Le droit d’asile continue à être ouvertement bafoué à Lampedusa

... où plus 1200 personnes sont arrivés par barque les 14 et 15 mars 2005. Certains des boat people ont été transférés dans des centres fermés dans d’autres régions d’Italie, mais plusieurs centaines sont restées dans le petit "centre d’accueil" de Lampedusa, qui compte 190 places. Il s’agit d’un centre vétuste, à la limite de l’insalubrité, qui n’est pas conçu pour une rétention dépassant quelques jours. Le 17 mars deux avions de la compagnie croate Air Adriatica ont expulsé 180 personnes vers la Libye, pays supposé de provenance, avec lequel l’Italie n’a pourtant pas passé aucun accord de réadmission. Un troisième avion est reparti à vide.

Ni le représentant du HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, mandaté immédiatement sur place, ni celui du Centre Italien pour les Réfugiés (CIR) n’ont été autorisés à entrer dans le centre (voir le communiqué du CIR ), alors qu’une délégation de fonctionnaires libyens y était accueillie pour assister la police italienne à "vérifier la provenance des immigrants" afin de mettre en oeuvre leur expulsion. Le HCR a fait remarquer que « la Libye n’a pas signé la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et n’a pas de système d’asile national qui fonctionne. Dans ces circonstances, et en jugeant d’après les expériences récentes, il existe un risque réel que les réfugiés qui ont besoin de protection internationale soient refoulés vers leur pays d’origine. » (voir le communiqué du HCR)

Alors que la visite des centres de rétention fait, en Italie, partie des prérogatives des parlementaires, deux sénatrices qui se sont rendues sur les lieux samedi 19 n’ont été autorisées à entrer en contact avec les quelque 600 personnes qui étaient encore dans le centre que le lendemain, dimanche 20. Elles n’ont toutefois pas été mises en mesure d’effectuer une visite détaillée du centre. Elles ont décrit les étrangers qu’elles ont vu comme "dans un état physique et psychologique terrible", "amassés dans des conditions indignes d’un pays civilisé", "sans couverture, ni matelas, ni eau chaude". Alors qu’est remis aux arrivants un formulaire leur indiquant qu’ils ont droit entre autres à l’usage d’un téléphone et à une assistance juridique, l’unique cabine téléphonique du centre ne fonctionnait pas et aucun avocat n’était présent. D’après les sénatrices, le ministère de l’Intérieur italien expliquerait le fait qu’un troisième avion prêt à embarquer d’autres expulsés, ainsi qu’un bateau qui devait conduire un autre groupe vers la Libye, ont été finalement dirigés sur le centre de détention pour étrangers de Crotone (ville côtière du sud de l’Italie) parce que "les autorités libyennes ne peuvent, en ce moment, accueillir plus de migrants". Elles dénoncent "l’arbitraire absolu" de ces opérations, au cours desquelles les étrangers sont ballottés sans savoir où on les conduit (voir le communiqué des sénatrices).

Cette expulsion a été organisée en violation de la loi italienne et de la convention de Genève sur les réfugiés. Au nom du principe de non refoulement, il ne devrait pas y avoir renvoi d’étrangers se présentant à la frontière sans examen individuel, raisonnable et objectif de leur éventuelle demande d’asile. Compte tenu des circonstances et des délais, on voit mal comment, à supposer qu’une procédure d’identification des personnes ait été mise en œuvre, cet examen aurait pu avoir lieu. Par ailleurs la loi italienne prévoit que toute mesure de placement en rétention administrative d’un étranger doit être validée par un juge devant lequel est présenté l’étranger, lequel doit bénéficier gratuitement des services d’un avocat pour l’assister. Ce dispositif n’a pas été organisé entre le 14 et le 17 mars au centre de Lampedusa. La loi permet également aux étrangers maintenus d’entrer en contact avec l’extérieur, et de rencontrer des représentants du HCR. Comme on l’a vu, ceux qui étaient à Lampedusa ont été privés de ces droits.

C’est la troisième fois en six mois que les autorités italiennes utilisent la méthode de l’enfermement et du refoulement de migrants et potentiels réfugiés par expulsions collectives en direction de la Libye.

Après le pont aérien organisé entre Lampedusa et Tripoli au mois d’octobre 2004, dix ONG avaient saisi la Commission européenne d’une plainte contre l’Italie, dans laquelle elles démontrent que les autorités italiennes se sont rendues coupables d’un certain nombre de violations :

 violation des droits de la défense et du principe du contradictoire

 violation de la prohibition d’infliger des traitements inhumains et dégradants énoncée à l’article 4 de la Charte européenne des droits fondamentaux et à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

 violation de l’interdiction de la pratique des expulsions collectives énoncée à l’article 4 du protocole n°4 de la Convention européenne des sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et l’article 19 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

 violation du principe de non-refoulement imposé par l’article 33 de la convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés.

Dans cette plainte, les ONG demandent à la Commission de prendre des sanctions contre l’Italie, estimant que “tout refus d’agir porterait à croire que des droits fondamentaux tels que le droit à la défense, la protection contre les traitements inhumains et dégradants, l’interdiction des expulsions collectives et le principe de non refoulement des réfugiés ne font pas partie du droit communautaire, ou que les institutions européennes ne sont pas en mesure de les défendre”.

De leur côté, plusieurs parlementaires européens avaient interrogé le président de la Commission pour lui demander comme il entendait « faire cesser les expulsions de Lampedusa et pour exiger de l’Italie qu’elle respecte ses obligations en vertu du droit international et communautaire ? » Pour la Commission, le commissaire à la Liberté, la Sécurité et la Justice M. Frattini a répondu aux eurodéputés, contre toute évidence, que toutes les règles avaient été respectées lors de ces expulsions, et « qu’en l’état actuel du droit communautaire, il [n’était] pas possible à la Commission d’engager des procédures relatives à des infractions en ce qui concerne le comportement des Etats membres en matière d’asile ».

Le 21 mars, Amnesty International a saisi M. Frattini pour s’inquiéter des risques encourus par les personnes renvoyées de force en Libye, et de la présence de fonctionnaires libyens dans le centre de détention de Lampedusa pour assister à leur identification, faisant remarquer que ceci pouvait entraîner à l’égard des expulsés des poursuites, voire entraîner leur détention pour entrée illégale sur le territoire libyen. Reprenant les griefs exposés dans la plainte des ONG (v. ci-dessus), Amnesty International fait remarquer que le silence de la Commission européenne à propos des récents événements porterait atteinte à la crédibilité de son rôle dans le processus de mise en place d’u système d’asile commun dans l’Union européenne. Elle l’invite à mener des investigations sur le sort des 180 personnes expulsées en ne se contentant pas de se référer aux seules déclarations des autorités italiennes, à inciter celles-ci à garantir l’accès à une procédure d’asile équitable, à laisser le HCR entrer en contact avec les détenus de Lampedusa et de Crotone, et enfin à mettre un terme aux les expulsions contraire aux standards internationaux (lire la lettre d’Amnesty au commissaire Frattini).

Une nouvelle fois, dans sa réponse du 23 mars aux inquiétudes du HCR et d’Amnesty International, la Commission européenne en la personne de Franco Frattini s’est fait le porte-parole des autorités italiennes pour assurer, sur la base d’un entretien que celui-ci a eu avec le ministre italien de l’Intérieur Pisanu, que toutes les personnes « ont eu droit à un entretien individuel pour éclaircir leur situation, que toutes celles qui pourraient prétendre au statut de réfugié ont été placées en rétention sur le territoire italien pour un examen ultérieur de leur situation, et que les personnes expulsées, de nationalité égyptienne, ont été renvoyées en Libye dans des conditions qui permettent qu’elles soient rapidement transférées vers l’Egypte ». Le ministre Pisanu a annoncé à la Commission qu’un rapport des autorités italiennes ferait le point sur le déroulement détaillé des faits, mais aussi sur les mesures prises pour garantir les droits fondamentaux de chacun, et en particulier sur les activités humanitaires en faveur des immigrants, « soit sur le territoire italien soit sur un autre territoire ». Lors de cet échange, le commissaire Frattini a encouragé le gouvernement italien à développer cette « activité humanitaire » et a fait part de son souhait que les pressions adéquates soient exercées sur le gouvernement égyptien afin qu’il contrôle mieux ses frontières (voir le communiqué de la Commission).