Revue de presse mars 2025
Égypte
- The New Arab, “UNHCR suspends aid to refugees in Egypt over lack of funding”, le 26 mars 2025
Le HCR a annoncé, le 25 mars, cesser ses activités d’assistance aux réfugié·e·s en Égypte, y compris les soins médicaux prodigués à celles et ceux qui fuient la guerre au Soudan. L’agence des Nations Unies estime que cette décision, qu’elle affirme contrainte par l’incertitude sur le montant des contributions qu’elle peut espérer recevoir cette année, affectera environ 20 000 personnes, qui se verront privées, entre autres, de traitements vitaux (contre le cancer, l’hypertension artérielle ou le diabète), ou même de chirurgies cardiaques.
Cette décision intervient quelques semaines après la décision des États-Unis de suspendre tous les financements accordés par la United States Agency for International Development (US AID) pour 90 jours (dès l’investiture de Donald Trump), qui avait mis en péril de nombreux programmes humanitaires à travers le monde. Depuis, l’administration Trump a annoncé une réduction de 83% des dépenses liées à l’US AID [1], qui sera de facto dissoute et dont les quelques activités maintenues seront transférées au département d’État [2]. Le HCR, qui dépend en grande partie de contributions étatiques volontaires pour fonctionner, est la « face présentable » des politiques migratoires restrictives mises en œuvre par les États, notamment européens [3] : cependant, c’est un acteur incontournable du soutien aux plus de 925 000 réfugié·e·s présent·e·s en Égypte, dont 70% sont Soudanais·es. Dans le contexte d’une réforme préoccupante du système d’asile par le gouvernement égyptien, dont l’UE se rend complice [4], et de la croissance (artificielle et instrumentalisée) d’un « sentiment anti-migrant·e·s » dans la société égyptienne [5], cette suspension d’activités est un nouveau motif d’inquiétude quant aux conditions de vie des réfugié·e·s en Égypte. En revanche, le HCR continue à mettre en œuvre ses autres programmes sur place [6] (« réinstallation volontaire » de réfugié·e·s dans d’autres pays d’asile, « retours volontaires » dans leur pays d’origine…), illustrant ses priorités ainsi que celles de ses donateurs (l’UE était le troisième donateur en termes d’importance en 2024, derrière les États-Unis et l’Allemagne).
Mauritanie
- Le Monde, « La Mauritanie procède à une vaste campagne d’arrestations et de refoulements de migrants », le 10 mars 2025
La Mauritanie a procédé, le 8 mars 2025, à une vaste opération de renvois et de refoulements de migrant·e·s, qu’elle justifie par le statut dit « irrégulier » de leur séjour et sa politique de « lutte contre le trafic de migrants ». Les exilé·e·s auraient ainsi été déplacé·e·s aux postes frontières identifiés comme leur point d’entrée en Mauritanie pour y être refoulé·e·s. Les autorités maliennes ont annoncé la prise en charge de leurs ressortissant·e·s et fait part de leur indignation face à ces « violations flagrantes des droits humains » [7]. La ministre sénégalaise des Affaires étrangères a quant à elle dit « regretter les conditions d’arrestations et d’expulsions des Sénégalais depuis la Mauritanie ces derniers jours » [8]. Les organisations de la société civile ont également dénoncé les faits, l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme rappelant avoir recensé le refoulement de 1 200 personnes depuis le début du mois, dont 700 disposaient pourtant d’un titre de séjour en règle.
Ces renvois et refoulements interviennent à la date anniversaire de la déclaration conjointe de 2024 annonçant la signature d’un « partenariat migratoire » entre l’UE et la Mauritanie, accompagné d’une enveloppe de 210 millions d’euros. Bien que le document fasse mention du « respect des droits de l’Homme » comme une fondation de la coopération migratoire UE-Mauritanie, il est manifeste que la Mauritanie s’est sentie libre d’y porter atteinte, sans s’attirer les foudres de l’UE ou risquer de se voir suspendre l’allocation des fonds européens lui étant destinés. Et pour cause : l’UE et ses États membres (notamment la France et l’Espagne) soutiennent activement les autorités mauritaniennes dans leur politique migratoire attentatoire aux droits de l’Homme. L’opérateur de coopération technique internationale du ministère de l’Intérieur français Civipol participe ainsi au verrouillage de la façade atlantique du pays et des traversées vers les Canaries : la société s’est vu octroyer 25 millions d’euros, dans le cadre du partenariat UE-Mauritanie, pour mettre en œuvre un programme de surveillance des frontières maritimes et d’opérations de recherche et de sauvetage en mer [9]. Chargé du programme NETCOP, en collaboration avec la Fondation internationale et ibéro-américaine pour l’administration et les politiques publiques (la FIIAPP, qui fait partie de la coopération espagnole), Civipol participe également à la « lutte contre le trafic de migrants », dont la Mauritanie se sert pour justifier ces renvois forcés. Le Conseil de l’UE a par ailleurs adopté le 24 mars le versement de financements additionnels de 20 millions d’euros aux forces armées mauritaniennes dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix [10], afin de leur fournir des équipements de surveillance terrestre ainsi qu’un bateau patrouilleur, qui leur permettra d’accroitre leur présence sur la côte mauritanienne et les interceptions en mer [11].
Allemagne
- Tagesschau, “Bericht rät von deutschem Asyl-Alleingang ab”, le 23 mars 2025.
Sous la pression des Länder [12], et suite à la direction prise par de nombreux États européens, ainsi que la Commission européenne [13], le gouvernement fédéral serait en train d’étudier les possibilités d’externaliser la procédure d’asile allemande : un rapport sur la question serait en cours de finalisation, sur commande du ministère de l’intérieur. Celui-ci relèverait les nombreux obstacles pratiques et juridiques à la duplication d’accords tels que celui conclu entre l’Italie et l’Albanie, et conseillerait aux autorités allemandes de ne pas se lancer seules dans ces démarches.
Il est ainsi possible que l’Allemagne cherche à s’associer à d’autres États membres de l’UE pour conclure des accords d’externalisation de ses procédures d’asile avec des États non-membres, en comptant sur les réformes législatives lancées par la Commission européenne (cadre sur les retours, concept de « pays tiers sûr »).
Autriche
- France 24, “’We’re all afraid’ : Austria moves to deport Syrian refugees”, le 5 mars 2025
Après avoir été l’un des premiers États membres de l’UE à annoncer une suspension de l’examen des demandes d’asiles déposées sur son territoire par des ressortissant·e·s syrien·ne·s (après la chute du régime de Bachar El-Assad en décembre 2024), l’Autriche a entamé des procédures de révocation du statut de réfugié·e pour près de 3 000 Syrien·ne·s ayant obtenu ce statut il y a moins de cinq ans. Les regroupements familiaux ont également été suspendus pour les réfugié·e·s syrien·ne·s, disposition que le gouvernement a par la suite annoncé vouloir étendre à tou·te·s les réfugié·e·s, indépendamment de leur nationalité [14], dans une manœuvre de contournement du droit de l’UE vivement critiquée [15]. Bien que les autorités autrichiennes reconnaissent que les expulsions vers la Syrie sont à ce stade impossibles et illégales, elles justifient leur démarche par une volonté de préparer « un programme organisé de rapatriement et de déportation vers la Syrie » pour les plus de 100 000 réfugié·e·s syrien·ne·s présent·e·s sur son territoire.
Le gouvernement autrichien de coalition, cédant aux demandes de l’extrême droite, cherche ainsi à pousser les Syrien·ne·s à quitter le pays européen en instrumentalisant les craintes induites par cette menace d’expulsion, et en leur proposant 1 000 euros en échange de leur « retour volontaire ». Seule une centaine de Syrien·ne·s aurait « accepté » de retourner en Syrie dans le cadre de ce programme.
Chypre
- Cyprus Mail, “UNHCR expresses concern over alleged pushback of Syrian refugees”, le 19 mars 2025
Chypre est accusée d’avoir refoulé environ 80 ressortissant·e·s syrien·ne·s, le 14 mars 2025, après leur arrivée sur les côtes chypriotes à bord de trois embarcations en provenance de Syrie. Le HCR a exprimé ses inquiétudes concernant ces allégations, s’agissant d’une violation des engagements internationaux de Chypre : les personnes refoulées auraient été ainsi contraintes de regagner la Syrie, qu’elles cherchaient pourtant à fuir.
Chypre s’est déjà rendue coupable, en 2020, d’avoir refoulé des ressortissant·e·s syrien·ne·s, vers le Liban, et avait été condamnée%7D] par la Cour européenne des droits de l’Homme en octobre 2024. À l’instar de l’Italie ou de la Grèce, les condamnations pour violation du droit international ne produisent pas d’effet visible sur les politiques migratoires menées par Chypre, qui continue par ailleurs à bénéficier du soutien de l’UE, à la fois technique (par le biais de Frontex [16]) et financier (par les fonds FAMI [17] et IGFV [18], dont 200 millions d’euros reviendront à Chypre au total pour 2021-2027 [19]).
Grèce
- InfoMigrants, « La Grèce condamnée par la CEDH pour la mort d’un mineur irakien tué par balle en mer Égée », le 25 mars 2025.
Dans un arrêt,%22itemid%22 :[%22001-242418%22]%7D] rendu le 25 mars 2025, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Grèce pour l’homicide d’un mineur irakien par l’un de ses garde-côtes, lors de l’interception en mer d’une embarcation, le 29 août 2015. Considérant le caractère éminemment dangereux d’un coup de feu dans le cadre d’une telle opération, la Cour a estimé que celle-ci n’avait pas été dûment préparée, ne permettant pas de réduire au minimum le recours à la force et les risques d’atteinte à la vie engendrés : elle a en conséquence jugé que la Grèce s’était rendue coupable d’une violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme (droit à la vie), bien qu’il n’ait « pas été établi qu’une force inutilement excessive a été employée » au moment des faits.
Cet arrêt confirme le mépris de la Grèce à l’égard de ses obligations internationales concernant l’usage de la force pour le contrôle des frontières (remorquages dangereux entrainant des naufrages [20], coups de feu récurrents contre les embarcations et leurs occupant·e·s [21], exilé·e·s jeté·e·s à l’eau [22]…), malgré de multiples condamnations.
Italie
- Il Post, “Il governo sta cercando di rendere utilizzabili i centri in Albania”, le 28 mars 2025
Un décret-loi, publié au journal officiel italien le 28 mars 2025, a officialisé le « recyclage » du camp italien de Gjader, en Albanie. Après l’annulation par la justice italienne des trois tentatives de transfert de demandeur·euse·s d’asile intercepté·e·s en mer par les garde-côtes italiens, dans le cadre d’un protocole d’entente conclu en 2023 entre l’Italie et l’Albanie, le gouvernement italien a finalement pris la décision de modifier la fonction du plus grand des deux camps sous juridiction italienne en Albanie. Le camp de Gjader, initialement prévu pour l’enfermement des demandeur·euse·s d’asile (avec quelques places dédiées à l’incarcération ou au « séjour pré-rapatriement ») pourra désormais servir à l’enfermement de toute personne exilée en Italie dont l’expulsion aura été décidée par l’administration. Le transfert vers Gjader de personnes enfermées dans l’un des dix « centres de pré-rapatriement » (CPR) en Italie est également rendu possible.
Cette conversion du camp de détention en CPR, décidée unilatéralement par l’Italie, est rendue possible par la large marge de manœuvre offerte par le protocole d’entente conclu avec l’Albanie, dont l’article 4(3) ne précise pas la répartition des places dans ces centres selon la procédure (procédure d’asile à la frontière, ou procédure de retour) : le gouvernement Meloni n’a eu qu’à amender sa loi de mise en application du protocole. Cette décision pourrait cependant se heurter à une opposition politique de l’Albanie, qui avait affirmé ne pas souhaiter modifier le protocole d’entente conclu [23]. Le caractère volontairement succinct de cet amendement soulève de nombreuses interrogations quant à la mise en œuvre pratique de ses dispositions (procédures de transfert, juridiction et ordre légal applicable, conséquence de la non-exécution d’une expulsion…). L’entretien délibéré d’un flou juridique autour des centres en Albanie et du droit qui s’y applique met ainsi en danger les droits de plusieurs milliers d’exilé·e·s, déjà détenu·e·s en Italie ou ayant vocation à être détenu·e·s en Albanie [24].
Malte
- BBC, “Migrants rescued after several days stranded on oil platform”, le 4 mars 2025
Le 4 mars 2025, l’ONG Sea Watch – qui opère des navires civils de sauvetage en mer –, a sauvé 32 migrant·e·s bloqué·e·s depuis plusieurs jours sur une plateforme gazière en pleine mer Méditerranée, sans eau ni nourriture, après le chavirement de leur embarcation partie de Libye [25]. Aucun État européen ne s’était montré disposé à leur venir en aide, malgré les conditions critiques dans lesquelles elles et ils se trouvaient : l’un·e de celles et ceux ayant survécu à la traversée aurait trouvé la mort sur la plateforme. Celle-ci se trouvant à la frontière entre les zones de recherche et de sauvetage assignées à la Tunisie et à Malte, cette dernière était responsable de l’organisation d’une opération de sauvetage. Son silence, ainsi que celui des autres États européens voisins, semblait calculé de manière à laisser la Tunisie intervenir (ce qu’elle a fini par annoncer pouvoir faire [26]), au péril de la vie et de la santé des naufragé·e·s. Sea Watch, considérant l’envoi de ces migrant·e·s en Tunisie comme une violation de leurs droits, du droit international et du droit de la mer, avait entrepris une opération de sauvetage.
Cet incident a eu lieu quelques jours avant que la Cour de cassation ne condamne l’Italie à compenser financièrement les 177 migrant·e·s qu’elle avait délibérément maintenus bloqué·e·s pendant dix jours, en août 2018, sur le bateau qui les avait auparavant sauvé·e·s en mer et cherchait à débarquer en Italie après s’être vu refuser le droit de débarquer à Malte [27]. Ces actualités illustrent comment les États membres de l’UE, nullement intimidés par les procédures judiciaires lancées à leur encontre, n’envisagent aucun changement de pratique à la lumière de ces condamnations : la stratégie du laisser-mourir en mer [28] se poursuit avec virulence en Méditerranée, comme dans la Manche ou au large des îles Canaries.
Pologne
- InfoMigrants, « La Pologne entérine sa loi limitant le droit d’asile », le 13 mars 2025
- Euronews, “Poland suspends right of migrants to apply for asylum”, le 27 mars 2025.
Désormais adoptée par le Parlement et ratifiée par le président, la proposition de loi du gouvernement visant à restreindre le droit de déposer une demande d’asile est entrée en vigueur. Elle s’inscrit dans le contexte de mouvements migratoires accrus à destination de la Pologne, facilités par la Russie et la Biélorussie dans le but supposé de « déstabiliser la région et l’UE ». Les autorités polonaises se sont ainsi donné la possibilité de refuser le dépôt de demandes d’asile sur une zone déterminée de leur territoire, pour une durée de 60 jours maximum (renouvelables avec l’accord du Parlement), en complète violation du droit international. À peine ratifiée, la loi a été mise en application : le Conseil des ministres polonais a publié au journal officiel un règlement suspendant le droit de déposer une demande d’asile à la frontière avec le Bélarus pour les 60 prochains jours.
Ces décisions font directement suite à une communication de la Commission européenne, en date du 11 décembre 2024, dans laquelle cette dernière justifiait la mise en œuvre de « mesures exceptionnelles » par les États membres victimes de ce qu’elle qualifie de « menaces hybrides ». L’argumentaire de la Commission reposait sur les exceptions prévues au principe de non-refoulement par la Convention de Genève et sur le devoir de « protection des frontières extérieures de l’UE » incombant aux États membres de l’espace Schengen, qualifiant implicitement les exilé·e·s arrivant en Pologne comme un danger, par essence, pour la Pologne. La communication avait été perçue par le gouvernement polonais comme une validation de sa proposition de loi, en dépit des inquiétudes formulées par la société civile et par le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe [29]. La mise en œuvre de cette loi risque d’intensifier le refoulement d’exilé·e·s par les garde-frontières polonais, alors que, selon un rapport publié le 17 février dernier, 13 600 refoulements avaient été recensés en 2024. Cette pratique se poursuit en 2025 [30], et un nouveau rapport d’Oxfam, en date du 18 mars, souligne les violences et actes de torture dont les exilé·e·s refoulé·e·s au Bélarus sont victimes. L’UE, quant à elle, continue à encourager les autorités polonaises : 52 millions d’euros ont été alloués à la Pologne en décembre 2024 afin de renforcer ses infrastructures et sa surveillance à sa frontière orientale [31].
Royaume-Uni
- InfoMigrants, « Royaume-Uni : lancement d’une commission d’enquête sur le pire naufrage de migrants survenu dans la Manche », le 3 mars 2025
Les audiences de la commission d’enquête sur le naufrage survenu dans la Manche le 24 novembre 2021, faisant 31 morts, ont débuté le 3 mars 2025 à Londres. L’enquête doit permettre d’établir notamment la responsabilité des garde-côtes français dans ce naufrage, après les révélations de la presse concernant leur décision d’ignorer les appels de détresse des exilé·e·s à bord, en attendant que l’embarcation pénètre en eaux britanniques. Plusieurs militaires français sont ainsi mis en examen pour non-assistance à personne en danger.
Ces audiences débutent seulement quelques jours après l’annonce par les gouvernements britannique et français de nouvelles mesures [32] de lutte contre les petites embarcations et les « réseaux de passeurs » en Manche dans le cadre des accords de Sandhurst. Malgré les conséquences meurtrières de la « coopération transfrontalière franco-britannique », plus de 8 millions d’euros de financements ont été redirigés vers ces mesures qui viendront renforcer la présence et les capacités des forces de police sur la côte française.
- BBC, “Government considering sending failed asylum seekers to Balkans”, le 22 mars 2025.
Le Royaume-Uni serait en train d’étudier les possibilités d’expulser les exilé·e·s dont la demande d’asile aurait été refusée dans des « centres de retours » implantés dans des pays des Balkans occidentaux, en échange d’une contrepartie financière. À la différence de l’infructueux accord avec le Rwanda [33], il ne s’agirait donc pas de procéder à l’examen des demandes d’asile sur un sol étranger, mais d’y détenir les exilé·e·s en l’attente de la mise en œuvre de leur expulsion.
Bien que ce projet soit encore à un stade embryonnaire, il s’inscrit dans la dynamique d’externalisation accrue des politiques migratoires en Europe, illustrée (entre autres) par le protocole Italie-Albanie, et soutenue par la Commission européenne tant devant la Cour de Justice de l’UE [34] que par le biais de ses propres propositions législatives [35].
Turquie
- The Brussels Times, “Turkey to build 8.5 km wall on border with Greece”, le 5 mars 2025
La Turquie a annoncé le lancement de la construction d’un mur à sa frontière avec la Grèce, dans le but affiché de prévenir les entrées dans l’Union européenne : 8,5 kilomètres seront érigés cette année, mais le gouverneur de la province d’Edirne a d’ores et déjà annoncé que des portions additionnelles seront construites sur le reste de la frontière, le long de l’Évros (longue de 200 kilomètres).
Du côté grec, cela fait 13 ans que les premiers murs barbelés ont été érigés [36] sur une portion représentant aujourd’hui 30 kilomètres de la frontière (que le Premier ministre grec a promis de porter à plus de 100 kilomètres d’ici l’année prochaine). La frontière avec la Bulgarie est, elle, complètement verrouillée par un mur couvrant la totalité de ses 260 kilomètres de longueur. Bien que l’UE s’oppose publiquement à financer la construction de ces murs par ses États membres [37], elle s’accommode complaisamment de leur existence. Par ailleurs, la politique extérieure européenne s’oriente assez largement vers de tels dispositifs de verrouillage des frontières. La déclaration UE-Turquie de 2016 prévoyait, en des termes délibérément imprécis, que la Turquie devrait « prendre les mesures nécessaires pour prévenir l’ouverture de nouvelles voies maritimes ou terrestres de migration illégale de la Turquie vers l’UE » et coopérer avec l’UE et ses voisins en la matière. La construction de ce mur s’inscrit dans la continuité de cet « arrangement », par le biais duquel l’UE a monnayé le renvoi vers la Turquie de toutes les personnes en migration arrivées sur les îles grecques à partir du 20 mars 2016, y compris les demandeurs d’asile pour qui la Turquie a été considérée (par la Grèce) comme un « pays tiers sûr », en échange d’un appui financier substantiel (deux tranches de 3 milliards d’euros).
Frontex
- Euractiv, “Commission promises Frontex role review for 2026, implementation cash for member states”, le 17 mars 2025.
Dans sa traditionnelle lettre « migrations » aux dirigeant·e·s des États membres de l’UE, en amont du Conseil européen, Ursula von der Leyen aurait annoncé souhaiter que le mandat de Frontex soit (à nouveau) révisé en 2026. Selon les informations d’Euractiv, la présidente de la Commission européenne souhaiterait habiliter l’agence à « organiser des opérations d’expulsion directement avec des ‘pays tiers’ » et étendre son rôle dans la « prévention de la migration irrégulière ».
Alors que le règlement 2019/1896, qui régit le fonctionnement de Frontex, en fait une agence chargée de prêter une « assistance technique et opérationnelle » aux États membres pour l’exécution de leurs « opérations de retour », de telles annonces (dont les contours et la portée restent flous) laissent présager un retour de la Commission sur sa volonté de voir Frontex organiser des retours depuis des pays non membres de l’UE vers d’autres pays « tiers » (ce qu’elle avait tenté d’introduire lors de la dernière révision du mandat de l’agence, en 2019, sans y parvenir). La portée néocoloniale d’une telle volonté est alarmante : si Frontex se retrouvait en capacité d’organiser des expulsions depuis des pays non-membres de l’UE, elle verrait son champ d’action étendu au point de se convertir en instrument sécuritaire à l’échelle mondiale. Alors que l’agence européenne est accusée de complicité dans des violations des droits des personnes exilées [38] dans le cadre de son mandat actuel, une telle modification du champ de ses prérogatives risquerait d’amplifier les violences envers les personnes expulsées et de faciliter son impunité.
Proposition de règlement sur les retours
- Euractiv, “‘Return hubs’ possible under new EU rules”, le 11 mars 2025.
La Commission européenne a présenté ce 11 mars une proposition de règlement visant à instaurer un système commun pour l’expulsion des ressortissant·e·s non européen·ne·s dépourvu·e·s de droit de séjour dans l’UE, et à remplacer le cadre en place (notamment la directive « retour » de 2008). La proposition, guidée par des objectifs d’« efficacité », d’« harmonisation » et de « modernité », a été vivement critiquée par la société civile, sur de nombreux aspects : ouverture d’une voie pour l’établissement de centres d’expulsion (« return hubs ») dans des pays non-membres de l’UE, systématisation des expulsions, extension des motifs et de la durée de l’enfermement, contrôle judiciaire limité, obligation pour les États membres de restreindre la liberté de mouvement des personnes visées par une expulsion, alourdissement des sanctions à l’encontre des exilé·e·s jugé·e·s non-coopératif·ve·s vis-à-vis de leur expulsion (interdiction d’entrée sur le territoire de 10 ans, amendes, réduction de l’aide financière), introduction de dérogations au respect des droits fondamentaux pour les exilé·e·s accusé·e·s de représenter un risque pour la sécurité nationale ou les politiques publiques de l’État membre [39]…
Malgré ces critiques, l’UE et ses États membres semblent déterminés à faire prospérer ce texte. Le Conseil européen, réuni le 20 mars 2025, a ainsi, dans ses conclusions, invité les co-législateurs à le faire avancer en priorité. De potentiels amendements au texte doivent encore être proposés au sein du Conseil de l’UE et du Parlement européen, avant que les deux institutions n’entrent en phase de négociation.