Camp humanitaire à Paris : comment nos voisins européens accueillent-ils les migrants ?

L’OBS (France), 01/06/2016

Le camp humanitaire de migrants qui verra le jour au mois de juillet à Paris est une première dans une capitale européenne. Tour d’horizon des politiques d’accueil de réfugiés chez nos voisins européens.

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La maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé, mardi 31 mai, la création d’un camp humanitaire à Paris pour accueillir les migrants dans des conditions dignes. Ce lieu devrait voir le jour dans un mois et demi au nord de la capitale. En terme de réponse à la crise migratoire, l’édile a amorcé le "changement de méthode" qu’elle avait appelé de ses vœux après l’évacuation du camp de migrants de Stalingrad début mai.

Sur le modèle du camp de Grande-Synthe (Nord), l’espace comprendra des modules facilement déplaçables, de type chalets en bois, et sera géré en partenariat avec des associations. A Grande-Synthe, c’est l’association Médecins sans frontières (MSF) qui a pris en charge les frais de construction de la structure d’accueil à hauteur de 2,5 millions d’euros. La ville a apporté 700.000 euros supplémentaires qu’elle entend se faire rembourser par l’Union européenne.

Le camp a été créé en mars dans une zone à l’écart de la ville, entre la gare de marchandise et l’autoroute, et abrite aujourd’hui 1.300 personnes. D’après Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’asile, "il n’existe aucun camp humanitaire similaire en Europe".
Les villes au secours des migrants

Pourtant, à l’image de Paris, certaines villes européennes sont devenues des acteurs clés de la politique migratoire. Et ont relevé le défi de pallier la réponse insuffisante de l’Etat face à l’afflux de réfugiés. A la pointe de ce combat : Barcelone. La capitale de la Catalogne a émis le 29 août 2015 l’idée de créer un "réseau de villes-refuges afin de faire face à cette crise de manière unifiée", selon un communiqué. La maire de la ville, Ada Calau, a lancé un appel aux villes européennes :

"Europe, Européens : ouvrons nos yeux. Les murs et les barbelés n’arrêteront pas cela [...] Bien qu’il s’agisse d’une compétence des Etats et de l’Europe, depuis Barcelone, nous ferons tout ce que nous pourrons pour participer à un réseau de villes-refuges."

Madrid lui a immédiatement emboîté le pas "pour résoudre la tragédie des réfugiés". Anne Hidalgo a également signé l’appel des "villes-refuges". "Les villes sont les meilleurs alliés des associations et des ONG car ce sont des acteurs locaux. Elles voient ce qui se passent sur le terrain au quotidien, comme nous", souligne Nina Marx, chargée de mission "migrations internationales" au CCFD Terres-Solidaires.
La nécessité d’une coordination nationale

Pierre Henry considère que la proposition d’Anne Hidalgo va faire "bouger les lignes des politiques migratoires en Europe", même s’il juge ce mode d’hébergement n’est pas la meilleure des solutions. "Le camp à Paris sera sans doute rapidement saturé. Le plus efficace serait qu’il existe un centre de transit par région, où les migrants resteraient quatre à cinq jours le temps qu’on les identifie et qu’on les oriente et qu’il soient ensuite acheminés vers des centres d’accueil. Un tel réseau a été mis en place en Allemagne."

La politique d’accueil outre-Rhin est sans conteste la mieux coordonnée d’Europe, pour Emmanuel Blanchard, président de Migreurop :
"L’Allemagne bénéficie à la fois du discours d’Angela Merkel, favorable à une meilleure intégration des migrants, de la solidarité citoyenne et de la vitalité des associations de soutien bénévoles."

A Berlin, les migrants sont logés dans des conteneurs au cœur du centre-ville. Des dizaines de "villages-conteneurs" sont sorti de terre depuis un an pour accueillir environ 15.000 réfugiés, hébergés pour l’heure dans des gymnases ou des hangars. Les migrants peuvent y séjourner pendant trois ans maximum. Cette mesure vient compléter les 44.000 lits mis à disposition des réfugiés dans des structures d’accueil provisoire.

Emmanuel Blanchard souligne la nécessité de coordonner action locale et politique nationale : "Je souhaite que l’Etat français entende l’appel d’Anne Hidalgo qui désire l’associer à la création du camp humanitaire, à plus forte raison parce qu’ils ont la même couleur politique."
Des familles d’accueil

Autre exemple réussi : Barcelone a fait le choix de mettre en place des registres où viennent s’inscrire les familles désireuses d’accueillir des migrants ou de leur apporter une aide matérielle. A quelques kilomètres de la frontière française, la ville allemande de Karlsruhe met, quant à elle, en contact les migrants en quête d’un toit et les personnes prêtes à les accueillir dans leur foyer, via un site Internet mis en place à l’été 2015. L’initiative allemande est baptisée "Refugees welcome". Le contact se fait par l’intermédiaire d’associations qui se chargent de trouver le futur colocataire qui conviendra le mieux, et le site aide également à trouver de quoi financer les coûts de l’hébergement.

"A Athènes, l’Etat ne mène pas une politique volontariste mais la loi laisse les migrants et les acteurs de la société civile s’organiser", explique Emmanuel Blanchard. Ce qui a permis aux réfugiés d’investir l’hôtel Plaza pour y habiter. L’établissement est autogéré par ses squatteurs.

"En tête des municipalités à la pointe en matière d’accueil des migrants, on trouve à mon sens, Karlsruhe, Barcelone, Lisbonne et Bologne [en Italie, NDLR]", énumère Nina Marx. "Ces villes développent des politiques avant-gardistes avec des outils poussés d’intégration des réfugiés : cours d’espagnol et de portugais, initiatives culturelles, aide à trouver des logements."
Des initiatives innovantes

La ville de Bologne est en effet particulièrement innovante en matière d’accueil des migrants. L’association Lai-momo, qui gère plusieurs centres d’accueil dans la commune et dans sa région, propose de multiples formations, en partenariat avec des associations. Dont celui noué avec Ethical Fashion Initiative qui propose aux migrants de bénéficier d’une formation spécifique aux métiers de l’industrie de la mode afin qu’ils puissent ensuite rentrer chez eux monter leur propre entreprise.

A Berlin, la start-up "Über den Tellerrand kochen" ("cuisiner hors des sentiers battus") offre l’opportunité aux réfugiés de faire découvrir les spécialités gastronomiques de leur pays lors de cours de cuisine. Ces migrants perçoivent une rémunération de 45 euros par participant.

La maire de Paris ne marche donc pas tout à fait dans les traces de ses homologues européens. Mais pourrait devenir une source d’inspiration pour d’autres villes du continent, d’après Nina Marx : "Le positionnement politique courageux d’Anne Hidalgo peut enclencher une dynamique à l’échelle de l’Europe."

Lien vers l’article de L’OBS