WatchTheMed : un réseau de contre-surveillance pour mettre fin aux décès et aux violations des droits des migrants en mer

5 décembre 2013

Alors que l’Union européenne (UE) lance Eurosur - Système européen de surveillance des frontières - et militarise ainsi davantage ses frontières maritimes, des membres de la société civile lancent WatchTheMed (watchthemed.net) - un « contre-Eurosur » pour documenter et dénoncer les décès de migrants et les violations de leurs droits en Méditerranée.

Le 3 octobre 2013, un bateau transportant plus de 500 personnes a coulé à moins d’1 km des côtes de Lampedusa. Au moins 366 personnes sont mortes, 155 seulement ont été rescapées. [1]

La réponse donnée par l’UE à la clameur publique causée par cet événement tragique est, une fois de plus, lamentable. Au lieu de remettre en question les politiques migratoires qui, au cours des vingt dernières années, ont produit plus de 14 000 morts aux frontières maritimes de l’Europe [2] , l’UE s’évertue une fois de plus à accentuer la militarisation du contrôle de ses frontières. Les États d’Afrique du Nord sont invités à sévir contre les migrants qui partent de leurs côtes. On en appelle à Frontex, l’agence européenne chargée du contrôle de ses frontières externes - pourtant récemment dénoncée pour tolérer le fréquent recours à des refoulements en mer Égée [3] - afin qu’elle étende ses activités à l’ensemble de la Méditerranée. On déploie un nouvel outil de surveillance : Eurosur.

Conçu comme un « système de systèmes » reliant les moyens de surveillance de tous les corps et institutions de contrôle aux frontières, Eurosur est essentiellement une plate-forme d’échange d’informations destinée à fournir une information instantanée sur la situation aux frontières (« situational awareness ») la plus précise possible afin que les gardes-frontières puissent « détecter, identifier, suivre et intercepter » les tentatives de traversées de migrants, empêcher ces derniers de pénétrer sur le territoire de l’UE et, assure-t-on, permettre de sauver leurs vies. Mais comment davantage de surveillance aiderait à sauver des vies alors que ce sont justement le refus de l’accès légal au territoire de l’UE et la militarisation des frontières qui obligent les migrants à recourir à des moyens clandestins et dangereux de passage ? Comment pouvons-nous adhérer à l’idée que plus de surveillance serait une solution, lorsqu’on sait que le naufrage du 3 octobre a eu lieu après que le bateau soit passé au travers des mécanismes de surveillance déployés autour de Lampedusa, qui font de ces eaux les plus contrôlées en Méditerranée ? [4]

Le 11 octobre 2013, un bateau transportant plus de 400 personnes a coulé après avoir fait l’objet de tirs d’un navire libyen. Bien que l’Italie et Malte aient été avertis de la détresse imminente des passagers, le sauvetage a été retardé et les patrouilleurs sont arrivés une heure après que le bateau ait coulé. Plus de 200 personnes ont perdu la vie, 212 seulement ont pu être sauvées. [5]

Ce cas révèle le vrai visage de la surveillance et les effets de la militarisation de la Méditerranée. D’une part, il témoigne une fois de plus de la violence à laquelle les migrants sont soumis du fait de la pression exercée par l’UE sur les États d’Afrique du Nord pour qu’ils arrêtent ceux qui émigrent de leurs côtes. Au cours des dix dernières années, l’UE et les États membres ont fourni du matériel militaire à la Libye, y compris plusieurs bateaux de patrouille, en dépit de la pleine connaissance des violations systématiques des droits des migrants commises par les autorités libyennes. D’autre part, ce cas démontre que la connaissance de la détresse de migrants qu’Eurosur promet d’améliorer à travers de nouveaux moyens de détection n’est pas suffisante pour éviter une tragédie. Comme l’enquête à laquelle WatchTheMed a contribué le montre, le retard pris dans les opérations de sauvetage est moins un accident que l’effet de la réticence des États de l’UE à accepter les migrants sur leur territoire, et la tentative des États de se soustraire à leurs responsabilités en matière de sauvetage est tragiquement utilisée de facto comme outil de dissuasion envers les réfugiés. En l’occurrence, plusieurs navires - y compris ceux de la marine et des garde-côtes italiens - sont restés dans les environs, mais ne sont intervenus que lorsqu’il était trop tard.

Aujourd’hui 5 décembre, le conseil européen Justice et Affaires intérieures se réunit à Bruxelles et va discuter de nouvelles mesures pour lutter contre « l’immigration illégale » et les décès de migrants en mer. Eurosur a été officiellement lancé il y a trois jours, après avoir été en opération depuis déjà plusieurs mois. Alors qu’il est affirmé qu’Eurosur aidera à sauver des vies, les conditions de la mort de plus de 600 migrants dans les deux naufrages évoqués ci-dessus apportent à cette prétention un démenti radical. Le public européen ne doit plus être aveuglé par le vernis humanitaire qui recouvre les politiques de fermeture et la militarisation des frontières.

Plusieurs organisations de défense des droits des migrants choisissent ce jour pour lancer leur contre-Eurosur.

Alors que les États et les institutions frontalières de l’UE se voient dotés d’un nouvel outil de détection de la mobilité clandestine, la société civile des deux côtés de la Méditerranée refuse la militarisation des frontières, les décès et les violations des droits des migrants qui ont lieu dans l’ombre. Désireux d’exercer un droit de regard essentiel sur les frontières maritimes de l’UE, des organisations de défense des droits des migrants, des militants et des chercheurs lancent une plate-forme de cartographie en ligne baptisée WatchTheMed (WTM).

Cet outil permet à tous de surveiller les activités des contrôleurs aux frontières et de cartographier avec précision les violations des droits des migrants en mer, et ainsi de déterminer quelles autorités et quels acteurs en mer en portent la responsabilité. Grâce à des interviews de survivants et à certaines des technologies utilisées par Eurosur - technologies de suivi des navires, images satellites, positions géo-référencées à partir de téléphones satellitaires – et avec spatialisation des données qui se dégage de ces sources, WTM est en mesure de poser les questions suivantes : dans quelle zone de « recherche et sauvetage » (zone SAR) se trouvait tel navire en détresse, et qui était responsable des opérations de sauvetage ? Quels navires étaient dans les environs ? Si l’embarcation a été secourue, les passagers ont-ils été transportés vers un pays dans lequel ils pourraient demander le bénéfice de la protection internationale ou bien ont-ils été refoulés ?

WTM fonctionne donc comme une salle de contrôle maritime en ligne participative, mais avec des objectifs opposés à ceux des contrôleurs des frontières : elle vise à permettre aux citoyens de faire pression sur les autorités afin de les obliger à respecter les droits des migrants, à dénoncer la violation de ces droits ou l’inaction lorsque ces droits sont bafoués. À travers WTM, nous voulons contribuer à mettre fin aux morts de migrants en mer et promouvoir une autre vision de la Méditerranée.
Au lieu des politiques meurtrières de fermeture des frontières, l’ouverture et la solidarité doivent façonner l’avenir de la région méditerranéenne. Il faut des ponts et pas des murs pour une nouvelle relation entre Afrique et Europe, dans laquelle la mer et l’Europe elle-même puissent devenir un espace de liberté, de sécurité et de droits égaux pour tous.

La militarisation et la surveillance sont le problème, pas la solution.

Contrôleurs aux frontières, aussi longtemps que vous surveillerez la Méditerranée, nous vous surveillerons !

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