Pacte européen sur l’asile et la migration : positionnement de Migreurop et analyse juridique

Le 23 septembre 2020, la Commission européenne proposait un « Nouveau pacte sur la migration et l’asile », censé renouveler les politiques migratoires européennes. À l’opposé d’une nouvelle donne, l’orientation et les mesures prônées dans ce Pacte s’inscrivent en réalité dans la continuité des politiques répressives et sécuritaires mises en œuvre par les institutions européennes et leurs membres depuis la fin des années 1990. Plus de trente ans plus tard, l’objectif reste inchangé : voir le moins d’exilé·e·s possible arriver en Europe grâce à l’intensification des politiques de contrôle et d’externalisation des frontières, peu importe ce qu’il en coûte en termes de violation de droits.

Au lendemain de la « crise de l’accueil » de 2015, ce nouveau Pacte apparaît aussi comme un outil au service du rétablissement de la confiance des États membres dans l’UE, l’enjeu étant de trouver un point d’accord, malgré leurs divergences, sur le plus petit dénominateur commun entre eux pour gérer le peu d’exilé·e·s qui foulent le sol européen. Répondant prioritairement aux demandes répressives et insistantes de certains pays (tel le concept de « solidarité flexible » défendu depuis 2016 [1]) et non à celles, légitimes, de plus de solidarité dans l’accueil avec les pays méditerranéens de première entrée, le pacte s’inscrit dans un processus d’européanisation du « pire » que Migreurop s’attelle ici à décrypter.

La normalisation de la violation des droits aux frontières européennes

Cela fait plusieurs décennies que l’UE et ses États membres poursuivent les mêmes politiques migratoires vouées à l’échec, prônant la fermeture – illusoire – des frontières et l’externalisation de la gestion migratoire pour les exilé·e·s du Sud global au détriment de l’accueil solidaire et du respect des droits.

Depuis l’entrée en vigueur du traité européen d’Amsterdam en 1999, les dispositifs visant à repousser les personnes exilées jugées « indésirables » n’ont cessé de se multiplier : raréfaction des « voies sûres et légales » d’entrée en Europe, militarisation des frontières européennes avec le rôle accru de l’agence européenne Frontex, banalisation des pratiques de refoulement en toute impunité, mise en place de centres de tri à l’entrée du territoire européen (hotspots), généralisation de l’enfermement au Nord comme au Sud global des personnes étrangères, dégradation des conditions d’accueil et d’intégration sur le continent européen, externalisation des contrôles frontaliers et de l’asile à des pays non-membres de l’UE (dits « tiers »), conditionnalité de l’aide publique au développement à la collaboration en matière de contrôle des mouvements migratoires et financement par ce biais de régimes autoritaires, criminalisation de toute forme de solidarité avec les personnes exilées... La liste des moyens déployés par l’UE et ses États membres pour empêcher la plupart des migrant·e·s du Sud global d’accéder au territoire européen et à leurs droits semble sans fin.

Coûteuses, inefficaces et mortifères, ces politiques ont pourtant fait la preuve de leur échec dès leurs premières heures. De fait, malgré l’ampleur des moyens consacrés à l’emmurement de l’Europe, il est notoire que la multiplication des entraves à la mobilité ne fait que pousser les personnes migrantes sur des routes plus longues et plus dangereuses, car « illégalisées ». Selon les estimations de « United against Refugee Deaths », les politiques migratoires européennes auraient coûté la vie à plus de 48 000 personnes entre 1993 et 2022 [2].
Partout sur le territoire des États membres de l’UE, aux frontières européennes et au-delà, ces politiques engendrent des violations massives de droits, renforcent les discriminations, le racisme et la xénophobie, et perpétuent des inégalités structurelles. Ces politiques se traduisent par un véritable « apartheid de la mobilité » imposé par les pays du Nord global aux citoyen·ne·s du Sud global [3] , système qui hiérarchise les droits et les vies en fonction de la nationalité, de la classe et de la catégorisation raciale et qui précarise les vies des migrant·e·s tout au long de leur parcours, en permettant leur exploitation sur le sol européen.

Le Pacte UE sur la migration et l’Asile - des mesures usées, nuisibles et inefficaces pour endiguer les migrations

Le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile, qui est en réalité un pacte contre les migrant·e·s, propose d’entériner différentes mesures dans la continuité de cette logique d’apartheid de la mobilité au cœur des politiques européennes :

• Le renforcement de l’externalisation de la gestion des migrations et de l’asile réduisant la collaboration des États européens avec les États du Sud à l’endiguement des départs et au renvoi des personnes dépourvues de droit au séjour. L’aide publique au développement et les visas seront conditionnés et instrumentalisés à cet effet. Un nouveau poste de Commissaire européen chargé du retour sera créé.

• La consolidation de la militarisation du contrôle des frontières avec, à nouveau, l’augmentation du budget et du rôle de l’agence de garde-frontières et de garde-côtes européens Frontex. Ainsi, les cas de refoulements et de laissez-mourir en mer dans lesquels l’agence est accusée d’être impliquée [4] – qui font partie de la politique de dissuasion de l’UE – sont appelés à se perpétuer.

• La normalisation de « l’approche hotspot ». Celle-ci se manifestera par la détention quasi systématique des exilé·e·s aux frontières, l’extension du fichage et de l’utilisation de leurs données personnelles (EURODAC), le tri via de nouvelles procédures de filtrage parmi lesquelles une fiction juridique d’extra-territorialité européenne, et pour la majorité des exilé·e·s le renvoi – avant même d’avoir pu fouler le sol européen ou demander l’asile –, vers des pays tiers opportunément et souvent à tort reconnus comme « sûrs ». Cela signe donc la fin du droit d’asile tel qu’inscrit dans la Convention de Genève – d’autant qu’un « mécanisme de crise » permettant de suspendre l’examen des demandes de protection internationale pourra également être enclenché –, ainsi que l’institutionnalisation, à l’échelle européenne, de pratiques qui existent aujourd’hui de manière limitée ou informelle [5] . Par ailleurs, le premier pays d’entrée restera le principal critère de détermination du pays responsable de leur demande d’asile et du tri entre les quelques « bon·ne·s réfugié·e·s » à « relocaliser » et la majorité des « mauvais·es migrant·e·s » à renvoyer.

• La mise en place d’un mécanisme de solidarité européen dit « flexible » qui permettra aux États membres d’opter soit pour l’accueil soit pour le renvoi des personnes migrantes. Considérant l’échec du processus de relocalisation de 2015 [6], il est à prévoir que peu d’États feront le choix de l’accueil.

Ainsi le Pacte, qui a été décrit comme une « avalanche de papier », et qui peut sembler abstrait dans la mesure où il est composé de plusieurs propositions législatives qui ne seront pas votées avant plusieurs mois, voire des années, par les différentes institutions européennes, traduit en fait des politiques et des pratiques qui existent déjà en grande partie [7] . Il est d’ailleurs mis en pratique avant même que les outils législatifs ne soient finalisés. En témoignent plusieurs documents produits par la Commission européenne qui visent à « opérationnaliser » le Pacte [8], les derniers en date concernant l’intensification de l’externalisation de l’asile face à l’« afflux » d’exilé·e·s afghan·ne·s tant redouté par l’UE [9].

Rien de nouveau, donc, sous le soleil de l’Union européenne. Par ailleurs, bien que le Pacte ait pour ambition de mettre les États d’accord autour d’un socle commun, les tensions internes qui persistent entre eux laissent penser que le Pacte ne sera jamais adopté dans son entièreté mais par « petits paquets » [10].

Positionnement de Migreurop : Pour un autre Pacte solidaire, inclusif, décolonial et garant du droit à la mobilité pour tous et toutes

Depuis sa création, Migreurop dénonce sans relâche les politiques migratoires européennes qui bafouent les droits, et notamment le droit à la mobilité. En particulier, Migreurop condamne l’externalisation tant du contrôle des migrations que de l’asile, l’encampement des personnes migrantes comme outil de gestion des migrations, et les conséquences mortelles des politiques de contrôle aux frontières de l’Europe. Le Pacte européen « contre » la migration et l’asile ne fait que perpétuer et intensifier cette logique du tri, de l’enfermement, de l’exclusion et de la hiérarchisation des droits des personnes migrantes.

Au lieu d’un Pacte qui n’a de « nouveau » que le nom, nous appelons à une véritable rupture avec les orientations de la politique migratoire européenne qui ont dominé l’agenda politique au cours des trente dernières années. Nous appelons au courage, à la volonté et à l’imagination pour qu’une politique migratoire fondée sur les principes de la démocratie inclusive, l’égalité, la liberté, la solidarité et la justice puisse enfin voir le jour [11].

Alors qu’aujourd’hui la politique migratoire discriminatoire de l’Union s’inscrit dans la continuité des rapports inégaux entre l’UE et le Sud Global, cette nouvelle politique migratoire devra être une dimension de la décolonisation de ces rapports. Alors que la politique migratoire de l’UE est définie par les États membres contre les migrant·e·s, une politique juste et soutenable ne pourra être définie qu’avec celles et ceux-ci. Elle devra être fondée sur la réalité des migrations et des vies des migrant·e·s et non sur leur déni. Elle donnera enfin un cadre légal pour que tous et toutes puissent exercer leur droit à la liberté de circulation et d’installation sans risquer leurs vies.

© Sabine Lösing