Témoignage de Serge Njagui Fosso
NGAJUI FOSSO Serge
9, Villa Jean Jaurès
92110 Clichy-La-Garenne - France
+33.6.26710385
mail
Madame, Monsieur,
Nous sommes le 26 avril 2008, je me rends au Cameroun pour mes vacances. Je pars de Clichy à 5:30 en taxi pour l’aéroport CDG1. Nous partons de Paris à 7:40 pour Bruxelles avec le vol SN3610 Brussels Airlines et je dois prendre la correspondance pour Douala à 10:40 à l’aéroport de Bruxelles.
Lors de mon entrée dans l’avion entre 10:00 et 10:45, je suis bien accueilli par les hôtesses, je vais rejoindre mon siège, le N° 41H qui se trouve à 5 ou 6 rangées du fond de l’avion. Lorsque j’y arrive, il y a au fond de l’engin à la dernière rangée des hommes habillés en ténue grise et qui essayent de maitriser un homme de couleur noire. Celui-ci se débat et crie : « Au secours, laissez moi, je ne veux pas partir ». Les hommes en gris essaient de lui empêcher de parler en l’étouffant. Le jeune homme se débat comme il peut et continue de crier car il y a autour de lui 4 colosses en gris qui essaient de le neutraliser. D’autres policiers en civile ont établie un périmètre de sécurité et personne ne peut aller vers le lieu du drame qui se déroule sous nos yeux.
Je me rends compte que c’est une expulsion, l’homme que l’on expulse est toujours maitrisé et étouffé et pousse des cris que l’on n’entend plus bien.
Je me souviens alors de Semira Adamu, une jeune nigériane qui était morte en septembre 1998, il y a 10 ans lors d’une expulsion similaire à celle qui se déroule sous mes yeux dans un avion de Sabena. Que dois-je faire ? Rester sans rien dire ? Et s’il lui arrivait un malheur ? Agir ? Je suis tourmenté.
En tant que militant des droits de l’homme et des droits des étrangers, je ne peux pas supporter une scène pareille. Je me lève, interpelle l’hôtesse de l’air la plus proche de moi et proteste fermement et à haute voix que nous sommes dans un vol commercial et que je ne saurai voyager dans ces conditions. D’autres passagers jusque là restés calme se lèvent et protestent à leur tout. Je filme comme d’autres passagers la scène avec mon appareil photo. Devant cette protestation générale, les hommes en gris quittent l’avion avec leur passager. Quelques minutes plus tard, alors que le calme revient, des policiers montent dans l’avion, trois personnes sont désignées par les policiers en civil qui avaient établie le périmètre de sécurité, je suis parmi ces trois personnes. Les policiers nous demandent de quitter l’avion, lorsque je pose la question pourquoi, ils se jettent sur moi, me menottent les mains, des coups surgissent par ci et par là, je saigne, je suis trainé dans les couloirs de l’avion et puis dans les escaliers avant d’être jeter dans un fourgon de la police sans mes 2 valises en soute et ma petite valise de cabine. Leur acharnement sur ma personne laisse à penser qu’ils n’ont pas digéré la protestation des passagers. J’ai quelques bobos sur le visage et les mains blessées par les menottes. De ce fourgon, je remarque qu’une policière en civile qui était aussi dans l’avion a mon appareil photo dans les mains et visionne certainement ma petite vidéo de la scène dans l’avion. Une dure et longue journée commence pour moi sous les insultes et les maltraitances des policiers qui m’emmènent au cachot de l’aéroport de Bruxelles.
A 13:35 la police nous libère, nous sommes 2 à ce moment là. Un autre camerounais qui était dans la bande des trois expulsés et moi. Je n’ai plus vu le troisième, un homme de couleur blanche.
Au moment de notre libération, la police nous informe que nous ne voyagerons plus Brussels Airlines pendant les six prochain mois. A la question de savoir comment nous allons faire pour nous rendre au Cameroun, la police nous renvoie vers la compagnie.
Avec mon compagnon d’infortune, nous nous y rendons. Nous demandons à rencontrer l’un des responsables de la compagnie, on nous indique que le responsable de la sécurité de la compagnie arrivera bientôt. Nous patientons, j’ai une pensée pour ma petite fille qui m’attend à Douala avec impatience, joie et enthousiasme et qui certainement sera très déçu de ne pas me voir ce soir. Je suis en colère, très en colère.
La responsable de sécurité de la compagnie arrive enfin et nous informe que nous avons tous les 2 étés fichés dans la liste noire (pas blanche) de la compagnie et ne pourrons plus voyager avec elle pendant les 6 prochains mois. Je lui demande alors comment nous faisons dans ce cas pour arriver à Douala. Elle nous indique que c’est de notre responsabilité et qu’en plus nous ne serions pas remboursés. Après ces mots, ma colère monte de plus en plus, mon ton aussi, je signale a cette dame que je n’ai pas de problème si je ne voyageais plus jamais avec Brussels Airlines, mais que je souhaite rentrer à Paris et surtout me faire rembourser car sa compagnie n’a pas rempli son contrat. Mon ton est haut mais courtois, les passants nous regardent, la dame appelle la police qui vient et me ramène cette fois seul au cachot. J’y resterais jusqu’à 22:00 sans mangé, ni boire et ni contacter ma famille.
Mon neveu qui habite Mons est contacté et arrive avec son épouse entre 21:00 et 22:00. Les policiers m’informent de leur présence et m’indiquent que je suis libre de rentrer avec eux. Je leur dis que je ne comprends pas pourquoi j’ai été en cellule toute la journée dans ces conditions et que je ne souhaite pas la quitter avant qu’une solution ne soit trouvée à mon problème : partir à Douala ou rentrer sur Paris et être remboursé. Des explications se font de part et d’autres, les policiers souhaitent que je quitte la cellule et moi je souhaite y rester, ce qui visiblement ne les satisfait pas. Les policiers décident donc de me sortir de la cellule par la force, me remettent mes affaires, je refuse de les prendre. L’un d’entre eux me menace, me tient par le cou et me pousse hors de leurs bureaux et me balance mes affaires sur la figure, je m’en vais sans les ramasser. Mon neveu et son épouse me rejoignent je suis une fois de plus en colère, très en colère de tout ce qui se passent. Je leurs demande de rentrer à la maison, ils refusent évidemment.
L’épouse de mon neveu va voir l’un des policiers qui lui donne mes affaires et des informations sur les démarches que je devrais faire. Elle revient avec mes affaires, il y manque mes lunettes de soleil Ray Ban et en plus la vidéo de la scène dans l’avion a été effacée de mon appareil photo, sûrement par la policière qui avait mon appareil photo. Une preuve vient d’être détruite, heureusement pas toutes car d’autres passagers ont filmé la scène. Je suis toujours en colère, très en colère, je pense à ma petite fille pour qui j’ai exceptionnellement pris mes congés, je suis en colère parce que ces derniers jours ont été éprouvants professionnellement, physiquement et moralement. Je suis en colère, très en colère parce que je suis du genre calme, courtois et surtout pas violent. Or toute cette journée, j’ai été traité avec mépris et violence parce que j’ai été un moment la bouche d’un malheur qui n’avait point de bouche, parce qu’en protestant dans l’avion, je suis allé au secours d’un être humain qui était maltraité et qui demandait du secours.
Je suis en colère parce que je suis fatigué et que je souhaitais prendre quelques semaines de repos et aller passer du temps avec ma petite fille. Je ne sais pas quand et comment je me rendrai au Cameroun. Je ne sais pas au moment où je vous écris où sont mes valises.
Avec patience mon neveu et son épouse mon convaincu de le accompagner chez eux à Mons. Nous avons demandé une attestation indiquant que j’étais en cellule de 11:00 à 22:00, le policier de faction a eu la gentillesse de m’en donner une en Néerlandais. Nous sommes arrivés à Mons peu après minuit. J’avais des douleurs partout, sur le visage, les bras, les doigts au dos et une très grosse faim, j’ai mangé sans appétit et je suis allé me coucher.
Ce matin, je suis un peu plus calme, j’ai encore quelques douleurs aux doigts, aux bras et au visage. Je vais me rendre à Bruxelles pour me faire signifier officiellement que je suis sur la liste NOIRE de la compagnie, que je ne voyagerai plus avec cette compagnie et que je ne serai pas remboursé. J’espère également retrouver mes valises dans l’état où je les avais confiés à la compagnie. Une autre dure journée va commencer, comment se terminera-t-elle ? Je n’en sais pas grand-chose pour le moment.
Je peux simplement préjuger qu’elle ne sera pas facile car je ne compte pas laisser passer cette histoire sans réagir. Je vais faire un appel à témoins et engager une action contre Brussels Airlines. On en reparlera.
Sur ce, je vous souhaite un bon et agréable dimanche.
Prière diffuser largement ce message.
A bientôt ! Et mon combat continue.