Marsa, une ancienne ecole réamenagée. Il s’agit du centre le plus populaire parce qui’il est plus facile de trouver du travail le matin aux abords du centre. Les migrants sortent de bonne heure dans la rue et attendent que les camions d’employeurs les choississent pour la journée.
La capacite totale des centres ouverts est de 3500 personnes.
Situation des mineurs
Les mineurs non accompagnés sont « évalués » par OIWAS (Organisation for Integration and Welfare of Asylum Seekers). La procédure d’évaluation consiste en une interview du mineur effectuée par un assistant social. Si l’interview est concluante le mineur est libéré avec un ordre de garde (plaçant le mineur sous la garde du ministère des affaires sociales). Si l’interview n’est pas concluante, le mineur reçoit une lettre l’informant qu’il est considéré comme étant un adulte. Si, après cette interview, un doute subsiste, OIWAS ordonne la réalisation d’un test médical consistant en une simple radiographie des os afin d’estimer l’âge du mineur. Selon les résultats de ce test, le mineur sera libéré ou non.
Les procédures peuvent prendre des mois avant d’êtres finalisées, durée pendant laquelle les mineurs ne sont pas séparés des détenus adultes.
Externalisation et surveillance des frontières
La responsabilité des autorités maltaises de secourir les bateaux en détresse ne se limite pas aux eaux territoriales maltaises. La SAR (Search and Rescue Area) [4] de Malte s’étend quasiment de la Tunisie jusqu’en Grèce, ce qui signifie qu’un bateau se trouvant en détresse dans cette région relève de la responsabilité de Malte qui est alors dans l’obligation de le remorquer sur ses côtes. L’atout économique peut justifier la réticence du gouvernement maltais à réduire sa zone SAR puisqu’elle coincide avec les droits de la “Flight Information Region” qui représentent un revenu considérable par les taxes sur le traffic aérien au dessus de la zone. Si un bateau n’est pas en détresse, les patrouilles le laisseront généralement continuer sa route vers Lampedusa (Italie). Par ailleurs, la Libye refusant généralement d’assumer la responsabilité des bateaux présents dans ses eaux territoriales, les patrouilles maritimes Frontex remorquent alors les bateaux vers l’Europe, soit vers l’Italie, soit vers Malte.
En 2009, les relations entre l’Italie et Malte ont été marquées par les disputes de responsabilité envers les navires en détresse au large de Malte ou Lampedusa. Malte se réfère aux conventions SOLAS présentant la notion de port le plus proche, l’Italie rappelle la responsabilité maltaise sur l’étendue de sa zone SAR.
Accords de réadmission
La spécificité de Malte par rapport à d’autres pays de l’Union Européenne est que cet Etat pratique très peu de rapatriements vers les pays d’origine ou de transit des migrants. S’il y a eu quelques cas de rapatriements vers l’Afrique, ils sont rares et ont essentiellement concerné l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Libye, Egypte, Tunisie).
ANNEXES
Rapports
● CPT, Report to the Maltese Government on the visit to Malta carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, January 2004 June 2005 - May 2008 : http://www.cpt.coe.int/en/states/mlt.htm
• “Irregular Immigrants, Refugees and Integration - Policy Document” Ministry for Justice and Home Affairs, ministry for the Family and Social Solidarity. 2005
• “Position Paper on the Report of the Board of inquiry nominated by the Prime Minister on January 17, 2005, in terms of Article 4 of the Inquiries Act, dated December 9, 2005”, JRS, Emigrant Commission, 22 december 2005.
• FIDH “Enfermer les étrangers, dissuader les réfugiés : le contrôle des flux migratoires à Malte », n°403, septembre 2004.
● LIBE, Report by the LIBE Committee delegation on its visit to the administrative
detention centres in Malta, 2006.
Receptions of Asylum Seekers - JRS - Fevrier 2005 ;
http://www.jrsmalta.org/Reception_of_Asylum_Seekers_Feb2005.pdf
● Etude STEP Consulting social pour le Parlement européen « Conditions des ressortissants de pays tiers dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que zones de transit) au sein des 25 Etats membres de l’UE » 2007 ?
UN Working Group on Arbitrary Detention - visit to Malta January 2009 : http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/view01/125F21AAD7DCBD1AC125754A0057F318?opendocument
Législation
Immigration Act : voir les articles 10, 25A et 34 - http://docs.justice.gov.mt/lom/legislation/english/leg/vol_5/chapt217.pdf
Refugee Act : http://docs.justice.gov.mt/lom/legislation/english/leg/vol_13/chapt420.pdf
Transposition de la Directive « Procedures » : Procedural Standards in Examining Applications for refugee Status Regulations - http://docs.justice.gov.mt/lom/Legislation/English/SubLeg/420/07.pdf
Transposition de la Directive « Reception » : Reception of asylum Seekers (Minimum standards) - http://docs.justice.gov.mt/lom/Legislation/English/SubLeg/420/06.pdf
Associations
● JRS Malta : www.jrsmalta.org
Médecins Sans Frontières
Red Cross
SOS Malta
Solène Guérinot pour Migrants’Solidaruty Movement
Céline Warnier de Wailly pour Jesuit Refugee Service
Mars 2009