Non à la révision de l’article 13 de l’accord de Cotonou !

Qu’est ce que l’accord de Cotonou révisé ?

L’accord de partenariat entre les 27 pays de l’Union Européenne (UE) et les 79 pays ACP [1] (48 pays d’Afrique sub-saharienne, 16 des Caraïbes et 15 du Pacifique), dit « Accord de Cotonou », a été signé le 23 Juin 2000 en remplacement des conventions de Lomé. Il intègre un certain nombre de mécanismes de coopération, de dialogue politique et d’échanges commerciaux. Il a une durée de 20 ans et est révisé tous les cinq ans.

Le Parlement européen regrette que ni le Parlement européen, ni l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, pas plus que les organisations de la société civile n’aient pas été associés au processus de décision qui a mené à l’identification des domaines et des articles de l’Accord de Cotonou qui devraient être révisés, mais également à l’établissement du mandat de négociation adopté par le Conseil de l’Union européenne et le Conseil des Ministres ACP [2]

De nombreuses ONG s’inquiètent par ailleurs de l’apparition croissante dans le dialogue politique, côté européen, de questions de plus en plus éloignées de la lutte contre la pauvreté, telles que les questions de sécurité et de contrôle des frontières et l’utilisation du Fonds Européen de Développement pour financer des projets de coopération dans ces domaines [3]
L’article 13 sur les migrations

L’article 13 actuel [4], qui n’a pas été révisé en 2005, concerne le dialogue ACP-UE sur les migrations. Il rappelle les engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme, de non-discrimination des travailleurs migrants, de prévention de l’ « immigration illégale », et de nécessité de s’attaquer aux causes structurelles des migrations, notamment les questions de formation. Il contient enfin une partie conséquente sur le retour des « immigrants illégaux » dans leur pays d’origine, en renvoyant toutefois les modalités concrètes de réadmission à la négociation et à la signature d’accords bilatéraux.

Les enjeux de la révision de l’article 13

Le 23 février 2009, le Conseil de l’Union Européenne a adopté les directives de négociation présentées au Président du Conseil des Ministres ACP. Dans l’annexe de ces directives [5], on peut lire ceci : « Il convient de se préoccuper de la question de la migration afin de renforcer le lien entre migration et développement, la gestion des migrations légales et la lutte contre les migrations clandestines ».
Une note du Centre européen de gestion des politiques de développement de décembre dernier [6] donne des détails inquiétants sur ce que l’UE est en train de négocier avec les pays ACP en matière de réadmission.

Une clause de réadmission qui devient contraignante et automatique, sans passer par des accords bilatéraux

En effet, ce document souligne que les modifications souhaitées par l’Union Européenne sur cet article visent à rendre la réadmission contraignante. Il n’y aura donc plus besoin d’accords bilatéraux complémentaires.

La charge de la preuve de la nationalité incomberait désormais au pays d’origine supposé qui aura un certain délai pour le faire, passé ce délai la personne sera renvoyée automatiquement

Le Centre européen de gestion des politiques de développement revient également dans sa note sur les conditions que devraient accepter les pays ACP. D’après cette note, elles sont très strictes, notamment la charge de la preuve de la nationalité du réadmis qui incombera aux pays ACP, alors même que la procédure et les critères de coopération du pays ACP concerné ne sont pas clairs.

Dans l’hypothèse où le pays ACP requis ne répond pas sur la nationalité d’une personne dans un certain délai, cette dernière serait alors automatiquement considérée de la nationalité de ce pays et donc renvoyée vers ce dernier.

Ainsi, des personnes pourront être renvoyées vers des pays qu’elles ne connaissent pas, avec lesquels elles n’ont aucun lien, et où elles se retrouveront de fait bloquées. Bien que le pays receveur sera dans l’obligation de trouver une solution à ces personnes, il s’avèrera vraisemblablement bien souvent que ces dernières seront, dans les faits, livrées à elles-mêmes.

Ainsi, pour le Conseil de l’UE, les pays tiers doivent contribuer à l’identification des personnes dont la nationalité est présumée ou incertaine. Le renversement de la charge de la preuve entraînera donc des difficultés, dans la mesure où il est plus simple de déterminer la nationalité de quelqu’un que de dire qu’il n’est pas de telle nationalité.
De plus, ce renversement pourrait s’accompagner d’une mauvaise volonté de certains pays d’origine à reconnaître leurs ressortissants.

Dans ce cas, d’autres pays pourraient se retrouver bloqués entre, d’une part, l’UE qui souhaite expulser dans le cadre de l’article 13 modifié, et, d’autre part, le véritable pays d’origine qui ne veut pas accueillir ses propres ressortissants. Les pays pressés de la sorte, à la fois par l’UE, par le véritable pays d’origine des migrants concernés, et par les nouveaux délais légaux instaurés par l’article 13 modifié, seraient obligés de réadmettre des ressortissants de pays tiers.

Des risques de violations des droits des personnes exacerbés alors que les accords de réadmission existants sont déjà critiqués de ce point de vue

Dans le rapport de la Commission Développement (DEVE) adopté par le Parlement européen lors de sa séance plénière du 20 janvier dernier (voir plus haut), l’Assemblée parlementaire note les points suivants concernant la révision de l’article 13 :

« 31. rappelle la Commission européenne et les Etats ACP à inclure, à l’article 13 de l’accord ACP-UE sur les migrations, le principe de migration circulaire et sa facilitation pour l’octroi de visas circulaires ; souligne que ledit article insiste sur le respect des droits de l’homme et sur le traitement équitable des ressortissants des Etats ACP, mais que la portée de ces principes est gravement compromise par des accords bilatéraux de réadmission, conclus avec des pays de transit dans un contexte d’externalisation de la gestion des flux migratoires par l’Europe, qui ne garantissent pas le respect des droits des migrants et peuvent conduire à des réadmission « en cascade » qui mettent leur sécurité et leur vie en danger  » [7]

Dans les accords communautaires de réadmission (11 à ce jour), les clauses et les annexes sur l’identification des personnes expulsées permettent déjà assez facilement de surmonter les obstacles de la détermination de la nationalité et de la délivrance de documents de voyage. Des négociation plus poussées dans ce domaine impliqueraient que la partie requise (c’est-à-dire celle à qui l’on fait la demande de réadmission et qui est généralement le pays tiers) soit contrainte à reconnaître plus rapidement comme « ses nationaux » des personnes qui ne le sont pas, en méconnaissant précisément cette obligation de droit international . Ceci est d’autant plus vrai s’agissant de l’Accord de Cotonou, car l’article 13 ne prévoit que le principe de la réadmission de ses propres nationaux. Cela pourrait arriver à tout moment, mais encore plus lors d’arrivées importantes de migrants sur le territoire d’un des pays de l’UE, comme cela a pu être le cas en Espagne ou en Italie.

Ainsi, lors de la mission réalisée du 16 au 19 octobre 2006 par l’eurodéputée Hélène Flautre (Europe Ecologie) dans les îles Canaries, il est fait état de l’envoi d’une délégation de représentants des autorités sénégalaises aux Canaries peu après la signature d’un accord entre l’Espagne et le Sénégal, au début du mois de septembre 2006. Sur 6 000 migrants arrivés par voie maritime au cours des mois précédents, en quelques jours, 5 000 d’entre eux ont été identifiés comme Sénégalais, ce qui a permis de les refouler sans délai. Le rapport de la mission s’appuie sur des témoignages précis, comme celui de Carlos Arroyo (Médecins du Monde), qui « a vu cette pratique choquante avoir cours dans un commissariat : un responsable des autorités espagnoles, à qui un migrant lui répondait qu’il était mauritanien, a écrit, sans lui notifier d’ailleurs, "sénégalais" sur son formulaire » [8].

Au-delà de la question concernant l’identification des personnes, d’autres problèmes sont soulevés par les accords de réadmission : le non-respect du principe de non-refoulement, prévu par la Convention de Genève, ou le risque de traitements inhumains ou dégradants, interdits par l’article 3 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Concernant le principe de non-refoulement, il n’est un secret pour personne que, parmi les Etats faisant partie du groupe ACP, certains n’offrent pas de conditions de stabilité politique et sociale qui garantissent efficacement le respect des droits de l’homme. En parallèle, la politique d’asile européenne se réduit comme peau de chagrin, l’UE et ses Etats membres étant plus préoccupés à faire en sorte que ces demandeurs d’asile n’arrivent pas sur le sol européen. Les déclarations récentes du Ministre de l’immigration français, prononcées à la suite de l’arrivée en Corse le 23 janvier dernier de 124 exilés (des Kurdes de Syrie), illustrent bien cette tendance.

La réadmission et le risque de traitements inhumains ou dégradants, consacré à l’article 3 de la CEDH.

Pour ce qui est de l’article 3 de la CEDH, qui va s’assurer (et de quelle manière) que les personnes expulsées ne seront pas renvoyées vers des pays où elles risquent leur vie ou leur intégrité ? Cette interrogation est d’autant plus valable qu’il s’agit de pays qui se trouvent pour la plupart confrontés à des difficultés économiques et à une instabilité politique. Qui garantira par ailleurs que les migrants « renvoyés par erreur » seront par la suite acheminés vers leur véritable pays d’origine ? Seront-ils détenus, dans la mesure où l’enfermement des migrants en situation irrégulière se développe dans plusieurs pays ACP ?

Les prochaines étapes du processus de révision

A ce jour, les négociations sur l’article 13 n’ont toujours pas abouti. Une rencontre inter-ministérielle ACP-UE présidée par le Secrétaire d’Etat à la Coopération espagnol et le Ministre adjoint de l’économie du Gabon a eu lieu le 19 mars 2010 pour finaliser l’accord révisé. Les articles révisés sont disponibles en ligne et l’article 13 n’y figure pas [9] .

L’accord révisé sera adopté le 4 Juin lors de la 35ème session du Conseil des Ministres ACP-UE à Ouagadougou au Burkina Faso [10]. D’après l’UE, les négociations séparées sur l’article 13 continueront après la signature et ils espèrent signer une annexe clarifiant l’interprétation de l’article 13 à l’automne 2010 [11]. Les pays ACP¨semblent donc avoir bien résisté jusqu’à présent aux conditions imposées par l’UE en matière de réadmission, et une fois l’accord signé, il est peu probable que les pays ACP reviennent sur leur position. Il convient cependant de rester vigilant sur cette annexe.