GRECE : Analyse du Projet de loi relatif à la détention des étrangers et la lutte contre l’immigration irrégulière.
Il s’agit d’un cavalier législatif déposé le 18 juin 2009 par le Ministre de la Justice dans un projet de loi qui date du mois d’avril et qui n’a aucun rapport avec l’immigration. Le projet de loi a été voté par l’une des trois sections de la période estivale de l’assemblée nationale. Le texte entrera en vigueur à partir de la publication de la loi au journal officiel grec.
I) Exposé des motifs sur la durée de détention :
La durée de 3 mois s’est avérée dans la pratique insuffisante dans les cas d’absence des documents de voyage (« laissez-passer »), des retards de délivrance de ces documents et du refus des certains pays de respecter l’obligation internationale de réadmettre sur leur territoire leurs ressortissants. Selon le rapporteur de la loi, à la fin des 3 mois de détention, les étrangers sont libérés même s’ils sont suspectés de prendre la fuite ou considérés dangereux pour l’ordre public. A leur libération, les étrangers se dirigent vers les grandes villes où ils vivent collectivement dans des conditions déplorables. Cela entraîne des dangers pour la santé publique, mais également des risques de les voir commettre des crimes graves. Ainsi, sont créés (selon le rapporteur) de phénomènes des racisme et le sentiment d’insécurité.
Enfin, le projet de loi vient apporter des modifications aux articles 87 et 88 de la L. 3386/20005 relative à l’immigration en Grèce : renforcement des sanction des « passeurs ».
II) Procédure et droits des détenus/retenus
Le point le plus intéressant de la loi est que :
l’étranger peut faire l’objet d’une détention administrative de 6 à 12 mois (ou 18 mois... voir ci dessous)
si sa présence constitue une menace à l’ordre public ou la sécurité.
« L’étranger est considéré comme dangereux pour l’ordre public ou la sécurité surtout quand il y a des poursuites pénales contre cette personne pour une infraction punie d’une peine de privation de liberté d’au moins 3 mois. »
A) La procédure actuelle (qui ressemble à la précédente) :
Remarque préalable : les autorités qui peuvent décider de l’expulsion administrative et de la détention des étrangers sont les mêmes : le Commissaire de Police ou un officier supérieur nommé par Commissaire Général de Police.
La procédure :
1 L’étranger se fait arrêter sans papiers
2 Si l’étranger en raison des circonstance d’espèce est considéré comme :
-suspect de prendre la fuite ou dangereux pour l’ordre public
-ou se soustrait à son éloignement ou
-empêche la préparation de son départ ou la procédure de son éloignement,
il est détenu pendant 3 jours sur décision de la police.
3 Ces trois jours servent à ce que l’administration examine son droit au séjour. S’il n’en a pas, l’administration lui notifiera une décision d’expulsion.
4 Suite à la décision d’expulsion, la détention de l’étranger continue jusqu’à 6 mois maximum.
5 Au bout de 6 mois, si le retard de l’exécution de la mesure d’éloignement est dû :
-au refus de l’étranger à collaborer pour procéder à son éloignement
-au retard dans l’obtention des documents nécessaires pour son éloignement,
sa détention peut être prolongée pour une durée qui ne peut pas excéder les 12 mois.
Selon plusieurs députés de l’opposition, la rédaction de la loi est floue sur ce dernier point. Quand la loi dit que la prolongation de la détention ne peut pas excéder les 12 mois, nous ne pouvons pas savoir si cette durée maximale de 12 mois inclut la première période de détention ou si elle s’ajoute aux 6 premiers mois. Donc, détention possible pour 12 mois au total ou 6 mois de détention + une prolongation qui ne peut pas excéder les 12 mois, au total 18 mois. Dans les débats parlementaires, je n’ai pas trouvé de réponse du Ministre.
B) Droits du détenu :
l’étranger doit être informé dans une langue qu’il comprend les raisons de sa détention
et des droits du Code de la Procédure Administrative
sa communication avec son avocat doit être facilitée,
il peut présenter ses observations contre la décision de détention ou de prolongation devant le président du Tribunal Administratif ou son délégué.
III) Débat parlementaire :
Il y a eu un débat à l’assemblé nationale grec le mardi 23 juin et le mercredi 24 juin.
Selon la majorité : les modifications sur la détention des étrangers visent à diminuer la violence et la criminalité qui sont attribuées aux immigrés illégaux.
Selon l’opposition :
Différents députés de l’opposition ont attiré l’attention des députés sur ces modifications relatives à la détention des étrangers. Les sujets qui fâchent, selon ces députés, sont :
1 avec cette loi le fait d’héberger un sans papiers devient une infraction punie d’une peine de prison jusqu’à 10 ans et d’une amende de 10.000 à 30.000€ pour chaque personne hébergée. Dans la loi, est précisé que cet hébergement vise à « cacher » l’immigré. On peut imaginer que dans l’application de la loi, nous ne savons pas comment le juge pourra juger si l’hébergement sert à cacher quelqu’un ou pas. Bref, une forme de délit de solidarité...
2 l’étranger est considéré comme une menace à l’ordre public ou la sécurité, s’il est simplement poursuivi d’une infraction punie d’une peine d’au moins de 3 mois de prison. Plusieurs critiques :
un trop grand nombre d’infractions sont passibles d’au moins trois mois de prison.
le principe de présomption d’innocence est bafoué puisque les simples poursuites (y compris pour simple délit ou contravention) suffisent pour considérer l’étranger comme une menace à l’ordre public. Les députés d’opposition relèvent que cet article serait contraire à la constitution grecque et à l’article 6 § 2 de la CEDH.
les députés s’interrogent sur le champ d’application de cette disposition. Est-ce qu’elle concerne uniquement les étrangers en situation irrégulière ou également les étrangers qui ont un titre de séjour ? Les étrangers en situation régulière qui sont poursuivis pour une infraction punie d’au moins de 3 mois de prison, peuvent-ils être considérés comme une menace à l’ordre public et faire l’objet d’une détention ? Cet argument me paraît un peu tiré par les cheveux. Car dans ce cas là, il devrait préalablement y avoir un retrait de la carte de séjour et une décision d’expulsion pour décider de détenir l’étranger pendant les 6 mois.
Cette remarque montre combien est large cette définition de menace à l’ordre public, sans pouvoir exclure non plus, la possibilité d’enfermer des étrangers en situation régulière, tellement est mal foutu le système grec. Par exemple, le juge administratif qui contrôle la légalité de la détention, ne peut contrôler ni la légalité de la mesure d’expulsion ni la décision de détention. Il peut contrôler seulement si l’étranger est suspecté de fuite ou s’il constitue une menace à l’ordre public (voir commentaire sur la récente condamnation de la Grèce par la CEDH).
La procédure d’adoption de ces dispositions serait anticonstitutionnelle. En effet, l’assemblé nationale est entré en période de « trêve estivale ». Pendant cette période de « trêve estivale » en Grèce, « 3 sections d’été » de nombre réduites de députés peuvent discuter certains projets de loi (mais pas tous les projets de lois). Selon l’article 72 de la Constitution grecque, les projets de loi touchant à des sujets relatifs à la protection des droits fondamentaux (la liberté individuelle entre autres), ne peuvent être discutés et votés que par une séance plénière de l’assemblé nationale. Ces dispositions touchent forcement les libertés (la liberté individuelle notamment).
Enfin (à titre d’information), le contrôle de constitutionnalité en Grèce s’opère après le vote des lois (contrôle a posteriori). Il n’y a pas une Cour Constitutionnelle comme en France. Ainsi, tous les tribunaux, lors de l’étude des cas présentés devant eux, ont la compétence pour étudier la constitutionnalité des lois (avec la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat qui viennent uniformiser la jurisprudence). Mais en l’espèce, il s’agit d’un manquement dans la procédure d’adoption de la loi et je ne sais pas si les tribunaux grecs ont la compétence de contrôler si la procédure d’adoption d’une loi est ou pas constitutionnelle
IV) Communiqué de presse d’Amnesty International, section Grèce :
Elle dénonce un projet de loi qui viole et abolit les droits de l’homme. Sans aucune considération sur la personne de l’étranger (réfugié, demandeur d’asile, immigré, citoyen de l’UE ou simple touriste), l’immigré peut être considéré comme une menace pour l’ordre public et la sécurité s’il existe des poursuites pénales pour une infraction punie d’au moins 3 mois de prison. Selon le communiqué, il y aurait une atteinte au principe de la présomption d’innocence. D’ailleurs, l’exposé des motifs de la loi et les discours de députés de la majorité sont aussi dénoncés.
Il y a aussi la petite pensée spéciale pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas exclus du projet de loi alors que la mesure d’éloignement ne peut pas être exécutée pendant l’examen de leur demande d’asile. Amnesty rappelle également sa position sur la détention de demandeurs d’asile : contre, sauf exceptions rares selon le droit international.
Elle dénonce l’absence d’un système efficace d’interprétariat et d’un système de défense juridique, il sera impossible que les étrangers puissent être informés des mesures dont ils font l’objet et des conséquences de leur non-collaboration ainsi que de leur possibilité d’exercer un recours devant le tribunal administratif.
Au surplus, l’étranger est « puni » pour le retard dans la délivrance des documents de voyage, retard pour lequel il n’est pas responsable.
Amnesty dénonce les conditions dégueulasses de détention des étrangers.
V) Loi adoptée le 30 juin 2009.
En italique les disposition abrogées
En gras les nouvelles dispositions
En noir les dispositions non modifiées.
L’Article 76, § 1 est modifié. Cet article fixe le cas où l’expulsion administrative de l’étranger est autorisée. Les cas sont, si l’étranger :
a) a été condamné définitivement à une peine privative de liberté d’au moins un an
ou indépendamment de la peine pour trahison du pays, crimes relatifs aux stupéfiants etc. etc.
b) a violé les dispositions de la présente loi.
c) sa présence constitue une menace pour la santé publique et il refuse de se conformer aux mesures imposées par les autorités de santé pour sa protection à condition qu’il a été préalablement informé.
Ce dernier § est modifié comme suit :
« c) la présence de l’étranger sur le territoire national constitue un danger pour l’ordre public ou la sécurité du pays. L’étranger est considéré comme dangereux pour l’ordre public ou la sécurité surtout quand il y a des poursuites pénales contre cette personne pour une infraction punie d’une peine de privation de liberté d’au moins 3 mois. ».
Article 76, § 2 : L’expulsion est ordonnée par décision du Commissaire de Police ou un officier supérieur nommé par Commissaire Général de Police. Il est accordé un délai de 48 heures à l’étranger pour formuler ses objections.
Article 76, § 3 :
§ 3 : Si selon les circonstances, l’étranger est suspecté de fuite ou dangereux pour l’ordre public, avec décision des autorités mentionnées ci-dessus, est ordonné son maintien provisoire jusqu’à la délivrance, dans les trois jours, de la décision de son expulsion.
Après la décision d’expulsion, la détention continue jusqu’à l’exécution de l’expulsion, mais la durée ne peut excéder en aucun cas trois mois.
L’étranger doit être informé dans une langue qu’il comprend des raisons de sa détention et la communication avec son avocat doit être facilitée. L’étranger qui est détenu, parallèlement avec les droits découlant du Code de Procédure Administrative, peut invoquer ses objections contre la décision de détention devant le Président du TA de la circonscription où il est détenu ou son délégué.
Ce paragraphe est modifié comme suit :
« 3) Si l’étranger en raison des circonstance d’espèce est considéré comme suspecté de prendre la fuite ou dangereux pour l’ordre public ou se soustrait ou empêche la préparation de son départ ou la procédure de son éloignement, sur décision des autorités citées au paragraphe précédent est ordonnée la détention provisoire pendant 3 jours maximum pour la prise de décision d’expulsion.
Si la décision d’expulsion est prise, la détention continue jusqu’à l’exécution de l’éloignement, mais en aucun cas cette durée de détention ne peut excéder 6 mois. Dans les cas où l’éloignement est retardé en raison du refus de l’étranger de collaborer ou de retard dans l’obtention des documents nécessaires pour procéder à l’éloignement, la détention de l’étranger peut être prolongée pour une durée limitée qui ne dépasse pas 12 mois. L’étranger doit être informée dans une langue qu’il comprend des raisons de sa détention et la communication avec son avocat doit être facilitée. L’étranger qui détenu, parallèlement à ses droits contenus dans le Code de Procédure Administrative, peut présenter ses observations contre la décision de détention ou de prolongation devant le président du Tribunal Administratif ou son délégué. »
Article 87 § 5 de la L. 3386/2005. Auparavant, cet article fixait les sanctions contre les personnes qui facilitent l’entrée ou la sortie d’un étranger sans que ce dernier se soumette aux contrôles prévus pour le franchissement des frontières (au moins 6 mois de prison et une amende d’au moins 3.000 €). Ce paragraphe est remplacée comme suit :
« 5) l’aide à l’entrée ou la sortie du territoire sans que l’étranger soit soumis aux contrôles prévus, sera punie d’une peine de réclusion allant jusqu’à 10 ans et d’une amende minimale de 20.000 €. Si la personnes a agi dans un but lucratif ou dans un cadre professionnel ou par habitude ou si l’infraction est commise par au moins 2 personnes, la peine de réclusion est de 10 ans de prison et d’une amende d’au moins 50.000€ ».
Article 88 § 1 de la L. 3386/2005 : sanctions contre les transporteurs. Ce paragraphe est remplacé par :
« 1) les capitaines de bateaux, les pilotes d’avion et les conducteurs de tout moyen de transport qui transportent de l’étranger en Grèce un étranger qui n’a pas le droit d’y entrer ou pour lequel l’entrée en Grèce est interdite, ainsi que ceux qui prennent un étranger à partir d’un point d’entrée sur le territoire pour le transporter à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire ou lui fournissent un logement pour le cacher sont punis :
a) d’une peine de réclusion jusqu’à 10 ans et d’une amende de 10.000 à 30.000€ pour chaque personne qu’ils transportent
b) d’une peine de réclusion d’au moins 10 ans et d’une amende de 30.000 à 60.000€ pour chaque personne transportée, si la personne a agit dans un but lucratif, dans le cadre d’une activité professionnelle ou par habitude ou s’il est en récidive, ou s’il est fonctionnaire ou salariés d’une société d’une agence de voyage ou s’il a agi avec d’autres personnes.
c) avec une peine de réclusion d’au moins 15 ans et d’une amende d’au moins 200.000 pour chaque personne transportée, si par ses agissement a découlé un danger pour une personne.
d) avec peine de réclusion à vie et d’une amende d’au moins 700.000€ pour chaque personne transportée, s’il y a atteinte à la vie d’une personne.
A l’article 88 de la L. 3386/2005 s’ajoutent cinq autres paragraphes :
Les dispositions du Code Pénal relatives à la criminalité organisée sont applicables pour les infractions des articles 87 et 88 de la L 3386/2005 (aide à l’entrée et au séjour irrégulier). En gros, les moyens légaux de surveillance et d’investigation des policiers dans le cadre de l’immigration « illégale » sont élargis. Ces moyens sont les mêmes que dans le cadre d’enquêtes sur le crime organisé. Ce qui laisse une plus grande marge de liberté aux policiers et mois de contrôles juridictionnels.