L’enfermement d’étrangers en Europe

Les éléments de synthèse qui suivent sont basés sur des données recueillies sur cinq pays (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Belgique) mais peuvent, dans une large mesure, être étendus aux autres pays de l’UE.

Synthèse présentée par Pierre-Arnaud Perrouty (MRAX) au colloque migreurop de Bruxelles les 25 et 26 juin 2003.

Tous les Etats de l’UE procèdent, sous une forme ou une autre, à la mise à l’écart des étrangers sur leur territoire. Cette mise à l’écart peut prendre des formes diverses : camps spécifiques, prisons ou simples locaux. Elle est également pratiquée sous des formes moins visibles, à commencer par la politique de visas de l’UE qui aboutit à maintenir à l’écart (non plus sur mais) de son territoire une grande partie de la population mondiale.

Pour ce qui est des lieux d’enfermement, deux distinctions peuvent être opérées. La première distingue les centres ouverts des centres fermés. Les centres d’accueil en Allemagne ou les centres ouverts en Belgique sont par exemple des lieux dont les personnes peuvent entrer et sortir. La distinction est évidemment importante de leur point de vue mais ces centres procèdent en réalité d’une même logique de contrôle et de mise à l’écart que les centres fermés. Ainsi dans les centres de réception en Allemagne, la liberté d’aller et venir des personnes est limitée à une certaine zone géographique. En Belgique, le gouvernement procède à des éloignements au départ de centres ouverts. Du point de vue de l’Etat, cette distinction n’est donc peut-être pas réellement déterminante.

La seconde distingue les camps à l’intérieur de ceux à l’extérieur des frontières de l’UE. Si aucune décision n’a été prise à l’échelle européenne au dernier Conseil, on sait que la question de l’externalisation du traitement des demandes d’asile et de l’enfermement hors des frontières reviendra très prochainement sur la table.

Parmi les camps fermés situés à l’intérieur des frontières, on peut globalement en distinguer 3 types, en fonction de la situation des personnes qui s’y trouvent :

 les camps d’attente où les personnes sont détenues dans l’attente d’un examen de leur situation et d’une éventuelle admission sur le territoire (ex : les zones d’attente en France, le centre 127 en Belgique) ;

 les camps de détention visant des personnes déjà entrées sur le territoire (ex : les centres de détention en Grande-Bretagne) ;

 les camps d’éloignement où les personnes sont détenues en vue de leur expulsion (ex : centres fermés en Belgique, de rétention en France, de détention en Allemagne).

Cette typologie présente cependant des limites importantes :

 des camps se situent à cheval sur plusieurs types (ex : les centres de détention en Grande-Bretagne, les centres de séjour temporaire en Italie) ;

 à l’inverse, il existe des cas atypiques. Le camp de Sangatte en France par exemple, fruit d’un accord dans l’urgence entre l’Etat et la Croix-Rouge en 1999, relevait d’une logique à la fois humanitaire et policière. Autre exemple, les centres de départ allemands (Ausreisezentren) qui accueillent des demandeurs d’asile - déboutés mais inéloignables - encouragés au « départ volontaire ».

 outre les camps, il existe d’autres lieux d’enfermement d’étrangers : les prisons (notamment en France, en Grande-Bretagne et en Belgique) et les locaux de rétention, peu ou pas visibles, peu connus et très difficiles d’accès.

Les régimes des centres d’enfermement présentent des différences importantes. Les durées légales de détention sont très variables : la France vient de porter la durée de rétention de 12 à 32 jours ; 60 jours en Italie ; 5 mois (extensibles à 8) en Belgique ; pas de limite en Grande-Bretagne. Les durées moyennes varient tout autant : 5 jours en France ; 26 à 32 jours en Belgique ; entre 1 et 4 mois dans 65 % des cas en Grande-Bretagne. Les conditions matérielles varient elles aussi considérablement : logements, sanitaires, nourriture, activités, visites, possibilité de téléphoner, accès à l’air libre, etc. Beaucoup de centres ne prévoient aucun aménagement pour les mineurs non-accompagnés. Parfois, des centres d’accueil spécifiques sont créés (dans certains Länder allemands). Plusieurs pays sont par ailleurs sur le point de se doter d’un système de tutelle.

On peut relever deux tendances communes dans la gestion de ces centres. D’une part, la volonté affichée de nombreux gouvernements d’augmenter le nombre de places dites « d’accueil » (en attestent les récentes déclarations des gouvernements italien, français et belge). D’autre part, on assiste à une délégation croissante de la gestion des centres à des entreprises privées. C’est déjà largement le cas en Grande-Bretagne et en Italie.

Enfin, les camps d’enfermements d’étrangers en Europe présentent d’importants traits communs en termes d’efficacité, d’objectifs annoncés et d’objectifs réels.

L’efficacité des centres d’éloignement se situe entre 40 et 60 % (par efficacité, on entend le nombre de personnes effectivement éloignées par rapport au nombre de personnes enfermées en vue de leur éloignement). En d’autres termes, une efficacité assez faible pour un coût opérationnel énorme. Avec une conséquence importante pas assez soulignée : la fabrication de clandestins, constitués pour partie de ceux qui finissent par être libérés parce qu’inéloignables et de ceux qui, éloignés, reviennent dans le pays où ils ont leurs attaches ou un travail.

Avec une efficacité aussi réduite, la portée réelle de ces camps se situe beaucoup plus dans l’ordre symbolique. Il s’agit en réalité d’envoyer un double signal. D’une part aux candidats-migrants (le « signal fort ») à qui on espère signifier que la politique de lutte contre l’immigration clandestine (enfermement-éloignement) sera poursuivie avec fermeté (« voyez ce qui vous attend »). D’autre part aux opinions publiques internes à qui on espère démontrer que le problème est pris au sérieux (« voyez, on s’en occupe »).

Au-delà d’une double portée symbolique, l’existence de ces camps rencontre aussi des objectifs moins avouables. D’abord rendre moins visible ce qui gêne : mettre à l’écart des personnes qui symbolisent les contradictions d’un système et l’absence patente de réflexion politique de fond sur le droit de se déplacer. L’exemple de Sangatte est particulièrement éclairant de ce point de vue. Ensuite se débarrasser opportunément d’une charge encombrante - financièrement mais surtout politiquement - pour le trésor public : qu’une personne soit effectivement éloignée ou poussée à la clandestinité, il n’y a en effet plus d’aide sociale à payer.