Lettre ouverte sur les tragédies des migrants en mer
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour le courrier que vous avez adressé en date du 30 mai 2008 à Migreurop, à propos des tragédies en mer dans le contexte de l’arrivée des migrants sur les côtes européennes.
Concernant la position de Migreurop sur le rôle de l’agence Frontex et les opérations dites de « sauvetage », je vous renvoie à l’intervention de Pierre-Arnaud Perrouty, membre du Conseil d’Administration de Migreurop, lors de son audition par la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen sur Les tragédies des migrants en mer, le 3 juillet 2007 (texte de l’intervention en annexe). Vous y lirez que pour Migreurop, le renforcement des moyens de Frontex, loin de contribuer à sauver des vies comme le mentionne votre courrier, est au contraire un facteur d’aggravation des risques encourus par les migrants dont l’embarcation fait l’objet d’interceptions.
Les conclusions de l’intervention de Pierre-Arnaud Perrouty ont d’ailleurs été confirmées et renforcées depuis que les opérations d’interceptions maritimes, dans le cadre de l’opération Nautilus III, se déroulent aussi dans les eaux nationales libyennes. De nombreux rapports dénoncent les conditions de traitement des migrants en transit en Libye, faisant référence à des détentions arbitraires, des violences et à l’absence de respect du droit d’asile. Toute personne interceptée dans les eaux territoriales libyennes, y compris les potentiels demandeurs d’asile, risquent, en application de la procédure de l’opération Nautilus III, le renvoi sur ce territoire de non-droit que constitue la Libye pour les migrants.
Pour le reste, nous estimons que la conduite à tenir lors des opérations d’interception maritime doit être guidée par deux principes :
– Faire prévaloir le sauvetage de vies humaines sur les considérations relatives à la gestion des flux migratoires, comme le prévoient d’ailleurs les conventions internationales de droit maritime SAR et SOLAS. C’est ce principe qui doit déterminer le choix du pays d’accueil et de protection des personnes sauvées.
– Tenir compte, dans toute la mesure du possible, du libre choix par les migrants sauvés en eaux internationales du pays où ils souhaitent se rendre au regard, notamment, du droit au respect de leur vie privée et familiale qui implique la prise en considération de leurs attaches familiales, de leur langue ou d’autres intérêts personnels.
A cet égard nous attirons votre attention sur le fait que l’imposition autoritaire d’un pays d’accueil peut se révéler source de discriminations et de situations paradoxales : c’est le cas actuellement du mécanisme induit par le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 dit « Dublin II » qui oblige les pays par lesquels un demandeur d’asile a pénétré en premier sur le territoire de l’Union européenne à traiter sa requête. Ce mécanisme, qui fait peser un poids disproportionné sur les pays qui forment la frontière extérieure de l’UE, s’avère souvent injuste et inhumain pour les personnes concernées. Le « système Dublin » a été vivement critiqué par des organisations internationales telles que ECRE (European Council for exilees and refugees) qui estime qu’« il occasionne, dans de nombreux cas, de nouvelles souffrances aux familles, aux enfants et aux victimes de torture qui cherchent une protection et les exposent parfois à des risques de refoulement », ou encore Amnesty International, ainsi que par l’UNHCR.
Plusieurs organisations estiment que, dans le cas des demandeurs d’asile, la demande devrait être examinée dans le pays du choix du requérant, tandis qu’un mécanisme de solidarité devrait être créé pour venir en aide aux Etats membres en fonction du nombre de demandeurs d’asile accueillis. C’est vers une solution de ce type que, selon Migreurop, devrait s’orienter le traitement de la question des sauvetages de migrants lors des interceptions maritimes aux frontières extérieures de l’UE.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de mes salutations distinguées.
pour Migreurop,
la présidente, Claire Rodier