Lettre ouverte sur les accords de réadmission
adressée au Conseil de l’Union et la Commission Européenne
En janvier 2009 Migreurop et 80 associations partenaires du réseau ont envoyé une lettre à Mirek Topolanek, Président du Conseil de l’Union européenne ainsi que à José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne pour les alerter sur les dangereuses conséquences de la signature des accords de réadmission et sur la totale opacité qui entoure la négociation de ces accords. La lettre portait le titre "pour la transparence dans la négociation et dans l’application des accords communautaires de réadmission".
En date du 25 mars 2009, Migreurop a reçu une réponse à son courrier tant de la Commission que du Conseil. Dans les courriers les deux institutions se défaussent sur les Etats membres de la responsabilité de l’ exécution des accords. Pour ce qui concerne la transparence aucun critique sur la réalité du système est émise car ils renvoient à l’adoption du Traité de Lisbonne
Migreurop a répondu à nouveau à la Commission et au Conseil le 2 aout 2009 en développant des arguments démontrant que les institutions européennes sont bien impliquées dans la négociation et exécution des accords et qu’elles sont responsables de leur bonne exécution par les Etats Membres
Vous trouverez en PJ à cet article : la lettre ouverte de migreurop, les réponses du Conseil et de la Commission Européenne, les réponses de Migreurop à la Commission et au Conseil de l’UE
Mirek Topolanek
Président du Conseil de l’Union européenne
Rue de la Loi, 175
B - 1048 Bruxelles
José Manuel Barroso
Président de la Commission européenne
B - 1049, Bruxelles
Paris, le 20 janvier 2009
Objet : pour la transparence dans la négociation et dans l’application des accords communautaires de réadmission
Messieurs les Présidents du Conseil de l’Union et de la Commission,
Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté par le Conseil européen le 16 octobre dernier présente, parmi les mesures à mettre en œuvre afin de lutter contre l’immigration irrégulière, la conclusion « avec les pays pour lesquels cela est nécessaire, des accords de réadmission, soit au niveau communautaire, soit à titre bilatéral, de sorte que chaque Etat membre dispose des outils juridiques pour assurer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière ». Il prévoit aussi d’évaluer « l’efficacité » des accords communautaires et de revoir les mandats de négociation qui n’ont pas encore aboutis.
A ce jour, onze accords communautaires de réadmission sont entrés en vigueur : avec les régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao de la République populaire de Chine, le Sri Lanka, l’Albanie, la Fédération de Russie, l’Ukraine, la Moldavie, et quatre pays des Balkans occidentaux : Serbie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine et Macédoine. D’autres sont en cours de négociation : avec le Maroc et le Pakistan depuis 2000, avec la Chine, la Turquie et l’Algérie depuis 2002.
Avec le réseau « Migreurop », les associations signataires sont très préoccupées de constater que l’UE s’apprête à poursuivre un processus qui, bien qu’il engage de près la question des droits fondamentaux, se déroule dans une quasi-totale opacité. Il n’existe en effet aucun mécanisme permettant de tenir informés le Parlement européen, les parlements nationaux et, encore moins, les sociétés civiles des pays concernés des critères et de l’évolution de la négociation des accords de réadmission, non plus que des conséquences concrètes de leur conclusion.
Par la présente, nos associations souhaitent attirer l’attention sur la nécessité d’introduire la transparence dans les négociations et dans l’application des accords communautaires de réadmission. Au vu des données déjà connues, nous avons en effet de sérieuses raisons de penser que les conditions de négociation sont loin de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes, voire même qu’elles peuvent inciter à leur violation (I). A titre de première étape vers cette indispensable transparence, nous souhaitons avoir des réponses aux quelques questions que nous nous posons, tant sur les accords déjà conclus que sur ceux qui font l’objet de négociation (II).
I - Des raisons de s’inquiéter
Si l’on en croit l’ancien Commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures, M. Franco Frattini : « La négociation d’accords de réadmission n’a pas été chose aisée. (...) La principale raison de leur lenteur est que, bien que ces accords soient en théorie réciproques, il est clair qu’en pratique ils servent essentiellement les intérêts de la Communauté. Tel est notamment le cas des dispositions relatives à la réadmission de ressortissants de pays tiers et d’apatrides - condition sine qua non de tous nos accords de réadmission, mais qui est très difficile à accepter par les pays tiers. La bonne fin des négociations dépend donc beaucoup des « leviers », ou devrais-je dire des « carottes » dont la Commission dispose, c’est-à-dire d’incitations suffisamment puissantes pour obtenir la coopération du pays tiers concerné » . [1]
Nous ne doutons pas que, pour chaque accord, les rapports de forces doivent être différents, et la taille des "carottes" variable : s’agissant de Sri Lanka (un des premiers accords à être entré en vigueur), des sources provenant de membres de la délégation sri-lankaise attestent que lors de la négociation de cet accord, les discussions ont été entièrement conduites, et les décisions arrêtées, par la partie européenne. [2]. Il n’en va peut-être pas de même pour des pays comme la Russie, dont le poids, en termes géopolitique et économique, lui a permis d’obtenir d’importantes concessions de la part de l’UE, comme l’a constaté la Commission LIBE du Parlement européen . [3]
Dans d’autres cas, il apparaît que l’UE joue de la dépendance économique de certains pays tiers pour obtenir qu’ils collaborent à sa politique migratoire par le biais d’un accord de réadmission. Ainsi, s’agissant du Pakistan, peut-on lire sur le site internet officiel « France diplomatie » : « L’UE a rapidement accordé des concessions commerciales pour l’entrée sur le marché européen de produits pakistanais, notamment dans le secteur du textile. Un accord de coopération étendant le champ de la coopération dans de nombreux domaines (commerce, développement, environnement, sciences) est entré en vigueur en septembre 2005. Sa mise en œuvre est cependant conditionnée à la signature par le Pakistan d’un accord de réadmission. L’UE est le premier partenaire commercial du Pakistan, destinataire de 30% de ses exportations et comptant pour 20% dans ses importations. Le Pakistan est également l’un des principaux bénéficiaires de l’aide communautaire en Asie (165 millions d’euros d’aide prévus pour la période 2002-2006) ». [4]
Ce type de partenariat contraint, dans lesquels les enjeux économiques ou politiques semblent primer sur les capacités du pays tiers à protéger les droits des personnes, est générateur de risques.
L’exemple marocain en est une bonne illustration : il est difficile de ne pas faire le lien entre le rapprochement UE/Maroc sur les questions migratoires depuis le début des années 2000, dont la négociation d’un accord de réadmission est un des enjeux, et la récurrence des rafles et expulsions dont sont l’objet, dans ce pays, des migrants subsahariens (y compris des demandeurs d’asile présents sur territoire marocain) en violation des normes nationales et internationales. [5]. On se contentera de rappeler ici un des derniers événements, survenu le 28 avril 2008, au large d’Al Hoceima (nord-est du Maroc), où entre 29 à 33 migrants, dont quatre enfants, seraient morts noyés après que leur embarcation pneumatique, selon plusieurs témoignages concordants, ait été crevée par les forces de l’ordre. Aucune enquête indépendante permettant de faire la lumière sur cet événement n’a, à ce jour, été rendue publique. . [6]
On pourrait aussi parler de la situation en Ukraine, où le taux d’attribution du statut de réfugié n’excède pas 2%, et où l’UNHCR se dit préoccupé quant au respect du principe de non refoulement, quant à la qualité de l’examen des demandes d’asile et quant aux conditions d’accueil des réfugiés. [7]. En novembre 2005, l’association Human Rights Watch rendait public un rapport sur la situation des migrants et des demandeurs d’asile dans ce pays faisant état des maltraitances, de la détention prolongée dans des conditions plus que difficiles de ces personnes et parfois même leur retour forcé vers leur pays d’origine au risque de méconnaître les dispositions de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme. [8] De son côté, Amnesty International dénonçait en juin 2008 la situation très dégradée des demandeurs d’asile en Ukraine en affirmant : « L’Ukraine n’est pas un lieu d’asile sûr pour les réfugiés ». [9]
II - Quelques questions sur les accords de réadmission passés et en négociation
Nos associations estiment qu’il est temps de procéder à une évaluation tant de la négociation que de l’exécution des accords communautaires de réadmission, sans se limiter à la question, abordée par le pacte européen, de leur « efficacité ». Il nous semble indispensable que, s’agissant d’une matière aussi sensible et touchant de très près aux droits fondamentaux des personnes, une évaluation tant quantitative que qualitative soit réalisée, dont les résultats devront être communiqués au Parlement européen et aux sociétés civiles des pays concernés. A cette fin nous souhaitons que nous soient communiquées les informations suivantes :
1. Accords de réadmission déjà entrés en vigueur :
a) le nombre de ressortissants d’un des Etats tiers contractants ayant fait l’objet d’une réadmission effective ;
b) le nombre des demandes de réadmission de la part des Etats requérants n’ayant pas été acceptées par l’Etat requis ;
c) le nombre et la nationalité de ressortissants de pays tiers aux Etats parties, ayant fait l’objet de la procédure de réadmission.
Nous portons une attention particulière à cette question dans le cadre de l’accord avec l’Albanie, étant donné que le délai de deux ans prévu pour l’entrée en vigueur de cette clause est atteint (1er mai 2008).
Accord avec l’Ukraine :
– le nombre de ressortissants Georgiens, Moldaves, Turcs, Vietnamiens et Turkmènes qui ont fait l’objet d’une mesure de réadmission.
Accord avec la Russie :
– le nombre de ressortissants Ouzbèkes qui ont fait l’objet d’une mesure de réadmission.
d) le nombre et la nationalité des personnes ayant fait l’objet d’une réadmission dans le cadre de la procédure « accélérée », prévue dans les accords avec la Russie, l’Ukraine, la Moldavie et Serbie.
e) les garanties demandées par les Etats membres de l’Union européenne quant au respect effectif des droits fondamentaux et notamment ceux prévus par la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme.
NB : même si une clause dite « de non-incidence » figure dans les accords faisant référence à plusieurs textes internationaux, celle-ci n’est accompagnée d’aucune garantie spécifique et précise sur les obligations des parties contractantes quant au respect du principe de non refoulement ou encore l’interdiction de la torture ou d’autres traitement inhumains ou dégradants (article 3 de la CEDH).
f) pour ce qui concerne plus spécifiquement les pays des Balkans, les conditions de réadmission des nationaux appartenant à la communauté Rrom, particulièrement vulnérable.
2. Accords communautaires de réadmission en cours de négociation.
Nos associations souhaitent être informées sur les critères qui ont guidé et qui guident la négociation des accords de réadmission. Cette question est d’autant plus pertinente et importante lorsque le Conseil estime, dans le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, que ces mandats doivent être revus : sur quelles bases ? Avec quelles orientations ?
En tout état de cause, nous aimerions connaître les résultats de l’évaluation que le Conseil et la Commission feront sur les accords de réadmission et leur efficacité.
Nous vous remercions de bien vouloir apporter réponse à nos différentes questions, réponse que, comme cette lettre, nous rendrons publique.
Dans l’attente de vous lire, nous vous prions d’agréer, Messieurs les Présidents, nos meilleures salutations,
Pour le réseau « Migreurop » . [10] et les autres associations signataires
Claire Rodier, Présidente
Associations signataires :
Réseaux : ENDA Europe - Fédération internationale des Droits de l’Homme (F.I.D.H.) - Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH)
Belgique : Abraço ASBL - CIRE - CNCD - LDH Belge - SAD (Syndicat des Avocats pour la Démocratie)
Bosnie Herzégovine : Helsinki Committee for Human Rights in Bosnia and Herzegovina
Burkina Faso : Association « Nouveau Monde »
Cameroun : « Un monde avenir » - Association des Réfugiés sans frontières (ARSF) - Association d’aide aux familles et victimes des migrations clandestines (AFVMC) - Collectif « Voix des migrants » - Fondation Conseil Jeune - Groupe de recherche action sur les migrations en Afrique centrale (GRAMI - AC) - Welcome Back Cameroon (WBC)
Espagne : Andalucia Acoge - APDHA - CEAR - Coordination de la « Rede Brasileiras e Brasileiros no Exterior » - MUGAK
France : ACT UP - ANAFE - ATMF - Autremonde - Association de défense des droits de l’homme au Maroc (ASDHOM) - CIMADE - Collectif Ivryen de Vigilance contre le Racisme - Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement (CCFD) - CRID - Droits devant ! - FASTI - Fédération Sud Education - Fondation Frantz Fanon - Forum civique européen - France Amérique latine - FTCR - GISTI - Initiatives et Actions Citoyennes pour la Démocratie et le Développement (IACD) - IPAM - MRAP - Réseau Solidaire et Citoyen (RESOCI) - Survie - Terre des Hommes - Union des associations latino-américaines en France - Union syndicale Solidaires
Guinée : Association ADEG
Italie : ARCI - ASGI - Comitato Antirazzista Durban Italia (CADI) - MELTING POT - NAGA
Kosovo : Rad Center
Luxembourg : ASTI - ACAT
Mali : Association des maliens expulsés (AME) - FORAM - Mouvement des Sans Voix
Maroc : ABCDS-Oudja - AMERM - AMDH - ATTAC Maroc - Association de sensibilisation et de développement des Camerounais migrants au Maghreb - Association pour la défense des droits humains des Camerounais migrants au Maroc - Association des Migrants et Réfugiés Guinéens au Maroc - Association sud pour la migration et le développement - Concerned Migrants Group (C-M-G) Worlwide - GADEM - Pateras de la Vida
Mauritanie : Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH) - Association mauritanienne pour la promotion de la démocratie et l’éducation citoyenne (APDEC)
Portugal : SOLIM
Royaume-Uni : Barbed Wire Britain Network to End Refugee ans Migrant Detention - Statewatch
Sahara Occidental : Association Sakia Lhamra Développement et immigration
Serbie : Association Reintegracija - Forum NVO
Sénégal : Enda Diapol - Groupe Migration Développement du CONGAD
Togo : ATTAC Togo
Uruguay : Asociacion « Idas y Vueltas », association d’amis et familles des migrants en Uruguay