129 organisations de la société civile appellent les député·e·s européen·ne·s à rejeter la refonte du code des frontières Schengen, dangereuse pour les droits fondamentaux

Communiqué commun

Malgré les avertissements répétés des organisations de la société civile, les législateurs européens sont parvenus à un accord sur la réforme du code frontières Schengen qui sera votée en session plénière cette semaine. Le dossier législatif issu des négociations entre la présidence belge du Conseil de l’UE, le Parlement européen et la Commission aura des conséquences dévastatrices pour les personnes migrantes et les communautés racisées.

Nous appelons les député·e·s européen·ne·s à rejeter, lors du vote en plénière, la réforme du code frontières Schengen et à donner un signal clair contre une législation qui porte atteinte aux droits fondamentaux.

Le vote comprendra plusieurs amendements qui, ensemble, créeront un nouveau système dangereux de "gestion des migrations" aux frontières de l’espace Schengen et contribueront à réduire l’espace civique, en particulier en augmentant la criminalisation des migrations et de la solidarité :

  • Alors que la révision du code des frontières Schengen est présentée comme la solution pour mettre fin à la réintroduction constante des contrôles temporaires aux frontières intérieures, la proposition généralise les contrôles de police dans le but explicite de prévenir l’immigration irrégulière. L’interpellation de personnes soupçonnées d’être sans papiers repose en grande partie sur le profilage racial. Des recherches menées par l’Agence des droits fondamentaux de l’UEont montré que les communautés racisées font l’objet de contrôles discriminatoires et arbitraires, indépendamment de leur citoyenneté ou de leur statut de résident. En effet, plus de la moitié des personnes d’origine africaine interrogées ont estimé que leur dernière interpellation par la police était le résultat d’un profilage racial. Cette pratique constitue une violation flagrante de la législation européenne et internationale en matière de lutte contre la discrimination [1], et contredit l’esprit du plan d’action de l’UE contre le racisme. Alors que les considérants de la réforme stipulent que toutes les actions doivent être menées dans le plein respect du principe de non-discrimination, rien n’indique comment cela sera contrôlé ou garanti, ni comment les États membres seront sanctionnés s’ils agissent en violation de ce principe.
  • L’article 23 bis permet des refoulements internes entre les États membres à mesure que les garanties visant à atténuer ses conséquences sur les droits fondamentaux introduites par le Parlement sont supprimées. Cet article prévoit le "transfert" (renvoi) immédiat des ressortissants de pays tiers appréhendés "dans les zones frontalières" vers le pays qu’ils ont traversé. Bien que des dispositions prévoient que l’individu peut faire appel de cette décision de "transfert", l’appel n’aura pas d’effet suspensif, ce qui signifie que la personne sera renvoyée quoi qu’il arrive. Il n’existe aucune dérogation à cette procédure pour les enfants non accompagnés, les familles avec enfants ou les personnes en état de vulnérabilité. S’il est écrit que les demandeur·euse·s d’asile ne seront pas soumis à de telles procédures de réadmission interne, il reste à voir comment cette exemption sera respectée dans la pratique. De tels "transferts" violeraient la jurisprudence bien établie des tribunaux italiens, slovènes et autrichiens, qui se sont tous prononcés contre les refoulements en chaîne entre États membres.

○ Étude de cas : Italie

Des pratiques de retour ou de réadmission sommaires aux frontières italiennes ont lieu depuis des années et illustrent de manière frappante les implications sur les droits humains des personnes en migration. En effet, en janvier 2021, puis en 2023, le tribunal civil de Rome a jugé que de nombreux cas de réadmission en Slovénie depuis Trieste et Gorizia, mis en œuvre dans le cadre d’un accord de réadmission de 1996, étaient en fait illégaux car ils violaient le droit au non-refoulement, le droit de demander l’asile et les droits procéduraux à l’évaluation individuelle et à un recours effectif. À la frontière adriatique, l’Italie a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2014pour une réadmission en Grèce dans laquelle la Cour a constaté une violation de l’interdiction des expulsions collectives et des mauvais traitements. Les communications adressées au Comité des ministres dans le cadre de la procédure de surveillance de l’exécution des arrêts relatifs à l’affaire Sharifiet un récent arrêt de la Cour de Romesur la réadmission d’un mineur afghan non accompagné en Grèce montrent que les violations se poursuivent. A la frontière italo-française, la CJUE et le Conseil d’Etat ont estimé queles retours entre les deux pays étaient en contradiction directe avec les garanties prévues par la directive retour.

D’autre part, les pratiques de profilage racial sont déjà très répandues aux frontières intérieures de l’Italie. Comme l’a souligné l’ASGI dans sa soumission au CERD(Comité pour l’élimination de la discrimination raciale), la gare de Vintimille, un point de transit important pour les personnes se rendant en France, est caractérisée par des contrôles de police qui ciblent presque exclusivement et systématiquement les personnes d’origine africaine. En conséquence, le Comité a fait des recommandations spécifiquesau gouvernement italien pour lutter contre le profilage, en soulignant l’absence totale de mécanismes appropriés au sein du système national pour le combattre.

  • Le concept d’"instrumentalisation" est repris du règlement sur la crisedu nouveau pacte, bien qu’il ait été supprimé de la position initiale du Parlement sur la réforme du code des frontières Schengen. En pratique, cela signifie que les États membres pourraient déroger à volonté aux cadres des droits fondamentaux, chaque fois qu’un pays tiers ou un acteur non étatique est accusé d’"instrumentaliser les migrants" pour déstabiliser l’UE ou ses États membres. La réforme du code frontières Schengen va encore plus loin en incluant un amendement inquiétant du Conseil qui permet aux États membres de prendre "toutes les mesures nécessaires" pour préserver "la sécurité, la loi et l’ordre" si un grand nombre d’individus tentent d’entrer irrégulièrement dans un pays "en masse et en recourant à la force". Il s’agit d’une transposition incorrecte de l’affaire N.D. et N.T. c. Espagnequi pourrait avoir des conséquences dévastatrices ; en effet, le texte permet des dérogations illimitées à l’acquis communautaire en matière d’asile et de droits fondamentaux.
  • La réforme fait également référence à plusieurs reprises à l’utilisation accrue des technologies de surveillance et de contrôle aux frontières intérieures et extérieures. Les technologies telles que les drones, les détecteurs de mouvement, les caméras thermiques et autres facilitent l’identification des personnes qui franchissent les frontières avant leur arrivée et ont démontré qu’elles facilitaient les refoulements. En fait, le Border Violence Monitoring Network (BVMN) a enregistré 38 témoignages, concernant plus de 1 000 personnes, dans lesquels les personnes interrogées ont déclaré avoir entendu ou vu un drone avant leur refoulement. L’utilisation de technologies permettant de suivre et de contrôler les mouvements des personnes pourrait donc faciliter leur réadmission entre les États membres de l’espace Schengen.

Nous, soussigné·e·s, appelons les député·e·s européen·ne·s à rejeter la réforme du Code frontières Schengen lors du vote en plénière. Ce dossier élargit le concept néfaste d’"instrumentalisation", légalise les refoulements internes, risque de généraliser le profilage racial et renforce l’utilisation de technologies de surveillance des frontières dont il a été prouvé qu’elles facilitent les violations des droits fondamentaux.

La position du Parlement sur le dossier visait à supprimer les aspects les plus problématiques et à inclure des garanties pour les droits des personnes issues de l’immigration et des communautés racialisées. Cette position a depuis été abandonnée et celle qui l’a remplacée est intenable en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux.

Signataires :

Abolish Frontex
Accem
Access Now
ActionAid International
African Children and Youth Development Network (ACYDN)
AlgoRace
AMANE
Amnesty International
Amnesty Luxembourg
ARACEM
Are You Syrious (AYS)
ASGI
Asociacion Geum Dodou
Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía - APDHA
Asociación Por Ti Mujer
Asociación Rumiñahui
Asociación Salud Y Familia
Association des Travailleurs Maghrébins de France -ATMF
Association pour la promotion des droits humains APDH
Association Marocaine des Droits Humains
Be Aware and Share (BAAS)
Better Days Greece
Blindspots e.V.
Boat Refugee Foundation
borderline-europe - Menschenrechte ohne Grenzen e.V.
Center for Legal Aid, Voice in Bulgaria
Centre for Peace Studies
CNCD-11.11.11
Collective Aid
Comunità Papa Giovanni XXIII
Convenzione per i diritti nel Mediterraneo ETS
CONVIVE- Fundación Cepaim
Convivir sin Racismo
CSC ACV Brussels
Cultural Center Danilo Kiš
Danes je nov dan / Today is a new day
Danish Refugee Council
Digital Society, Switzerland
Diotima Centre for Gender Rights & Equality
Dråpen i Havet / Stagona
Draseis sth geitonia
E.L. Foundation
ECCHR - European Centre for Constitutional and Human Rights
ECHO100PLUS
EmpowerVan !
Entreculturas
Epicenter.works
Equal Legal Aid
Equinox Initiative for Racial Justice
Equipo Decenio Afrodescendiente- España
EuroMed Rights
Europe Cares e.V. / Paréa Lesvos
European Center for Non-Profit Law
European Civic Forum
European Digital Rights (EDRi)
European Network Against Racism (ENAR)
European Sex Workers Rights Alliance (ESWA)
Fenix Humanitarian Legal Aid
forRefugees
From the Sea to the City - FSTC
Fundación Alboan
Greek Council for Refugees (GCR)
Greek Forum of Migrants
Greek Forum of Refugees
Gruppo Melitea
Habibi Works (Soup and Socks e.V.)
Hermes Center
HIAS Europe
Homo Digitalis
Hope and Humanity Poland
Humanitas - Centre for Global Learning and Cooperation
HumanRights360
I Have Rights
IDAY Liberia Coalition Inc
Infokolpa
Institute Circle
Inter Alia
InterEuropean Humanitarian Aid Association Germany e.V. (IHA)
International Rescue Committee (IRC)
Irida Women’s Center
Iridia. Centro por la Defensa de Derechos Humanos
Jesuit Refugee Service Greece
KAST (Khora Asylum Support Team)
KOK - German Network against Trafficking in Human Beings
Komitee für Grundrechte und Demokratie e.V.
La Cimade
La Coordinadora de Organizaciones para el Desarrollo
Legal Centre Lesvos
Lighthouse Relief
Ligue des Droits Humains
Mec de la Rue
Migreurop
Mobile Info Team
Network for Children’s Rights
Northern Lights Aid
NOVACT
No Name Kitchen
Oxfam
PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants)
POPH
Privacy International
Project Play
PRO ASYL
Quaker Council for European Affairs
Red Umbrella Sweden
Refugee Legal Support (RLS)
Refugee Literacy Project
Refugees International
Revibra Europe
S.P.E.A.K.
Safe Place Greece
Salud por Derecho
Salvamento Marítimo Humanitario
Samos Volunteers
Sea-Eye e.V.
Sea-Watch e.V.
Second Tree
Seebrücke Schweiz
Seios Grupe
Slovene Philanthropy
Society Kljuc - Centre for Fight against Trafficking in Human Beings
SOLIDAR
Statewatch
Stichting LOS
TAMPEP - European Network for the Promotion of Rights and Health among Migrant Sex Workers
The Human Rights Legal Project
Yoga and Sport with Refugees
Zeitschrift Bürgerrechte & Polizei/ CILIP (Germany)