Revue de presse mai 2025

 Libye

L’OIM a organisé deux vols de « retours volontaires » depuis la ville de Sebha, en Libye, les 26 et 28 mai 2025, vers le Mali et le Tchad : plus de 300 Malien·ne·s et Tchadien·ne·s ont ainsi été renvoyé·e·s dans leur pays d’origine. C’est, selon le ministère libyen des Affaires étrangères, la première fois qu’un vol de ce type quittait Sebha depuis 15 ans. Cependant, l’expulsion de 191 Nigérian·e·s depuis Sebha avait déjà été rapportée fin avril 2025 [1].

Ces « retours volontaires », « proposés » par l’OIM dans un contexte de violations répétées des droits des personnes exilées [2], bénéficient du soutien financier de l’UE (à hauteur de 25 millions d’euros pour 2021-2027 [3]) et de ses États membres [4], qui tirent parti de ces violations pour contraindre les personnes en migration à renoncer à rejoindre l’Europe. Dans le même temps, les associations internationales de défense des droits des personnes exilées œuvrant en Libye sont muselées, accusées d’être impliquées dans des « actions hostiles mettant en péril la sécurité nationale » et de « planifier l’installation de migrant·e·s d’origine africaine en Libye » [5]. Tripoli entretient ainsi, grâce aux fonds européens et au soutien opérationnel onusien, une situation qui, pour les quelques 725 000 personnes exilées dans le pays, rend inexorable le « choix » de retourner dans leur pays d’origine, face aux risques pour leur vie et intégrité – tant physique que morale.

 Mauritanie

Les prétendus « retours volontaires » organisés par l’OIM depuis la Mauritanie ont plus que doublé entre le 1er janvier et le 16 mai 2025, en comparaison avec la même période en 2024 : 322 personnes exilées auraient ainsi été renvoyées dans leur pays d’origine en l’espace de quelques mois à travers ce programme. En parallèle, ce sont plus de 30 000 personnes exilées qui auraient été interceptées par les autorités mauritaniennes sur les quatre premiers mois de l’année 2025 [6], et par la suite expulsées ou détenues dans l’attente de leur expulsion.

Ces chiffres viennent compléter le panorama des politiques migratoires restrictives et répressives mises en place par la Mauritanie depuis mars 2024 et son « partenariat migratoire global » avec l’UE : sous la menace constante de refoulements violents, maintenues dans des conditions de vie précaires, et poussées à utiliser des routes toujours plus dangereuses pour tenter de rejoindre l’Europe [7], de plus en plus de personnes exilées cèdent et « acceptent » de retourner dans leur pays d’origine, en dépit des raisons les ayant poussées à le quitter et des risques encourus.

 Allemagne

L’Allemagne a commencé à mettre en œuvre le refoulement des personnes exilées se présentant à sa frontière et non admises sur le territoire, y compris celles en quête de protection : au moins 286 personnes auraient ainsi été refoulées, dont 19 avaient pourtant introduit une demande de protection internationale, jugée irrecevable. Le nouveau gouvernement fédéral justifie sa décision par le fait que l’Allemagne est entourée de pays européens considérés comme sûrs, et que les personnes arrivant aux frontières terrestres de l’Allemagne auraient pu y demander l’asile. Seules les personnes considérées comme « vulnérables », les mineur·e·s et les femmes enceintes seraient exempté·e·s de cette mesure.

Le gouvernement Merz poursuit ainsi le revirement engagé depuis quelques mois par les pouvoirs publics allemands, mettant un terme à la politique d’accueil initiée sous le gouvernement d’Angela Merkel [8], au mépris du droit international et des normes européennes — ce que la Suisse a dénoncé [9], le refoulement de demandeur·se·s d’asile étant explicitement prohibé par l’article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés. Par ailleurs, il incombe à l’Allemagne (comme aux autres États membres de l’UE), en vertu du règlement « Dublin », de déterminer si un autre État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile avant de pouvoir y transférer, le cas échéant, une personne ayant demandé une protection. Si aucun autre État membre ne peut être désigné comme responsable de cet examen, cette responsabilité incombe à l’Allemagne, ainsi que celle d’accueillir la ou le demandeur·se : en refoulant les personnes exilées de la sorte, elle se soustrait donc à ses obligations. Ces graves violations des droits n’ont toutefois pas fait l’objet d’une réaction de la part de l’Union européenne.

Le gouvernement allemand a annoncé vouloir suspendre le regroupement familial pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire pour au moins deux ans : les plus de 350 000 personnes disposant de ce statut en Allemagne, en majorité des Syrien·ne·s, se verront ainsi empêchées de solliciter un titre de séjour pour leurs enfants, époux·se ou parents. Le projet de loi, approuvé en conseil des ministres, doit encore recueillir le vote du Bundestag pour entrer en vigueur.

Les États membres de l’UE ne sont en effet pas contraints par le droit de l’Union d’octroyer aux bénéficiaires de la protection subsidiaire un droit au regroupement familial, alors qu’ils y sont contraints pour les réfugié·e·s. A. Merkel avait cependant décidé, en 2015, d’ouvrir ce droit, suspendu en 2016 puis réintroduit en 2018 avec un quota fédéral de 1000 délivrances de visa maximum par mois – créant une grande incertitude pour les bénéficiaires. Si le droit à la vie familiale est consacré dans la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que dans l’article 6 de la Constitution allemande, la Cour constitutionnelle fédérale a déjà jugé par le passé que s’il existe une alternative de vie familiale dans un autre pays (notamment dans le pays d’origine), alors le droit au regroupement familial en Allemagne n’est pas automatique. En tout état de cause, le jugement de la Cour concernant la conformité de cette mesure avec la Constitution pourrait prendre plusieurs années. Le gouvernement Merz poursuit ainsi le détricotage de la politique d’accueil allemande, malgré la publication d’un rapport critiquant la « contre-productivité » de ces mesures et la mise en danger des personnes exilées en résultant [10].

 Bulgarie

A la suite d’un rapport de l’ONG No Name Kitchen, les juridictions britanniques font face à de nombreux recours contre des décisions d’expulsion de demandeur·se·s d’asile vers la Bulgarie. Le Royaume-Uni a conclu en 2004 un accord bilatéral de réadmission avec la Bulgarie lui permettant d’y transférer tout·e personne dépourvue de droit au séjour au Royaume-Uni s’il est avéré que ce·tte dernier·e a transité par ce pays (art. 8 de l’accord). Or, les avocat·e·s et associations de défense des droits estiment que de tels « transferts » exposent les personnes expulsées à des traitements inhumains ou dégradants, prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) – à laquelle le Royaume-Uni et la Bulgarie sont parties. Il est en effet rapporté que les personnes expulsées depuis des États européens vers la Bulgarie y sont privées d’accès au logement, à des moyens de subsistance ou à la santé, et sont pour certaines détenues dans des centres surpeuplés et insalubres où elles subissent violences physiques et psychologiques. Beaucoup sont par ailleurs contraintes de signer des documents autorisant leur « retour volontaire » dans leur pays d’origine.

Alors que les tribunaux britanniques seront amenés à étudier la question, la situation exige que les États membres de l’UE prennent, de leur côté, des mesures pour mettre suspens leurs expulsions vers la Bulgarie : le règlement Dublin, qui leur permet de transférer des demandeur·se·s d’asile vers un autre État membre désigné comme responsable de l’examen de leur demande d’asile (ici la Bulgarie) ne fait pas de ces transferts une obligation. La Cour de Justice de l’UE a par ailleurs jugé que ce règlement devait être interprété comme imposant aux États membres de « s’abstenir de procéder à ce transfert en cas de motifs sérieux et avérés de croire qu’il existe un risque réel de tels traitements [inhumains ou dégradants] », à la lumière des obligations pesant sur les États membres de l’UE au titre de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et de son article 4. En outre, les États parties à la Convention européenne des droits de l’Homme se voient imposer, par son article 3, deux obligations : celle de ne pas recourir à des traitements inhumains ou dégradants (obligation négative, applicable ici à la Bulgarie), ainsi que celle de ne pas expulser vers un pays quiconque risquerait de s’y voir infliger de tels traitements, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme [11] (obligation positive, applicable à tous les États parties à la Convention).

 Chypre

Deux bateaux partis de Syrie en direction de Chypre, à bords desquels se trouvaient 62 ressortissant·e·s syrien·ne·s en exil, ont été interceptés par les garde-côtes chypriotes et refoulés vers le port syrien de Tartus. Cette manœuvre a eu lieu par suite d’un accord entre les autorités syriennes et chypriotes, dans le cadre duquel les premières ont accepté de réadmettre leurs ressortissant·e·s ayant cherché à rejoindre Chypre, comme l’a confirmé le ministre chypriote délégué aux migrations [12]. Un évènement similaire, concernant 80 exilé·e·s syrien·ne·s, avait déjà été rapporté le 14 mars 2025.

La coopération des autorités syriennes et leurs garanties que les personnes ainsi refoulées ne seraient pas poursuivies en justice ne changent rien au caractère illicite de cette opération, qui constitue un refoulement, en vertu du droit international et du droit de l’UE. De telles opérations privent les exilé·e·s syrien·ne·s de leur droit, internationalement reconnu, de quitter tout pays, y compris le leur [13], et de solliciter la protection d’un autre État.

 Espagne

Le 28 mai, une embarcation transportant 150 personnes exilées est arrivée au port de La Restinga, sur l’île de El Hierro, dans l’archipel espagnol des Canaries : au moment de s’approcher du quai, elle s’est renversée, provoquant la mort de sept personnes. Le président du Cabildo de Gran Canaria a qualifié l’accident de « honte » [14] et appelé à la création de « voies sûres et légales » de migration, afin de mettre fin aux nombreuses morts sur la route des Canaries (plus de 9 000 en 2024).

La route atlantique est redevenue en 2024 la plus mortelle au monde après la fermeture de la route de la Méditerranée centrale. Les personnes exilées partant des côtes ouest-africaines font en effet face à des contrôles maritimes renforcés et financés par l’Europe [15], et se déroutent sur des voies plus longues et périlleuses, risquant le chavirement ou la dérive de leurs embarcations, inadaptées pour de telles traversées ou pour le nombre de personnes transportées. Le 26 mai, une pirogue en bois transportant les corps de 11 personnes et leurs passeports maliens a ainsi été retrouvée, après une longue dérive, de l’autre côté de l’Atlantique – sur les côtes de Saint-Vincent-et-les-Grenadines [16].

 France

Le Sénat a validé un projet de loi visant à mettre fin au travail associatif d’accompagnement et d’information des personnes détenues en centres de rétention administrative (CRA). Si ce projet de loi est adopté par l’Assemblée nationale, les associations œuvrant dans les CRA français verront cette mission d’aide à l’exercice des droits être attribuée à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), une agence dépendante de l’État.

Ces associations, ainsi que d’autres organisations engagées pour la défense des droits des personnes exilées, ont signé une tribune dénonçant ce projet : inquiètes que cette mesure puisse « rendre la société aveugle sur les CRA », elles rappellent le rôle essentiel de « vigie démocratique » qui est le leur, et les garanties que leur travail apporte face à des décisions administratives souvent contestables et sanctionnées par la justice. Elles estiment que l’OFII ne pourrait pas remplir ce rôle en toute indépendance, étant un organisme public sous tutelle du ministère de l’Intérieur, déjà chargé de la politique « d’aide au retour et à la réinsertion » de l’État français, ce qui engendrerait un conflit d’intérêt évident entre ses missions.

 Grèce

A la suite de sa visite en février 2025 en Grèce, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty, a publié ses recommandations pour le pays au sujet du respect des droits des personnes exilées arrivant en Grèce. Il relève notamment avec inquiétude les rapports persistants sur des refoulements aux frontières maritimes et terrestres de la Grèce. Le Commissaire fait également état d’un manque généralisé de poursuites et d’enquêtes effectives en cas d’allégation de violation des droits de l’Homme à l’encontre des personnes exilées, et recommande aux autorités helléniques de donner suite au rapport du défenseur des droits grecs sur le naufrage de Pylos, afin d’établir les actes et omissions ayant conduit à ce sinistre, ainsi que les personnes responsables.

La Grèce, qui nie avec constance les refoulements systématiques dont sont accusés ses garde-frontières [17], n’a pas changé de position : dans un communiqué, la police hellénique a affirmé que ses agents n’étaient impliqués que dans « la prévention licite des franchissements de frontière illégaux, pendant que les migrant·e·s sont encore en territoire turc et n’ont pas encore atteint la Grèce ». Concernant le naufrage de Pylos, le tribunal maritime du Pirée a par la suite annoncé poursuivre au pénal 17 garde-côtes grecs, accusés d’avoir provoqué le naufrage [18].

Le gouvernement grec a annoncé vouloir infliger une peine de prison de minimum deux ans aux personnes dont la demande d’asile serait rejetée en Grèce, avant leur expulsion. Les personnes se voyant refuser un titre de séjour seront également menacées de prison. Ces annonces font suite à un durcissement des normes en matière de migration dans le pays, avec l’abrogation d’un programme qui permettait la régularisation du statut administratif des personnes ayant résidé en Grèce sans titre de séjour pendant au moins trois ans.

Ces mesures préoccupantes pourraient affaiblir considérablement le droit d’asile en Grèce, déjà régulièrement bafoué par les pouvoirs publics [19] (refoulements, violences, « accueil » ou rétention dans des conditions inhumaines ou dégradantes…). En cherchant, par la menace, à décourager l’introduction de demandes de protection internationale et de permis de séjour, le gouvernement grec va à l’encontre des préconisations du Comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe [20]. Celui-ci rappelle en effet régulièrement à la Grèce que l’acte de migrer n’est pas, en lui-même, un crime, et que les personnes exilées ne devraient en conséquence pas être détenues dans des conditions semblables à un environnement carcéral – comme celui des centres de rétention administratifs grecs. Indifférent à ces rapports pointant le caractère inhumain des conditions d’accueil et de rétention des personnes exilées sur son territoire, l’État grec poursuit ainsi une trajectoire de criminalisation des migrations déjà largement entamée par le biais de sa prétendue « lutte contre le trafic de migrants » [21].

 Italie

La Cour de cassation italienne a annoncé dans un communiqué souhaiter solliciter l’interprétation de la Cour de justice de l’UE concernant le transfert récent de 27 personnes exilées au camp de Gjäder, en Albanie, reconverti en « centre de pré-expulsion » (CPR). Plus précisément, ce sont les dossiers de deux personnes transférées qui sont scrutés. Dans le premier cas, la Cour de cassation met en doute l’utilisation du camp extraterritorial de Gjäder comme CPR pour détenir une personne sous le coup d’une décision d’expulsion, dans la mesure où celle-ci est originaire d’un pays avec lequel aucun accord de réadmission ne laisse entrevoir une perspective sérieuse d’expulsion – c’est la conformité d’une telle décision avec la directive « retour » de 2008 qui est interrogée. Dans le second cas, la Cour de cassation s’interroge sur la légalité du maintien en rétention d’une personne ayant demandé l’asile au sein du CPR de Gjäder, se basant sur la directive « réception » et revenant sur sa décision du 8 mai 2025 ayant assimilé le CPR de Gjäder à ceux situés sur le sol italien (depuis invalidée par la Cour d’appel de Rome, qui a que seules les demandeur·se·s d’asile placé·e·s en procédure accélérée à la frontière pouvaient y être détenu·e·s [22]).

Le bras de fer opposant le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif italiens sur la question du protocole d’entente Italie-Albanie se poursuit donc, mettant en exergue les nombreuses questions de droit soulevées par l’utilisation de centres de rétention externalisés, alors que la Commission européenne et de nombreux États membres tentent d’inscrire ce système dans le droit de l’UE, avec la création de « return hubs » extra-territoriaux [23].

Un ressortissant égyptien et un ressortissant soudanais ont été arrêtés et incarcérés en Italie pour « facilitation de l’immigration clandestine » : ils faisaient partie des 252 personnes débarquées à Salerno après leur sauvetage en mer par le bateau Solidaire. Le groupe serait parti des côtes libyennes sur trois embarcations distinctes, et aurait reçu l’assistance du Solidaire dans les eaux internationales situées entre Malte et la Lybie.

L’Italie est coutumière des poursuites judiciaires de survivant·e·s de naufrages, à l’instar d’autres pays européens [24] : après le naufrage de Cutro, en février 2023, qui avait fait 94 mort·e·s, elle avait par exemple condamné en première instance trois survivant·e·s pour prétendue « facilitation de l’immigration irrégulière », alors que le audiences préliminaires du procès des garde-côtes et fonctionnaires accusé·e·s d’avoir négligé la gravité de l’évènement et retardé l’arrivée des secours sont toujours en cours [25].

 Pays-Bas

Le leader du parti néerlandais d’extrême-droite Partij voor de Vrijheid (PVV), G. Wilders, a présenté un plan en dix points pour « drastiquement réduire l’immigration », ajoutant que son parti quitterait la coalition et le gouvernement en l’absence de mesures strictes. Le « plan » du PVV inclut notamment : une suspension complète du droit d’asile, une suspension temporaire des regroupements familiaux pour les réfugié·e·s, l’expulsion de tou·te·s les Syrien·ne·s ayant demandé l’asile ou résidant aux Pays-Bas dans le cadre de visas temporaires, la fermeture des centres d’accueil de demandeur·se·s d’asile, ou encore le déploiement de l’armée aux frontières terrestres.

Le PVV, ayant remporté les élections de 2023, puis échoué à obtenir le poste de Premier·e ministre, pourrait bien parvenir à forcer la main de ses alliés (comme ce fut déjà le cas en octobre 2024), et porter un sérieux coup aux droits des personnes exilées et à l’État de droit aux Pays-Bas. En effet, si le « plan » de G. Wilders s’inspire des mesures de refoulement prises en toute illégalité et impunité par l’Allemagne [26], ce dernier n’exclut pas en outre de « retirer les Pays-Bas de certaines conventions européennes » pour laisser libre-court à ses propositions, les sachant contraires au droit européen et international.

 Pologne

Le Parlement polonais a adopté la prolongation de la « suspension du droit d’asile » à la frontière avec le Bélarus, pour une seconde période de 60 jours. Par cette décision, qui viole le droit international et sa propre constitution [27], la Pologne s’autorise à poursuivre le refoulement de chaque personne demandant l’asile après être arrivée par cette frontière, accusant le Bélarus de faciliter leur passage afin de la « déstabiliser ».

Ces refoulements, vivement critiqués par la société civile [28] et les organisations internationales [29], exposent les demandeur·se·s d’asile à des décisions arbitraires (le champ d’application territorial de la mesure étant très vaguement défini), ainsi qu’à des violations de leurs droits au Bélarus, comme documenté par un rapport d’Oxfam en mars 2025. Face à ces risques, la Cour européenne des droits de l’Homme a indiqué à la Pologne, à 12 reprises durant les deux premiers mois (avril-mai 2025) de cette « suspension » de l’asile, de prendre des mesures provisoires pour protéger des personnes exilées d’un refoulement [30]. Dans deux des cas, la Pologne ne se serait pas conformée à l’injonction de la Cour. Elle a par ailleurs répondu au rapport d’Oxfam en déclarant que « les mesures prises par le gouvernement polonais pour protéger les frontières extérieures de l’UE […] devaient être évaluées comme proportionnelles et justifiées » [31].

 Suède

Le Premier ministre suédois a annoncé vouloir multiplier par 34 la somme accordée en « soutien » aux personnes exilées acceptant un « retour volontaire » vers leur pays d’origine : si cette proposition voit le jour, le montant de cette « incitation financière » passerait de 900€ à 32 000€ par adulte. La Suède a en outre promis une contribution de plus de 9 millions d’euros à l’OIM, notamment afin de financer son programme de « retours volontaires », et de faciliter l’expulsion (depuis la Suède ou l’UE) de ressortissant·e·s irakien·ne·s, somalien·ne·s, tunisien·ne·s ou ouzbek·e·s.

Cette politique s’inscrit dans une dynamique européenne de soutien aux mal-nommés « retours volontaires », qui sont des procédures par lesquelles les États expulsent des personnes en situation dite irrégulière en obtenant leur « consentement » à ce retour — accord souvent obtenu en combinant stratégie du non-accueil et incitations financières au départ [32] — plutôt qu’en employant la force. Ces retours, faussement qualifiés de volontaires et dénoncés par les organisations de défense des droits, sont moins coûteux pour les États et leur permettent de soigner leur image à travers une terminologie fallacieuse. La Suède démontre ainsi qu’elle préfère investir des sommes significatives dans l’expulsion des personnes exilées de son territoire, plutôt que dans leur accueil et protection — alors même que les pays dont elle juge prioritaire d’expulser les ressortissant·e·s sont loin d’être sûrs pour leur population.

 Royaume-Uni

Le Royaume-Uni a annoncé son intention de chercher à conclure un accord avec le Kosovo afin d’y installer un « centre de retours » (« return hub ») pour la détention d’exilé·e·s sous le coup d’une procédure d’expulsion après que leur demande d’asile a été refusée au Royaume-Uni : la présidente du Kosovo s’est déclarée « ouverte » à de telles discussions.

Malgré l’échec de l’arrangement Royaume-Uni-Rwanda de 2022 [33], le gouvernement de K. Starmer semble ainsi déterminé à s’inspirer du protocole d’entente entre l’Italie et l’Albanie (2023) pour établir des camps d’expulsion extraterritoriaux dans les Balkans occidentaux (au Kosovo, mais aussi en Serbie, en Bosnie-Herzégovine ou en Albanie [34]), malgré les avertissements de la société civile concernant le traitement des personnes exilées détenues dans la région [35].

 Concept de « pays tiers sûr »

La Commission européenne a publié une proposition de règlement visant à réformer le concept de « pays tiers sûr », comme le prévoyait le Pacte européen sur la migration et l’asile. La notion de « pays tiers sûr » renvoie à un pays non-membre de l’UE où existent des protections (droit à la protection internationale, protection contre la peine de mort ou l’exécution, contre la torture, contre les traitements inhumains ou dégradants, contre les persécutions, contre le refoulement…) suffisantes pour que la sûreté des personnes y soit réputée garantie. Ce qualificatif n’a d’impact sur une demande d’asile que s’il existe un lien de connexion « sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays » : dans ce cas, la demande d’asile est déclarée irrecevable et rejetée sans examen sur le fond. Ce « lien de connexion » a été interprété par la Cour de justice de l’UE de manière assez stricte : celle-ci avait notamment jugé que le simple transit d’un·e demandeur·se d’asile dans un pays tiers considéré comme « sûr » ne pouvait pas suffire, à lui seul, à déclarer qu’un « lien de connexion » existait entre les deux [36].

Afin d’élargir l’application de ce concept, la Commission propose donc, d’une part, que puisse être déclarée irrecevable toute demande d’asile émanant d’une personne ayant transité par un « pays tiers sûr » — mesure visant manifestement à contourner la jurisprudence établie et généraliser l’usage de ce concept. D’autre part, la Commission souhaite que les États membres puissent déclarer irrecevable toute demande d’asile au motif qu’il existe un arrangement avec un pays tiers considéré comme sûr pour qu’il procède à l’examen sur le fond de cette demande d’asile, plutôt que l’État de l’UE dans lequel elle a été introduite. Si cette seconde mesure est adoptée, les schémas d’externalisation des procédures d’asile évolueront considérablement : les États membres de l’UE pourront en effet se soustraire à leur responsabilité d’examen des demandes d’asile par la simple conclusion d’un arrangement avec un État tiers, qui procèderait lui-même à cet examen — potentiellement selon ses propres normes, hors du cadre juridique de l’UE et de ses garanties. Au regard des pays intégrés par la Commission européenne à sa liste de « pays d’origine sûrs » (comme l’Égypte ou la Tunisie [37]), le doute est permis quant à la sûreté réelle des États tiers qui seront listés comme « pays tiers sûrs ». Ainsi réformé, le concept pourrait considérablement affaiblir le droit d’asile dans l’UE, et engendrer de graves violations des droits des personnes exilées, qui se verraient expulsées vers des pays avec lesquels elles n’auraient aucun lien et forcées d’y demander l’asile.

 Rôle de la Cour européenne des droits de l’Homme

Neuf États membres de l’UE ont signé une lettre ouverte, sur une initiative de l’Italie et du Danemark, appelant à « lancer une discussion nouvelle et ouverte d’esprit au sujet de l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme » (CEDH). Les États signataires critiquent une interprétation de la CEDH par la Cour européenne des droits de l’Homme qui aurait « dans certains cas, étendu le champ de la Convention plus loin que les intentions qui l’ont fondée », se référant à des décisions (sans pour autant en citer la moindre) qui les auraient empêchés d’expulser de leur territoire des ressortissant·e·s de pays tiers coupables de crimes. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a répondu à cette attaque contre la Cour européenne des droits de l’Homme en rappelant que celle-ci, loin d’être un organe externe, a été librement créée par les États partie à la CEDH, sur le fondement de leur volonté commune de voir respecter les principes qu’elle consacre, en toute indépendance et impartialité – principes auxquels une telle remise en question semble contrevenir.

Les États signataires, bien qu’admettant que les « idées [fondatrices de la CEDH, nées au lendemain de la seconde guerre mondiale] elles-mêmes sont universelles et éternelles », feignent d’ignorer que les raisons pour lesquelles la Cour européenne des droits de l’Homme peut juger illicite une expulsion sont des motifs extrêmement sérieux — des risques que la personne expulsée soit exposée à des traitements inhumains ou dégradants, à la torture, ou qu’il soit fait atteinte à son droit à la vie [38]. Relativiser le caractère universel et absolu de ces droits, comme le sous-entend l’argumentaire de cette lettre, affaiblit leur portée pour l’ensemble des personnes protégées par la Convention. En outre, le texte établit un raccourci dangereux entre « une minorité de personnes migrantes » qui choisirait de commettre des crimes dans l’UE, et les efforts de plusieurs pays européens visant à mettre en œuvre des politiques nationales strictes contre la « migration irrégulière ». Ce parallèle vient alimenter un discours stéréotypé associant la migration dite « irrégulière » et criminalité, et tente de justifier la politique de criminalisation des migrations que mettent en œuvre les États européens [39] alors qu’aucun lien de causalité n’existe entre la migration et la commission de crimes [40].