Revue de presse juillet 2025

 Libye

Les autorités du Gouvernement de stabilité nationale (GSN), dans l’est libyen (Benghazi), ont annoncé avoir expulsé 700 exilé·e·s soudanais·es par voie terrestre vers le Soudan. Cette flagrante violation de leurs droits les expose au conflit en cours dans le pays depuis 2023 et à de sérieux risques pour leur intégrité physique. Dans le même temps, les autorités du Gouvernement d’union nationale (GUN), au pouvoir dans la partie ouest du pays (Tripoli), continuent à intercepter [1] en mer des personnes migrantes et à les ramener vers la Libye. 113 personnes auraient fait les frais de tels « pull-backs » au début du mois de juillet – alors que les personnes en exil subissent des violences systémiques dans le pays. Un rapport de Médecins sans frontières, publié à l’occasion de la journée internationale de soutien aux victimes de la torture, alertait en juin 2025 de « l’échelle, la nature systématique et la brutalité de la torture, des abus et des pratiques violentes rapportées par des milliers d’exilé·e·s  » sur la route de la Méditerranée centrale.

Malgré cette situation, l’Union européenne continue de dialoguer avec les autorités libyennes, qu’il s’agisse de celles qu’elle reconnaît officiellement (GUN, à Tripoli) ou de celles dont elle ne reconnait pas la souveraineté (GSN, à Benghazi). Une délégation de haut niveau [2] s’est ainsi rendue à Tripoli le 8 juillet, avant de se diriger vers l’est du pays – et d’en être expulsée par le maréchal Haftar, au pouvoir à Benghazi à la suite d’un incident diplomatique. Si le contenu des discussions tenues à Tripoli n’a pas été officiellement dévoilé, la composition de la délégation ne laisse planer aucun doute sur leur lien avec les questions migratoires, en particulier dans le contexte de regain des arrivées dans l’UE depuis la Libye [3]. Par ailleurs, le Commissaire Brunner désigné aux Affaires intérieures et à la Migration a affirmé à Politico qu’il était « urgent et nécessaire » de reprendre les discussions avec l’est libyen, au-delà des échanges déjà opérés « au niveau technique ». Il se disait notamment inquiet de l’influence croissante de la Russie sur le pays – et des risques d’« instrumentalisation » de la migration, sur le modèle de ce qui se passerait aux frontières orientales de l’UE [4].

 Mauritanie

La Mauritanie poursuit avec zèle le durcissement de sa politique migratoire et maintient les nombreux renvois, rafles, et traques de personnes exilées (ou perçues comme telles [5]). Ces opérations menées depuis plusieurs mois (dans les lieux publics, sur les routes, dans les commerces, mais aussi directement dans les habitations) sont la conséquence du partenariat noué avec l’UE en mars 2024, en lien avec le soutien apporté par l’Espagne [6].

Ces renvois organisés, dont l’aspect raciste et xénophobe est vivement critiqué par la société civile, génèrent des situations de grande précarité et vulnérabilité aux frontières orientales mauritaniennes [7]. Elles touchent également des réfugié·e·s reconnu·e·s comme tel·le·s par le HCR, ou encore des personnes installées en Mauritanie depuis plusieurs années et titulaires d’une carte de séjour ou d’un permis de travail, notamment sénégalais·es, et ce en dépit de l’accord conclu en juin 2025 pour « lever tout obstacle à la libre circulation des ressortissants » de chacun des deux pays [8].

 Allemagne

Le ministre allemand de l’Intérieur envisage l’ouverture de discussions directes avec le régime taliban, au pouvoir en Afghanistan, dans le but de permettre l’expulsion d’Afghan·e·s vers leur pays d’origine. A l’exception d’un vol organisé en août 2024 (avec le soutien du Qatar) pour expulser 28 ressortissant·e·s afghan·e·s reconnu·e·s coupables de délits ou crimes en Allemagne [9], aucune expulsion n’avait été menée vers ce pays par l’Allemagne depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021. Une opération similaire a cependant été reconduite, une nouvelle fois grâce à l’entremise du Qatar : 81 hommes afghans « soumis à une décision d’expulsion et qui ont déjà été condamnés par la justice pénale  » ont été expulsés le 18 juillet 2025 [10] – opportunément, le jour où l’Allemagne accueillait un sommet interministériel sur la migration [11].

Ces déclarations ont suscité l’inquiétude des Nations Unies et du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, qui ont rappelé avec euphémisme que de telles expulsions n’étaient pas « appropriées » et que « les conditions sur place ne s’y prêtaient pas », demandant aux États de ne pas les mettre en œuvre. Les expulsions menées par l’Allemagne sont en effet en totale violation des obligations internationales du pays, qui – en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme – ne peut exposer des personnes sous sa juridiction à des traitements inhumains et dégradants. L’ONU a de nouveau alerté sur la situation dans le pays [12], dénonçant les expulsions massives mises en œuvre depuis l’Iran et le Pakistan malgré les « cas de torture, de maltraitance, d’arrestation et de détention arbitraire » imputés aux autorités talibanes contre des Afghan·e·s de retour dans le pays.

 Espagne

La municipalité de Torre Pacheco, dans la région de Murcie, a été marquée par de nombreuses violences racistes, commises par des groupes d’extrême-droite à l’encontre de personnes étrangères, entre le 9 et le 13 juillet 2025. Celles-ci ont été déclenchées par des appels à la haine lancés après qu’une vidéo, présentée comme la preuve qu’une personne âgée avait été agressée par un groupe d’hommes d’origine maghrébine, est devenue virale – avant d’être démentie par la suite [13]. Des groupes de militants d’extrême-droite se sont ainsi réunis quatre nuits consécutives, encapuchés et armés de bâtons, afin de faire la « chasse aux migrants ». L’une de leurs premières victimes : un jeune espagnol de 16 ans, dont l’origine marocaine lui a valu des injures à caractère raciste, ainsi que d’être roué de coups avant que la police n’intervienne.

Une telle récupération de faits divers par l’extrême-droite, cherchant à servir un agenda identitaire et xénophobe, n’est pas nouvelle : comme d’autres prétendues « paniques morales » rapportées ces dernières années en Europe, elle s’inscrit dans une stratégie rodée de l’extrême-droite européenne. Elle vise à capitaliser sur une situation en présentant une réaction violente comme « spontanée », « locale » et « populaire », alors qu’elle est orchestrée par des réseaux de militants liés à des partis politiques, qui ne sont souvent pas résidents de la localité en question. Derrière ces actes, ces groupes cherchent à légitimer et banaliser l’emploi de la violence et des persécutions à l’encontre des personnes étrangères, ou perçues comme telles.

 France

Les deux chambres du Parlement français ont adopté une proposition de loi allongeant la durée de privation de liberté en centre de rétention administrative (CRA) : celle-ci sera portée à 210 jours pour les personnes étrangères frappées par une décision d’expulsion et ayant fait l’objet d’une condamnation définitive pour un des délits et crimes énumérés à l’article premier de la loi [14], ou dont « le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Jusqu’alors, seules les personnes reconnues coupables d’actes, activités ou comportements à caractère terroriste pouvaient, à titre exceptionnel et sous réserve du contrôle d’un juge, subir une privation de liberté d’une telle durée.

Cette mesure, si elle venait à entrer en vigueur, aura pour seul effet un accroissement inutile des souffrances subies par les personnes enfermées et des tensions au sein des CRA, alors que les conditions de vie y sont souvent précaires, comme l’ont souligné une douzaine d’associations dans un communiqué, le 1er juillet 2025. L’objectif poursuivi (augmenter le nombre d’expulsions effectives) ne sera vraisemblablement pas atteint. Les associations de défense des droits des étrangers répètent depuis des années qu’enfermer plus ne signifie pas renvoyer plus, comme le montre l’évolution de la durée moyenne de rétention et du nombre de personnes expulsées entre 2017 et 2024 (multipliée par plus de 2.5 alors que le nombre d’expulsions a été divisé par plus d’1.75). La définition juridique floue de la notion de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » est également un motif d’inquiétude, car elle ouvre la possibilité d’une privation de liberté étendue et arbitraire. Le Conseil Constitutionnel a été saisi par deux groupes de député·e·s [15], qui remettent en cause le caractère proportionnel et nécessaire de la loi, soulignant notamment que les délits et crimes visés par celle-ci ne sauraient revêtir le même degré de gravité ou de menace que les crimes terroristes, sur la base desquels un régime dérogatoire était exceptionnellement applicable. Conformément à l’article 61 de la Constitution, le Conseil aura un mois pour statuer sur la constitutionnalité du texte et censurer, le cas échéant, les articles litigieux.

L’association Utopia 56 a annoncé déposer plainte pour homicide involontaire et omission de porter secours à l’encontre d’un groupe de policiers, à la suite des révélations de Disclose sur les circonstances du décès de Jumaa al-Hassan. Cet exilé Syrien s’était noyé dans la nuit du 2 au 3 mars 2024 dans le canal de l’Aa, à Gravelines, peu après une intervention policière déployée pour empêcher le départ d’une embarcation vers le Royaume-Uni. L’enquête, fondée sur des témoignages visuels et une reconstitution en trois dimensions des faits, semble indiquer que les forces de l’ordre ont délibérément omis de porter assistance à Jumaa après l’avoir aspergé de gaz lacrymogène, ce qui selon les témoins l’aurait poussé à se jeter à l’eau pour tenter de rejoindre le zodiac devant l’emmener au Royaume-Uni. Ce n’est que lorsque le bateau s’est embourbé dans la vase, quelques dizaines de mètres plus loin, qu’une opération de secours a été lancée autour du zodiac, sans toutefois se préoccuper du sort de Jumaa, qui avait disparu sous l’eau 20 minutes plus tôt. Son corps sera découvert sur les berges du canal 16 jours plus tard, par un passant. L’enquête sur ce dossier a rapidement été confiée à une unité chargée de lutter contre « les réseaux de passeurs », sans interroger la responsabilité de la police.

Comme ne cessent de le répéter les associations présentes sur place, « l’intervention de la police accroît la probabilité de décès et pousse même à prendre des risques encore plus grands pour s’assurer un départ » : pourtant, la France s’obstine dans la surenchère sécuritaire, encouragée par les financements du Royaume-Uni, désireux d’empêcher toute arrivée sur ses côtes.

A l’issue du sommet franco-britannique tenu le 10 juillet 2025 [16], les deux pays ont annoncé la conclusion d’un « accord pilote sur la migration transmanche » visant, pour la première fois, à permettre le retour en France de personnes renvoyées du Royaume-Uni après une traversée en small boat. Si le texte n’a pas été rendu public, il est d’ores et déjà annoncé qu’il s’inspirera du système « un pour un » mis en place après la Déclaration UE-Turquie de 2016 : pour chaque personne arrivée par small boat au Royaume-Uni et renvoyée vers la France (considérée comme « pays tiers sûr » [17]), une personne sera acceptée sur le territoire britannique par des voies dites régulières (regroupement familial ou demande d’asile). Les autorités françaises et britanniques tablent à ce stade sur une cinquantaine de renvois par semaine. Autre nouveauté, 26 agents de Frontex seront déployés sur le littoral, alors que le soutien de l’agence européenne se limitait jusque-là à une surveillance aérienne des côtes afin de signaler les embarcations dirigées vers le Royaume-Uni.

Les personnes ainsi renvoyées du Royaume-Uni et dépourvues de droit au séjour en France n’auront que peu de choix, une fois de retour en France : déposer une demande d’asile ou faire l’objet d’une procédure d’expulsion – et être détenu·e en CRA. Si la France, par le biais d’une procédure « Dublin », parvient à démontrer que la ou le demandeur·se est entré·e dans l’UE par un autre État membre, ou y a déjà déposé une demande d’asile, une procédure de transfert vers ledit État pourra être lancée, sans examen de la demande au fond. Loin d’apporter une « solution » aux personnes exilées cherchant à rejoindre le Royaume-Uni (21 117 au 6 juillet 2025 [18], soit 782 en moyenne par semaine), ce système les encouragera à tenter de se soustraire aux autorités, par le moyen de routes et pratiques dangereuses, et aggravera les risques encourus lors de la traversée.

 Grèce

Le parlement grec a approuvé, le 10 juillet 2025, une suspension du droit d’asile pour les personnes arrivant par la mer depuis l’Afrique du Nord [19], malgré les critiques du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) : sans possibilité de demander l’asile, les personnes exilées visées par cette suspension feront l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire grec et seront dès lors directement renvoyées (refoulées en fait) vers leur pays de départ, notamment en Libye où elles pourraient être exposées à des traitements inhumains et dégradants. Cette décision, que le Premier ministre estime nécessaire eu égard à « l’urgence de la situation » (qualifiée d’ « invasion » par le ministre en charge de la migration), fait suite à une augmentation des arrivées maritimes de personnes exilées depuis la Libye ces dernières semaines. Plus de 200 personnes secourues en mer auraient déjà fait les frais de cette suspension du droit d’asile, quelques jours seulement après son entrée en application [20].

La Grèce choisit ainsi de mépriser le droit de l’Union, qui l’oblige, ainsi que les droits les plus fondamentaux des personnes en migration : celui de quitter tout pays [21] – à plus forte raison si celui-ci n’est pas sûr pour elles [22] – et de solliciter la protection d’un autre État. Si l’angle de communication des autorités helléniques est « la lutte contre la traite d’êtres humains » et contre « le trafic de migrants », leur politique va à contre-sens de ces prétendus objectifs, en permettant que les personnes exilées soient renvoyées dans un pays où elles encourent des violations de leurs droits, et duquel elles pourraient retenter à terme de fuir.

A l’occasion d’une réunion informelle du Conseil des ministres « Justice et Affaires Intérieures » de l’Union européenne, la Grèce a présenté un projet de loi sur « la migration illégale », qualifiée de « plus stricte jamais soumise au niveau de l’UE ». La loi prévoit un certain nombre de mesures dont l’objectif affiché est d’introduire des « désincitations » à la migration : plateformes d’expulsion (return hubs) hors de l’UE (la Libye et la Tunisie étant citées pour accueillir ces structures), surveillance accrue et électronique des personnes en situation administrative irrégulière, séjour irrégulier puni de peines d’emprisonnement [23]… Le Premier ministre grec avait également annoncé quelques jours auparavant, dans un discours devant le parlement hellénique, vouloir construire un nouveau centre de détention administrative en Crète.

Considérant les nombreuses violations des droits que subissent les personnes exilées privées de liberté en Grèce [24], ces énièmes mesures attentatoires aux droits vont les fragiliser encore davantage, et contribuer à leur marginalisation et précarisation en Grèce.

 Italie

La Cour constitutionnelle italienne a rendu un arrêt concernant la constitutionnalité du décret Piantedosi  : la question avait été soulevée par un tribunal de Brindisi, après que le navire Ocean Viking, de l’ONG SOS Méditerranée, avait été immobilisé (conformément au décret) en 2024 pour avoir procédé à « un nombre excessif d’interventions » de sauvetage en Méditerranée. Si la Cour constitutionnelle a considéré que la mesure d’immobilisation du navire n’était ni déraisonnable ni disproportionnée, et n’a donc pas invalidé le décret ou les décisions prises dans le cadre de son application, elle a réaffirmé que celle-ci était subordonnée au respect du droit international, et notamment de la Convention SAR (Search and Rescue – Recherche et sauvetage) sur la sauvegarde de la vie humaine en mer. Ainsi, la Cour estime que dans le cas où leur non-respect permet de sauver des vies ou de les protéger d’une exposition à des traitements inhumains et dégradants, celui-ci ne sera pas sanctionné, les dispositions du décret n’étant, dans ce cas, contraignantes (voir §26 de l’arrêt). Cela inclut donc à la fois la protection contre un danger imminent (risques pour la vie en mer) et le débarquement en lieu sûr des personnes secourues (en application du principe de non-refoulement, de manière à garantir le droit à la vie ainsi que la protection contre la torture, les traitements inhumains et dégradants et les expulsions collectives).

Le décret avait été vivement critiqué par les organisations de la société civile, et notamment les ONG civiles de sauvetage, qui ont vu leurs activités menacées ou entravées par sa mise en application [25]. A la décision de la Cour de valider le décret, qualifié d’ « anti-ONG », SOS Méditerranée a réagi en formulant l’espoir que cette décision « conduira désormais l’administration et les juges italiens à appliquer le décret Piantedosi dans le respect du droit maritime  » – un espoir qui a été rapidement anéanti. En effet, le bateau de sauvetage rapide de l’ONG Sea Watch, l’Aurora, bloqué à Lampedusa depuis le 22 juillet 2025 en application du décret Piantedosi, n’a pas pu porter assistance à une embarcation en détresse à seulement quatre heures et demie de là, le 28 juillet 2025. Alors qu’un navire de Frontex s’était approché de l’embarcation, c’est finalement un navire marchand qui a pris en charge l’opération de sauvetage, au cours de laquelle deux enfants se sont noyé·e·s et une personne a disparu après le chavirement de l’embarcation [26].

Le consortium d’ONG italiennes Tavolo Asilo e Immigrazione (TAI) a remis au Parlement italien un rapport sur le centre italien de détention pré-expulsion (CPR) de Gjäder, en Albanie, qui affirme que ce système représente une menace pour la démocratie et l’État de droit en Italie. TAI signale que 132 personnes ont été transférées dans le camp extraterritorial de Gjäder depuis avril 2025 [27], en l’absence systématique de la moindre trace écrite et motivée – et souvent en pleine nuit, sans avertir les personnes détenues, sans leur donner d’information sur leur destination, et par la force (menottage à l’aide de câbles). TAI indique également que l’accès aux soins et l’exercice du droit à la défense ou au recours sont entravés une fois sur place.

Les six visites et plus de soixante entretiens menés par TAI ont ainsi permis de mettre en lumière les nombreuses violations des droits que suppose ce camp externalisé d’expulsion, qui contrevient à bon nombre de principes fondateurs d’une Union européenne pourtant décidée à autoriser ses États membres à reproduire et généraliser un tel modèle [28].

 Pologne

La Pologne a introduit des contrôles temporaires [29] à ses frontières intérieures avec l’Allemagne et la Lituanie, prenant exemple sur d’autres pays de l’espace Schengen ayant (re)mis en place de tels contrôles récemment (Pays-Bas, Belgique, Allemagne). Cette mesure semble constituer une réponse au tournant restrictif pris par les autorités allemandes, qui ont décidé de refuser l’entrée sur le territoire de toute personne étrangère se présentant à sa frontière – même lorsqu’elles sont en quête de protection. Le gouvernement polonais avait exprimé son mécontentement face à la mesure, dont Varsovie jugeait qu’elle laissait la Pologne « face à un injuste fardeau supplémentaire ». Côté lituanien, la Pologne justifie sa décision par le risque que des personnes en exil « instrumentalisées » par la Russie et le Bélarus franchissent les frontières lituaniennes hors des postes frontières habilités, puis entrent en Pologne de manière dite irrégulière.

Ces décisions vont compliquer encore plus le parcours des personnes en migration. Empêchées d’entrer en Allemagne, traquées aux frontières polonaises et privées d’y déposer une demande d’asile [30], refoulées vers le Bélarus, celles-ci se verront exposées à des traitements inhumains et dégradants [31], voire à des risques pour leur intégrité physique, ce qui les contraindra à privilégier des itinéraires dangereux pour échapper aux contrôles. Le 22 juillet 2025, des soldats polonais ont ainsi fait usage de leurs armes contre un groupe de personnes en migration entrées en Pologne depuis le Bélarus hors des postes frontières habilité. L’une d’entre elles a été blessée à la cuisse par une balle en caoutchouc et transférée à l’hôpital [32]. Les autorités ont justifié ces actes dans un communiqué par le caractère délictuel du franchissement frontalier – ne s’embarrassant pas de la moindre considération sur la (non) proportionnalité d’une telle réponse [33].

 Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, le gouvernement a annoncé au Parlement vouloir faire usage de l’intelligence artificielle (IA) pour vérifier, par reconnaissance faciale, l’âge des personnes déposant une demande d’asile sur leur territoire, jugeant cette option « la plus rentable ». En clair, lorsque l’âge annoncé par un·e demandeur·se d’asile est contesté par les autorités, ou lorsqu’une incertitude existe sur la minorité de cette personne, les agents seront autorisé·e·s à utiliser l’IA (entrainée sur des millions d’images de personnes dont l’âge est connu) de manière à obtenir une estimation de son âge basée sur les traits de son visage.

L’évaluation de l’âge d’un·e demandeur·se d’asile est primordial dans sa prise en charge, dans la mesure où les mineur·e·s bénéficient de protections et garanties supplémentaires – notamment, des hébergements adaptés. Or, la méthode standard de détermination de l’âge actuellement au Royaume-Uni n’est pas conforme à la Convention des droits de l’enfant, et ne respecte pas les droits fondamentaux du mineur. En l’absence de preuve « suffisante de minorité », la détermination se fait en effet au faciès : il suffit que deux agents du Home Office estiment que la personne est « âgée de significativement plus que 18 ans » sur la base de son apparence physique et comportement pour que cette évaluation soit considérée comme fiable par l’administration [34]. Toute erreur [35] dans ce processus fait encourir à des mineur·e·s le risque d’être traité·e·s en adulte par l’administration, au mépris de leurs droits et de leur intérêt supérieur. Ce n’est cependant pas le problème auquel le gouvernement souhaite prioritairement s’attaquer : dans son discours au Parlement, la ministre de la Sécurité frontalière et de l’asile, Angela Eagle, a préféré signaler les cas d’ « adultes […] faussement identifiés comme des enfants ». Alors que ce langage vient attiser la méfiance vis-à-vis des personnes exilées, la mesure proposée demeure inquiétante : quelles seront les garanties pour les personnes soumises à cet usage de l’IA ? Comment s’assurer que l’IA ne reproduira pas de biais ? Quelles voies de recours contre une décision fondée sur l’IA ? Quel traitement des données personnelles par les autorités ? Ce dernier point est particulièrement important, compte tenu de l’ère de surveillance massive des personnes étrangères dans laquelle sont entrés bon nombre de pays européens [36].

 Frontex

Une enquête conjointe des journaux Le Monde, El País et Solomon [37], révèle l’existence d’un vaste système d’échange de données personnelles entre l’agence européenne des garde-côtes et garde-frontières (Frontex) et l’agence européenne de coopération policière (Europol), visant des activistes et des personnes migrantes. L’enquête a pour point de départ l’affaire Helena Maleno, une militante espagnole poursuivie au Maroc pour trafic d’êtres humains et « facilitation de migration clandestine » (acquittée en 2019). Lors de son procès, le juge a cité des extraits issus de trois rapports de Frontex, que l’agence avait transmis à Europol, qui les avait elle-même transférés à la police espagnole dans le cadre d’une affaire distincte, avant que celle-ci ne les remette aux autorités marocaines – hors de toute procédure régulière. Dans ces dossiers, sont relevées de nombreuses informations personnelles qui ne relèvent pas de l’affaire en question.

Cet exemple est symptomatique d’une pratique ancrée dans le fonctionnement des deux agences, liées depuis 2008 par un arrangement de travail régissant leur coopération, en grande partie fondée sur le partage à Europol, par Frontex, d’informations collectées dans le cadre de ses activités (art. 9). Fin 2024, le Contrôleur Européen de la Protection des Données (CEPD), avait conclu que Frontex avait « illicitement », systématiquement et proactivement transmis à Europol des données personnelles (concernant plus de 11 000 personnes et 450 ONG entre 2016 et 2021) issues de ses « entretiens de débriefing » avec les personnes migrantes à peine débarquées – presque 18 000 menés entre 2016 et 2021 –, qui avaient ensuite été mises à disposition des autorités policières des États membres. Alors que l’agence Frontex n’a pas de mandat légal pour une telle collecte proactive d’informations, celle-ci a pour habitude de qualifier de « suspecte » toute personne mentionnée dans un de ces interrogatoires sans vérification postérieure. De plus, le mandat de Frontex n’autorise un tel transfert de données qu’au cas par cas – et non de manière systématisée. Si Frontex assure avoir « tiré des leçons claires de cette expérience » et continuer « d’adapter ses pratiques internes en conséquence », l’agence n’a à ce sujet subi aucune forme de sanction autre que la réprimande du CEPD, ce qui illustre à la fois la large latitude dans la conduite de ses activités, sa dangerosité et sa totale impunité.

 Projet de cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2028-2034

La Commission européenne a rendu publique, le 16 juillet 2025, sa proposition de cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034 – un budget qu’elle qualifie d’ « ambitieux et dynamique », entendant l’élever à 2 000 milliards d’euros, contre 1 200 milliards pour la période actuelle (2021-2027). Les dépenses liées aux politiques migratoires européennes totalisent 25 milliards d’euros pour 2021-2027 : ce budget est largement réhaussé, à 81 milliards d’euros [38] (soit une multiplication par 3.25, alors que le budget total de l’UE n’est multiplié que par 1.67). L’agence Frontex voit son budget pluriannuel passer de 5.6 milliards d’euros [39] à 11.9 milliards (+112.5%) et près de 34 milliards d’euros seront alloués à la surveillance des frontières et à l’équipement des garde-frontières, tandis que les dépenses des programmes liés à l’asile ou à l’inclusion des personnes exilées sont supprimées. Les instruments de financement de projets actuels (FAMI [40], IGFV [41], FSI [42]) sont fusionnés, mettant en péril la transparence sur l’utilisation (pays destinataires, objectifs visés, partenaires de mise en œuvre, ventilation des fonds…) des larges montants affectés. L’instrument pour le voisinage NDICI-GE, renommé « Global Europe » (GE [43]), se verra allouer 200 milliards d’euros (+75%), avec parmi ses objectifs celui de permettre une « coopération globale avec les pays partenaires, qui contribue à la stabilité et réponde à des défis communs tels que la migration ».

L’orientation générale de cette proposition de budget vient ainsi poursuivre la sécuritisation des frontières de l’UE et conforter la mise en place de politiques migratoires et frontalières restrictives, dans la lignée des mesures du Pacte sur la migration et l’asile, qui entreront en application en juin 2026. L’enveloppe élargie destinée à des projets ou « partenariats » hors de l’UE viendra sans aucun doute encourager l’externalisation tous azimuts des politiques migratoires européennes sécuritaires. Le manque de transparence sur les dépenses, déjà caractéristique du CFP actuel, risque de s’intensifier en conséquence des objectifs de « dynamisme », de « flexibilité » et de « simplification » poursuivis par la Commission européenne (moins de plafonds et cibles de dépense, enveloppes moins cloisonnées, fléchages peu précis…) et sur demande des États membres. La protection internationale est largement laissée de côté, et seulement mentionnée dans le cadre du Pacte et de ses mesures restrictives (procédures accélérées, lutte contre de prétendus « abus »), illustrant la poursuite par l’UE de la chimère d’une Europe forteresse, au mépris du respect des droits des personnes exilées, de leur protection et de leur intégration.

 Sommet de Zugspitze

L’Allemagne a réuni, le 18 juillet 2025, un groupe de ministres européen·ne·s pour un sommet sur la migration, organisé au Zugspitze, la montagne la plus élevée du pays : le ministre de l’Intérieur fédéral y avait invité ses homologues français, polonais, autrichien, danoise et tchèque – en amont, notamment, d’une réunion informelle des ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’UE, à Copenhague, le 22 juillet 2025. La déclaration finale des six ministres indique un accord sur cinq grands axes d’objectifs communs. Concernant les expulsions, les ministres souhaitent « permettre la création de centres de retour dans des pays tiers […] et améliorer le mandat de Frontex afin d’aider les États membres à renvoyer les personnes vers ces centres dans des pays tiers », mais aussi que Frontex soit « mandatée pour procéder à des retours depuis des pays tiers tels que les Balkans occidentaux ». Ils exigent également que les expulsions vers l’Afghanistan et la Syrie soient rendues possibles, malgré la situation extrêmement dangereuse de chacun de ces pays. Il est également fait mention d’un « élargissement significatif » des partenariats stratégiques noués avec des pays non-membres de l’UE. Enfin, les propositions législatives de la Commission européenne concernant les concepts de « pays tiers sûr » et de « pays d’origine sûr » sont accueillies favorablement, et les ministres appellent à compléter ces initiatives par des réformes d’autres notions du droit de l’UE en matière d’asile et de migration – telles que la suppression de l’effet suspensif des recours interjetés après le rejet d’une demande d’asile.

Si ces prises de position ne surprennent plus, la formation d’une telle coalition, qui promet des initiatives communes délétères sur l’asile et la migration, et comprend l’État membre actuellement à la présidence tournante du Conseil de l’UE (le Danemark), accentuera la guerre aux migrant·e·s initiée depuis plusieurs décennies.