Contre tous les régimes et frontières d’apartheid : cessez-le-feu et liberté de circulation en Palestine
Communiqué de Migreurop
En tant que réseau euro-africain d’associations de défense des droits, d’activistes et
de chercheuses et chercheurs, Migreurop défend la liberté de circulation de toutes et
tous. Avec ce communiqué, Migreurop souhaite rejoindre les nombreux appels au
cessez-le-feu immédiat et dénoncer la complicité de la majorité des États européens
avec l’État d’Israël dans les massacres en cours en Palestine. Migreurop condamne
toute forme d’entrave à la mobilité, dont l’occupation de la Palestine et le blocus de
Gaza sont un des exemples les plus extrêmes. La fermeture des frontières et
l’externalisation des contrôles migratoires par ou avec le soutien de l’Union
européenne et de ses États membres contribuent à maintenir et renforcer l’apartheid
des mobilités et la hiérarchisation des droits et des vies des personnes au détriment
des Palestinien·ne·s.
Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a émis une ordonnance
enjoignant à Israël de « prévenir les actes de génocide » contre les Palestinien·ne·s
et de « prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer la fourniture d’une
assistance humanitaire aux civils à Gaza ». La plus haute juridiction des Nations unies
s’est déclarée compétente pour enquêter sur l’affaire introduite par l’Afrique du Sud
accusant Israël de commettre un génocide. Ces mesures provisoires ont été ignorées
par l’État israélien, dont l’opération militaire à Gaza s’est poursuivie en violation des
décisions de la CIJ au cours des quatre derniers mois. Les bombardements se sont
étendus et intensifiés à Rafah, ville située dans le sud de la bande de Gaza, à la
frontière avec l’Égypte, qui constituait la dernière zone où 1,3 million de
Palestinien·ne·s s’étaient réfugié·e·s. Israël a systématiquement empêché l’aide
humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza, utilisant ainsi la famine et la maladie
comme des armes de guerre.
Le 7 mai, l’armée a entamé son invasion terrestre sur l’Est de la ville. Depuis lors,
environ un million de Palestinie·ne·s ont été déplacé·e·s de Rafah. Le 24 mai, la CIJ
a émis de nouvelles mesures provisoires, ordonnant à Israël de « retirer
immédiatement, entièrement et inconditionnellement son armée de l’ensemble de la
bande de Gaza ». Par ailleurs, le 20 mai, le Procureur auprès de la Cour pénale
internationale (CPI) a demandé la délivrance de mandats d’arrêt concernant le
Premier ministre et le ministre de la défense israéliens, ainsi que trois leaders du
Hamas.
Jusqu’ici, l’Union européenne et ses États membres n’ont pas pris les mesures
nécessaires pour qu’Israël applique les décisions de la CIJ et respecte le droit
international. La plupart des États européens se sont abstenus ou ont voté contre les
résolutions de l’ONU appelant à un cessez-le-feu, et ce, à plusieurs reprises. Nombre
d’entre eux ont continué, voire accéléré, leur vente d’armes à un État faisant l’objet
d’une enquête pour génocide. À ce jour (31 mai 2024), plus de 36 000 Palestinien·ne·s
ont été tué·e·s et au moins 82 000 ont été blessé·e·s.
Entre-temps, l’UE et ses États membres se sont efforcés d’anticiper l’arrivée
potentielle de réfugié·e·s palestinien·ne·s qui parviendraient à fuir de Gaza pour veiller
à ce que ces personnes restent en Égypte. Le 17 mars 2024, la présidente de la
Commission européenne, Ursula von der Leyen, accompagnée des Premiers
ministres belge, italien, grec, chypriote et autrichien, s’est rendue au Caire pour signer
avec le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, un partenariat stratégique global
entre l’UE et l’Égypte. Celui-ci est financé par l’UE à hauteur de 7,4 milliards d’euros
et a, entre autres, pour but de "réduire la migration irrégulière".
Ce partenariat va dans le sens des politiques européennes d’externalisation du
contrôle migratoire, en particulier la déclaration UE-Turquie de 2016. Suivant ce
modèle, l’UE a récemment conclu de nouveaux arrangements avec la Tunisie (juillet
2023 - 700 millions d’euros), la Mauritanie (février 2024 - 210 millions d’euros) et le
Liban (mai 2024 - 1 milliard d’euros). Ces accords apportent un soutien économique
et une légitimité politique à des régimes dont la dérive autoritaire et les violations des
droits humains ont été largement documentées. En sous-traitant le "sale boulot" à ces
États, l’UE ne leur donne pas seulement un blanc-seing pour bafouer les droits
humains : elle alimente aussi des récits et des actes racistes et xénophobes,
contribuant ainsi à l’érosion de l’État de droit.
Dans le cas de l’Égypte, 5 milliards d’euros de prêts concessionnels "non liés et non
désignés" seront transférés au Trésor égyptien, ce qui laisse au gouvernement une
grande marge de manœuvre quant à la manière de les dépenser. En ce qui concerne
le contrôle des migrations, l’accord prévoit 200 millions d’euros de subventions non
remboursables, prétendument pour « lutter contre le trafic et la traite des êtres
humains », une rhétorique généralement mobilisée pour criminaliser la migration en
tant que telle. Ce soutien européen cautionne et renforce de nombreuses violations
des droits humains, dont les refoulements de citoyen·ne·s soudanais·es,
documentées depuis longtemps. En adéquation avec le régime migratoire mondial
qui se matérialise par la construction de murs (et barrières) et l’encampement
généralisé des exilé·e·s, l’État égyptien renforce la militarisation de sa frontière avec
Gaza depuis octobre 2023 et anticipe la future détention de réfugié·e·s en construisant
un camp dans le Sinaï. En parallèle, l’Égypte monnaie l’accès à son territoire aux
seul·e·s palestinien·ne·s qui peuvent payer un prix exorbitant.
L’impunité dont bénéficie Israël depuis sa création et de manière flagrante ces sept
derniers mois décrédibilise le droit international et affaiblit le respect des droits
humains dans le monde entier. La politique du deux poids deux mesures appliquée
par les États européens à l’égard d’Israël permet de légitimer une complicité qui
repose notamment sur un partenariat militaire. Les drones israéliens, par exemple,
sont utilisés par Frontex (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes)
en Méditerranée où les moyens de surveillance maritime (navires tenus de secourir
les personnes en danger en mer) sont remplacés par des moyens de surveillance
aériens (drones et avions) afin de faciliter les refoulements des personnes en
migration. Les technologies militaires et de surveillance israéliennes sont réputées
parce qu’elles sont « testées sur le terrain », ce qui n’est possible que grâce à
l’occupation prolongée et illégale du territoire palestinien par Israël. Parce que ce sont
également des espaces où « tout est permis », les camps d’exilé·e·s, comme celui de
Moria en 2020, servent également de lieu d’expérimentation et de déploiement des
nouvelles technologies de surveillance et de contrôle. Ce sont bien les mêmes
technologies qui entravent la liberté de circulation des Palestinien·ne·s et celle des
exilé·e·s et dont l’usage se banalise et se généralise auprès de la population dans son
ensemble.
Cette sécuritisation des migrations à coup de grands renforts technologiques et
militaires s’appuie sur une criminalisation croissante des personnes exilées et de leurs
soutiens, dont des accusations de trafic d’êtres humains et de terrorisme. En
Méditerranée centrale, par exemple, harcèlement judiciaire, confiscation des navires
et discours médiatiques hostiles sont des attaques courantes envers les acteurs du
sauvetage en mer qui portent assistance à des personnes en danger de mort. Dans
une même logique, Israël a mené une campagne contre l’UNRWA, l’agence des
Nations unies en charge de l’assistance et de la protection des réfugié·e·s
palestinien·ne·s au Moyen-Orient, principal canal d’une aide humanitaire vitale à
Gaza. Les accusations (notamment celle de compter un nombre significatif de
membres d’organisations terroristes parmi ses salarié·e·s), pourtant jugées infondées
par une enquête indépendante des Nations unies, ont servi à légitimer le
bombardement de ses locaux, la mort de ses salariées ou encore le fait de bloquer
ses convois humanitaires.
Le réseau euro-africain Migreurop lutte pour la liberté de circulation : cela inclut la
liberté de partir, de revenir et de s’installer. Revendiquer la liberté de circulation n’a de
sens que si elle inclut le droit de rester et le droit au retour. Si le nettoyage ethnique
de la Palestine a commencé il y a plus de 76 ans, l’exacerbation de la violence
génocidaire à Gaza ces derniers mois en fait l’épisode le plus meurtrier. Les attaques
toujours en cours provoquent le déplacement forcé de millions de Palestinien·ne·s,
dont beaucoup de familles déjà déplacées de force depuis des décennies dans la
bande de Gaza, transformée en véritable prison à ciel ouvert par 17 années d’un
blocus total imposé par Israël. Les tueries, l’enfermement et le déplacement forcé des
Palestinien·ne·s génération après génération doivent cesser. Cette situation s’inscrit
dans une logique raciste et coloniale contre laquelle lutte le réseau Migreurop. Elle
représente un archétype de l’apartheid des mobilités à l’échelle mondiale et de la
hiérarchisation des droits et des vies des personnes, cautionnés par une Europe qui,
en Palestine comme sur les routes de l’exil, laisse mourir, voire permet de tuer.