De Ceuta à Tanger, l’odyssée diplomatique de 72 véhicules tout-terrain espagnols
Depuis plus d’un mois, 72 véhicules tout-terrain flambant neufs attendaient, dans le port de Ceuta, leur transfert au Maroc. Offerts par l’Espagne, ils devaient permettre de renforcer rapidement les patrouilles marocaines dans le nord du royaume et d’améliorer la lutte contre l’émigration clandestine.
Le cadeau espagnol était le bienvenu, mais la voie d’acheminement inacceptable pour les Marocains. Officiellement, il n’y a pas de relations commerciales entre le royaume chérifien et la minuscule enclave espagnole de Ceuta, dont le Maroc revendique la souveraineté. Des centaines de milliers de touristes traversent la frontière sans problème dans les deux sens. La contrebande fleurit. Mais aucun poste de douane n’existe côté marocain.
Un mois de négociations entre Rabat et Madrid s’est conclu, mercredi 4 octobre, par un compromis. Un navire marocain devait accoster dans la soirée à Ceuta et embarquer les véhicules offerts par l’Espagne avant de les décharger dans le port marocain de Tanger, distant seulement de quelques dizaines de kilomètres. Rabat souhaitait qu’entre Ceuta et Tanger, le navire puisse faire escale dans un port espagnol pour faire oublier qu’il venait de l’enclave espagnole, mais Madrid a refusé.
« Si le ministère de l’intérieur (espagnol) avait envoyé les véhicules à Melilla (l’autre enclave espagnole, dotée, elle, d’une frontière commerciale), il n’y aurait pas eu de problème », a fait observer sous couvert d’anonymat un diplomate espagnol partie prenante aux négociations entre les deux pays.
L’affaire a fait grand bruit. Au Maroc, tandis que les autorités évitaient de commenter l’incident, la presse ne s’est pas privée d’accuser l’Espagne de néocolonialisme. Attajdid, un journal à fort tirage proche des islamistes, a titré, il y a quelques jours : « L’Espagne met à profit son aide au Maroc pour renforcer sa présence coloniale ». La - coûteuse - solution d’un transfert par voie maritime est perçue par la presse locale comme une victoire de la diplomatie marocaine.
A Ceuta, ville conservatrice, l’affaire a également agité l’opinion. Représentant du Parti populaire (PP), l’avocat Francisco Antonio Gonzalez a parlé d’une « humiliation subie par l’Espagne ». Et une déclaration de protestation commune par l’Assemblée communale est à l’étude. Le seul à essayer de présenter l’affaire sous un jour positif est le représentant du gouvernement à Ceuta, Jenaro Garcia Arreciado. « C’est la première fois en quarante ans qu’un chargement destiné au Maroc quitte le port (de Ceuta), » a-t-il fait observer.
Source : Le Monde