L’immigration, nécessité économique, mal politique
revue Challenges
L’Espagne est la principale destination des arrivants en Europe. Pas moins de 3,3 millions d’immigrants s’y sont installés, entre 1995 et 2005, selon les statistiques officielles. Ils ont été le moteur indispensable du boom économique. Sans eux, pas de croissance, signale un rapport de la Caixa de Catalunya, qui calcule que, au lieu d’afficher une hausse annuelle du PIB de 3,6 % en moyenne sur la période, le pays aurait accusé une récession de 0,64 %.
Dépassé par tant des succès, Madrid doit faire face à deux impératifs : enrayer l’immigration clandestine et répondre à la forte demande de main-d’oeuvre des secteurs moteurs de l’économie, comme le bâtiment ou les services, en organisant les réseaux d’une immigration choisie. Un vrai casse-tête.
Au premier semestre 2006, à peine 20 % des immigrés qui entraient en Espagne avaient en main un contrat de travail signé dans leur pays d’origine, conclu soit à travers des quotas gérés par le gouvernement, soit par le biais d’accords négociés directement à l’étranger par les plus importants employeurs.
Les 80 % restants sont venus dans le flot de l’immigration clandestine, dont l’image la plus spectaculaire est le débarquement quotidien aux îles Canaries, depuis le printemps dernier, de pirogues surchargés d’Africains. Leur afflux est d’autant plus impressionnant qu’il semble imparable : quand l’Espagne conclut des accords de rapatriement avec le Maroc, les barcasses partent alors de Mauritanie jusqu’à ce que Nouakchott accepte de contrôler ses côtes, du coup les départs se font du Sénégal puis, maintenant, de Guinée- Bissau, encore plus au sud. De toujours plus loin, pour un voyage de plus en plus dangereux.
Débordement
Pourtant ces 25 000 immigrants du Sud représentent moins de 5 % des nouveaux arrivants depuis le début de l’année. Les autres, ceux dont on ne parle guère, viennent d’ailleurs. D’Amérique latine, munis d’un simple visa de touriste. Où, en nombre sans cesse croissant, d’Europe de l’Est.
On estime que, chaque semaine, de 3 000 à 5 000 Roumains, Polonais ou Bulgares arriveraient par autocars entiers, franchissant les Pyrénées sans susciter la moindre émotion en Espagne.
Débordée par le phénomène, l’Espagne en appelle depuis des mois à l’Union européenne pour trouver une solution. Les moyens de lĺagence Frontex, supposée veiller aux frontières de l’espace européen, ne suffisent pas. Mais la demande de José Luis Rodriguez Zapatero a été accueillie fraîchement par ceux qui, comme Nicolas Sarkozy, l’accusent « d’avoir jouées apprentis sorciers en 2005 en régularisant 580 000 personnes qui travaillaient sans papiers ». Piqué au vif, le chef du gouvernement espagnol rétorque « qu’il n’a pas de leçons à recevoir de Paris en matière d’immigration, après les problèmes qui ont secoués les banlieues françaises ».
Gestion
Pourtant, les deux positions se rejoignent : l’immigration choisie. Il est plus facile de faire accepter les rapatriements forcés si l’on peut expliquer aux populations qu’il y a des moyens légaux de venir, contrat de travail en main , argué Antonio Camacho, secrétaire d’Etat à la Sécurité. La plupart des 800 000 clandestins actuellement dans le pays devront être rapatriés. Le marché du travail ne peut plus absorber l’arrivée de nouvelle main-d’oeuvre, tranche le socialiste José Blanco.
Madrid affiche la fermeté.
Mais patronat et syndicats contredisent ce message, et réaffirment leur manque de bras. Immigration choisie, d’accord, mais bien gérée. Et ce n’est pas simple. La mise en place d’une politique de quotas annuels il y a quatre ans, sous le gouvernement Aznar, s’est perdue dans les lenteurs administratives. « Trop rigide » : Un patron ne peut pas dire de combien d’ouvriers agricoles ou de maneuvres il aura besoin dans six mois. Il lui est plus facile d’embaucher les gens sur place, explique José Antonio Moreno au syndicat Commissions Ouvrières.
Le ministre du Travail s’est engagé à faciliter les procédures. La Catalogne a déjà mis en place ses propres circuits de recrutement rapide : le délai entre le moment à une société constate qu’elle ne trouve pas de candidat local et l’arrivée de l’immigrant à son poste de travail a été ramené à un mois.
Toujours plus
Nombre d’immigrés clandestins régularisés (cumulé en milliers) :
- Espagne :
- 1982 : 0
- 1991 : 154
- 2006 : 1 745
- France :
- 1982 : 121
- 1991 : 136
- 2006 : 220
Sources : OCDE, Migration Policy Institute, Ministère de l’Intérieur.
L’an dernier, le gouvernement a décidé de régulariser 580 000 clandestins d’un coup...
Résultat : de nouveaux arrivants sans papiers encore plus nombreux.
Source : Challenges.fr