Le débat sur l’immigration fait rage à Londres
Le Figaro
À Hammersmith, une station du métro londonien, difficile d’éviter les passants à l’accent chantant des bords de la Vistule. Un café polonais leur sert de lieu de rendez-vous, de même qu’un mur, couvert d’offres d’emploi.
En deux ans, Londres est devenue une sorte d’« annexe » industrieuse de Varsovie, pour jeunes Polonais en quête de ressources financières et d’expérience professionnelle. On les retrouve garçons de café ou maîtres d’hôtel dans presque tous les restaurants de la ville, quand ils n’ont pas carrément investi l’informatique ou le bâtiment. « C’est dur, mais tout le monde trouve sa place ici », affirme Marek, garçon d’étage à South Kensington.
Avec près de 270 000 migrants officiellement enregistrés depuis mai 2004, date de l’adhésion de huit pays d’Europe de l’Est à l’Union européenne, les Polonais représentent plus de 62% des 427 000 Est-Européens qui ont migré vers la Grande-Bretagne. S’y ajoutent quelque 36 000 épouses et 27 000 enfants. Un phénomène de masse, qui, en additionnant les concurrents lettons, hongrois ou tchèques, et les travailleurs non enregistrés, aurait atteint en deux ans 600 000 personnes ! Un chiffre sans rapport avec les 15 000 travailleurs immigrés attendus par le gouvernement Blair, au moment de l’ouverture du marché britannique de l’emploi, il y a deux ans.
Bien sûr, beaucoup de ces Est-Européens rentrent ensuite en Pologne y construire leur maison une fois leur pécule amassé. Mais la distorsion entre les chiffres annoncés et la réalité n’en a pas moins suscité un vif débat sur l’incapacité du gouvernement à contrôler la vague d’immigration, le Parti conservateur appelant à changer de politique de l’emploi, alors que se profile à l’horizon 2007 l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’UE. L’un des rares pays à s’être ouvert aux migrants est-européens, avec la Suède et l’Irlande, la Grande-Bretagne s’interroge sur l’opportunité de garder ce cap.
Sans se prononcer de manière définitive, le gouvernement Blair a laissé entendre qu’il pourrait instaurer des restrictions à l’encontre de ces deux pays. « Les migrations ont dans l’ensemble un effet positif, mais elles doivent être contrôlées », a déclaré le premier ministre, Tony Blair, reconnaissant que ce sujet était de la « dynamite politique ».
Dans un récent discours devant l’institut Demos, le secrétaire aux Affaires intérieures, John Reid, était allé dans le même sens, en affirmant que « l’immigration est le principal défi auquel les gouvernements européens doivent faire face ». Quelques jours plus tôt, Frank Field, ex-ministre travailliste, avait lancé un pavé dans la mare en affirmant que la vague d’immigration devenait incontrôlable et rendait le marché du travail plus inaccessible pour les Britanniques.
Rupture
Pour défendre la position d’ouverture qu’il a adoptée, le gouvernement Blair ne manque pas d’arguments. La majorité des Britanniques ont bien accueilli la vague est-européenne qui s’est facilement intégrée au paysage anglo-saxon, et dont l’apport au dynamisme économique du pays paraît indiscutable.
Mais, craignant de se faire déborder sur sa droite, alors qu’un débat parallèle sur les failles du modèle d’intégration britannique fait rage, le gouvernement Blair affiche de plus en plus nettement sa nouvelle « sensibilité » sur l’immigration en général. En rupture avec l’approche travailliste traditionnelle, John Reid parle par exemple de « peser les avantages qu’apportent les migrants en termes de qualification avec le poids qu’ils font peser sur les hôpitaux et les écoles ».
Il appelle à un débat de fond pour en finir avec cette notion « politiquement correcte selon laquelle quiconque parlerait d’immigration serait raciste ». Et déclare vouloir mieux « contrôler les frontières », jugées trop poreuses pour lutter contre l’immigration clandestine.