L’informalisation des politiques migratoires : les pièges de la soft law

Note #14 - juin 2022

Mal connue du public, la soft law est une arme redoutable entre les mains des États, qui utilisent cette méthode quand ils veulent contourner les contraintes et la rigidité que leur imposeraient les lois nationales ou les textes et traités internationaux. Elle est souvent mobilisée dans le domaine du « contrôle des flux migratoires », sans qu’il soit facile de faire toujours la différence entre la stricte application du droit et ses contournements. L’externalisation des politiques d’asile et d’immigration est un exemple typique du recours à la soft law : l’Union européenne (UE) ou ses États membres trouvent avantage à négocier toute une foule d’arrangements aux noms divers, plus ou moins informels, avec leurs « partenaires » des pays tiers, fictivement présentés sur un pied d’égalité.

La finalité est de contraindre ces derniers à stopper l’immigration à la source ou à reprendre sur leur sol les indésirables qu’on leur renverra, parfois au prétexte de l’urgence (comme ce fut le cas avec la « déclaration » UE-Turquie en mars 2016, supposée mettre fin à la mal nommée « crise migratoire ») : avec la soft law, certaines clauses contraires aux droits fondamentaux peuvent rester occultes. Les abus seront imputés à ces autorités extérieures à l’Europe, les instances parlementaires ou judiciaires ne seront pas saisies, les dissensions internes seront moins visibles et, devant d’éventuels écueils, il sera plus aisé de changer de cap.

S’ouvre ainsi un vaste domaine à des formes d’infra-droit qui, par-delà la diversité des modes opératoires, mènent inévitablement au déni des normes en vigueur. D’où l’enjeu que représente, pour les associations de défense des droits humains, la connaissance des mécanismes de la soft law et des discours publics qui visent à en imposer la légitimité dans l’opinion.

[Extrait - Edito]

Contributeurs et contributrices : Mikel Araguas (SOS Racismo), Marie-Laure Basilien-Gainche (Professeur de droit, ICM), Jean-Pierre Cassarino (Chercheur-enseignant, Collège d’Europe/IRMC), Brigitte Espuche (Migreurop), Alain Morice (Migreurop), Claire Rodier (GISTI), Anna Sibley (Migreurop).
Carte : Nicolas Lambert pour la Brigade d’interventions cartographiques (Migreurop)
Photographie : Extrait de la vidéo "Non à la guerre aux migrant.e.s" - Réalisée par l’agence Bonjour.