Liban

Généralités

Le Liban est connu pour être une terre d’émigration de longue date, avec une diaspora estimée à plusieurs millions de personnes dans le monde entier. Il est également un pays d’immigration important au Proche Orient avec des dizaines de milliers de travailleurs migrants, demandeurs d’asile et réfugiés se trouvant sur son territoire bien que le Liban ne se considère pas comme un pays d’immigration ou même de transit. Le Liban n’a pas ratifié la Convention de Genève de 1951 et son protocole sur les réfugiés ni la Convention 189 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) relative aux travailleurs domestiques (2011) ainsi que la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) [1]. L’ensemble des règles juridiques en vigueur au Liban sur la question de l’asile est assez limité et ne permet pas de dire qu’il existe un cadre légal global touchant à l’asile [2].

Législation en matière migratoire

La « Loi du 10 juillet 1962 relative à l’entrée, au séjour et à la sortie des étrangers au Liban » contient plusieurs articles sur les possibilités d’entrée et de séjour au Liban ainsi que les modalités d’obtention de visas et n’a été que très peu amendée depuis sa publication. Cette loi reconnaît l’entrée et le séjour irréguliers d’un étranger au Liban comme un crime passible d’une peine d’emprisonnement allant d’un à trois ans, d’une amende et d’expulsion, traitant ainsi chaque personne entrant de manière irrégulière dans le pays comme en situation d’infraction même si celle-ci est demandeuse d’asile. En 2011, près de 10% des 11 391 personnes enfermées dans les prisons libanaises l’étaient, entres autres, sous l’inculpation d’entrée ou séjour illégal au Liban [3].

Les migrants souhaitant venir travailler au Liban doivent obtenir avant leur arrivée, un permis de travail auprès du Ministère du Travail, celui-ci ne délivrant des autorisations qu’aux personnes ayant un garant libanais. Les travailleurs doivent renouveler leur permis annuellement par le biais de leur garant. La problématique particulière des travailleuses migrantes domestiques a été mise en lumière par de nombreuses organisations de la société civile libanaises. La principale revendication des travailleuses est la disparition du système de Kafala [4], qui fait que le statut légal de ces femmes est forcément lié à leur garant libanais sous la responsabilité duquel elles se trouvent. Elles se retrouvent enfermées à plusieurs niveaux : dans un contrat, dans les maisons où elles sont parfois confinées ou dans les prisons lorsqu’elles s’enfuient de chez leur employeur et sont arrêtées par la police car elles n’ont plus de statut légal. On estime à plus de 200 000 le nombre de ces migrantes qui travaillent souvent plus de 10h par jour pour des salaires mensuels allant de 100 à 500$. Les violations des droits des travailleuses migrantes domestiques ont été portées auprès des politiques et de l’opinion publique par différentes campagnes ayant permis d’encadrer un peu mieux la loi mais les vieilles pratiques subsistent encore [5].

Asile et Réfugiés

Si le Liban n’a pas ratifié la Convention sur les réfugiés 1951, il est membre exécutif du UNHCR. Pourtant, dans la pratique le Liban mène une « non-asylum policy » refusant officiellement de reconnaître qu’il puisse être un pays d’accueil pour les réfugiés. Cela a des conséquences directes sur l’accès aux droits des personnes en besoin de protection internationale qui restent souvent des années en « transit » au Liban, devenus pour beaucoup de facto un pays de destination. En 2003, les autorités libanaises ont signé un Memorendum of Understanding avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (UNHCR) soulignant bien que le Liban n’est en aucun cas un pays d’asile et donnant à ce dernier la responsabilité du traitement des demandes d’asile de personnes souhaitant demander l’asile et de les réinstaller ensuite dans un autre pays que le Liban dans un laps de temps d’une année au maximum [6]. Le MoU stipule que la Sureté Générale (services en charge des questions d’immigration rattachés au Ministère de l’Intérieur) délivre aux personnes enregistrées avec le HCR un permis de circulation temporaire pour cette période. Cependant dans la pratique, le permis n’est pas délivré directement et certains demandeurs d’asile et réfugiés sont arrêtés et détenus chaque mois en dépit de leur certificat d’enregistrement auprès du HCR, qu’ils n’ont pas sur eux au moment de leur arrestation [7]. De plus, le MoU a une portée très limitée et un certain nombre de personnes enregistrées comme demandeuses d’asiles ou refugiées auprès du UNHCR, ne rentrent pas dans ce cadre : par exemple les Irakiens qui étaient enregistrés en 2009/2010 "prima facie" c’est-à-dire, sans examen individuel de leur situation (enregistrement systématique des personnes venant d’Irak à cette période en raison du contexte violent sur l’ensemble du territoire irakien). Jusqu’à l’éclatement du conflit en Syrie, les personnes reconnues comme réfugiées par le HCR étaient principalement des Soudanais et Irakiens.

Depuis le début du conflit en Syrie, le Liban a été et continue d’être l’un des pays à accueillir le plus grand nombre de « déplacés » venus de Syrie avec plus de 720 000 personnes recensées début septembre 2013 [8] par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations-Unies (UNHCR) tandis que les autorités libanaises estiment le nombre de ressortissants syriens dans le pays à plus d’un million. Ils ne sont pas reconnus comme réfugiés par l’État libanais mais reçoivent un certificat s’ils s’enregistrent auprès du HCR.

Les 475 000 réfugiés palestiniens vivant au Liban ont un statut à part et sont pour la plupart enregistrés auprès de l’agence des Nations Unies mise en place pour soutenir les réfugiés palestiniens, l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East), l en charge de fournir des services tels que l’accès à l’emploi, l’éducation, aux soins et au logement [9]. Une partie de la population palestinienne vit dans une douzaine de camps qui, s’ils sont officiellement sous le contrôle des autorités libanaises, sont en pratique autogérés par des comités palestiniens locaux. Les Palestiniens, qui vivent désormais au Liban depuis près de 3 générations, n’ont toujours pas accès à des professions de cadre réservées aux Libanais, dont sont également exclus les autres étrangers.

Enfermement des étrangers et éloignement

L’entrée ou séjour illégal au Liban est passible d’un à trois ans d’emprisonnement. Après avoir purgé cette peine dans une des 22 prisons du pays, les étrangers son transférés au poste de police de la Sûreté Générale qui est situé en dessous d’un pont au cœur de Beyrouth, sans air ni lumière extérieurs [10]. Si beaucoup ont pris la mauvaise habitude d’appeler ce lieu « centre de rétention », la loi libanaise encadre strictement la détention dans les postes de police à 48h renouvelables une fois maximum, et ce pour tous. La détention administrative des étrangers telle qu’elle existe en Europe (rétention) n’a pas de base légale au Liban. Pourtant dans la pratique, des migrants passent des semaines ou des mois dans ce lieu sans que le pouvoir judiciaire exerce forcément un contrôle sur la détention. Il s’agit donc de détentions arbitraires dans bien des cas, ceci étant d’autant plus inquiétant que des demandeurs d’asile et réfugiés reconnus par le HCR sont également concernés. Malgré plusieurs décisions de Cours de justice de remise en liberté de migrants détenus, l’administration ne les applique pas et continue à détenir des personnes sous prétexte d’organiser leur éloignement [11] .
Au nombre des lieux de détention, il faut également ajouter les postes de police et les cellules des palais de justice qui sont censés être des lieux de détention provisoires, mais où des migrants peuvent y être maintenus pour des périodes excédant les 48h (renouvelables) réglementaires. De plus, on peut évoquer certaines maisons refuge (safe house) ouvertes par des ordres religieux, ONG et ambassades afin d’accueillir les femmes migrantes victimes de trafic. En pratique, certains de ces lieux ont été détournés de leur fonction et sont devenus des lieux de détention pour des femmes migrantes n’étant pas victime de trafic, et ce en dehors de tout contrôle légal. Cette situation, justifiée dans certains cas par le fait que, dans ces lieux, les femmes sont bien mieux traitées qu’au poste de police de la Sureté Générale témoigne que face à une absence de protection et d’alternatives, les migrantes n’ont souvent d’autre choix que d’accepter d’être recluses dans ces maisons sans savoir quand leur enfermement prendra fin. En adoptant une approche plus large encore de l’enfermement, les maisons de certains sponsors ou employeurs peuvent aussi être vus comme des lieux de détention dans la mesure où certains n’acceptent pas que la migrante qu’ils emploient quitte la maison. Confisquant le passeport, les enfermant parfois à clé, certaines employées domestiques se retrouvent littéralement prisonnières de leur employeur. Il est évidemment très difficile d’obtenir des informations sur ces lieux dits « invisibles » généralement entourés d’une grande opacité et auxquels l’accès n’est garanti nulle part [12].

En 2000, le Liban a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT). Son article 3 consacre le principe de non-refoulement des ressortissants étrangers menacés de torture dans le pays de destination. Pourtant il arrive régulièrement que des demandeurs d’asile et/ou réfugiés soient renvoyés dans leur pays. Cela a été très pratiqué en 2009/2010, notamment avec les ressortissants irakiens. La société civile mais également le HCR disposent de peu d’informations pour agir contre ces renvois forcés. D’autre part, il est également arrivé que des réfugiés enfermés depuis des mois sans perspective future aucune signent les papiers du retour volontaire afin d’échapper à la détention, même si cela signifie revenir dans leur pays d’origine.

Le Liban a également ratifié en 2008 le protocole optionnel à la CAT (OPCAT) qui vise à instaurer un système de visites dans les lieux de détention afin de prévenir la torture, les mauvais traitements, la détention arbitraire. Jusqu’à aujourd’hui, il n’a pas répondu à son engagement de mettre en place cet organe de visite indépendant au niveau national alors même qu’une proposition de loi pour établir un mécanisme de prévention national issu de l’OPCAT a été discutée en comités parlementaires. Le blocage des institutions qui découle de la crise politique que traverse le Liban en 2013 (report des élections législatives prévues en 2013, absence de gouvernement politique depuis 5 mois) n’a pas permis jusqu’à maintenant l’adoption de cette loi. L’accès au poste de police de la Sûreté Générale est très difficile pour la société civile mais également pour les avocats et les journalistes [13]. Dans les prisons où de nombreuses organisations caritatives délivrent des services d’aide médicale, juridique et sociale, il est possible de rentrer comme visiteur selon un système de permis délivré par le Procureur Général. Dans tous les cas, il n’existe pas d’accès dans les lieux de détention permettant un droit de regard de la société civile ou des médias.

Frontières et surveillance

Frontière Sud

La frontière avec Israël est d’environ 79 km au Sud du Liban. Lors du retrait d’Israël du sud-Liban en 2000, une « ligne bleue » a été établie désormais contrôlée par la mission de l’ONU dénommée la FINUL (Force interiméraire des Nations-Unies au Liban) présente dans le pays depuis 1978. Son mandat a été prolongé jusqu’en août 2014. Cette frontière est une zone militaire hautement surveillée où il n’y aucun passage terrestre, ni pour les étrangers ni pour les nationaux des deux pays. Le Liban et Israël n’ont pas de relations formelles et sont toujours régulièrement en conflit à propos d’incursions réciproques sur leurs territoires.

Frontiere Est (Syrie)

La frontière avec la Syrie est beaucoup plus importante et s’étend sur 375 km. Il y a trois points de passage, Aarida et El Qa’q (Hermel) situés au nord du Liban et l’autre Masnaa, plein est sur la route menant à Damas. Cette frontière est assez poreuse puisque constituée en bonne partie de montagnes offrant un certain nombre de passages non surveillés. C’est d’ailleurs par la frontière avec la Syrie qu’entraient jusqu’à 2011, la plupart des personnes n’ayant pas de titre de séjour au Liban. En effet, de nombreuses nationalités notamment arabophones (Irak, Égypte, Soudan…) n’ont pas besoin de visas pour entrer en Syrie contrairement à l’entrée sur le territoire du Liban. La migration des Syriens et Libanais entre les deux pays est encadrée par des accords bilatéraux découlant du Traité de Fraternité, Coopération et Coordination conclu le 16 Septembre 1993. Les principes de libre circulation des personnes et de mise en œuvre de facilitation du travail des ressortissants syriens et libanais de part et d’autre de la frontière y sont notamment consacrés [14]. Depuis le début du conflit en Syrie le Liban a gardé ses frontières ouvertes et des centaines de milliers de personnes fuyant la Syrie ont traversé la frontière même si la situation peut évoluer très rapidement, des refoulements ayant déjà été rapportés au cours de l’été 2013 .

Mer et Air

Ce sont les services de la Sûreté Générale qui gèrent les entrées et sorties à l’aéroport de Beyrouth, seul aéroport international du pays, ainsi que les frontières terrestres. L’ambassade de France mène en collaboration avec les services de sécurité libanais un projet de sécurité aéroportuaire depuis 2008 : au-delà du financement d’un centre de formation et des formations à la détection d’explosifs et stupéfiants, le projet vise à former les équipes à la lutte contre la fraude documentaire et le démantèlement des réseaux organisés de migration irrégulière. Frontex, s’il a déjà effectué des déplacements au Liban, n’a pas de base fixe au Liban. Il semble que le Liban ne soit pas considéré comme un pays prioritaire, aux vues des flux migratoires irréguliers très faibles partant du Liban pour l’Europe [15].

Accords bilatéraux et réadmission

Le Liban a signé plusieurs accords de réadmission avec la Roumanie, Chypre et Bulgarie (2002), la Suisse (2006), le Royaume-Uni, l’Autriche, la Grèce et le Brésil, ceux-ci sont publiés dans la gazette officielle. Des accords bilatéraux de coopération sur le crime organisé ont été signés en 2001 avec la Bulgarie et en 2002 avec Chypre et y incluent la lutte contre l’immigration irrégulière et le trafic d’être humains. Les relations entre le Liban et l’Union Européenne sont régis dans le cadre d’un Accord d’Association signé en 2002 qui évoque aux articles 68 à 70, la question de la « lutte et du contrôle de la migration illégale » de manière assez vague. Le Plan d’Action UE-Liban signé en 2006 et renégocié en 2012 constitue également une base de dialogue importante [16]. Dans ces deux documents, le principe de la réadmission de nationaux est souligné entre les pays européens et le Liban. Le Plan d’Action évoque également la possibilité de négocier un futur accord de réadmission UE-Liban qui encadre mieux ces procédures.

État des mobilisations

Depuis le début de la crise en Syrie et de l’explosion du nombre de réfugiés sur le territoire libanais, le nombre d’ONG délivrant une aide d’urgence a fortement augmenté et des bureaux ont été ouverts un peu partout sur le territoire libanais. Avant la crise humanitaire déclenchée par la guerre voisine, un certain nombre d’ONG locales offraient déjà en lien avec le UNHCR, des services de base (accès aux soins, à l’éducation, au logement) aux migrants et réfugiés [17]. D’autres associations libanaises composées également de migrants se concentrent sur des actions de renforcement des capacités des migrants et de sensibilisation de l’opinion publique. Enfin, on trouve aussi des associations qui concentrent leur action dans une démarche de plaidoyer auprès des institutions des Nations-Unies et des autorités et publiant régulièrement des rapports sur les questions relatives aux réfugiés et travailleurs migrants au Liban. . En 2010, suite à l’enfermement et l’expulsion de centaines de réfugiés Irakiens, Soudanais et autres, une mobilisation importante soutenue par plusieurs associations a eu lieu autour de cette question et avait à l’époque réussi à attirer l’attention sur les détentions et refoulements de réfugiés, tout au moins dans les médias.

Plusieurs ONG libanaises ont récemment lancé une campagne sur la question des travailleuses domestiques migrantes au Liban et des violences dont elles sont victimes. Cette initiative est révélatrice d’une prise de conscience collective sur la situation des travailleuses domestiques au Liban. La campagne nommée « fi chi ghalat » (il y a quelque chose qui cloche) réclame la fin du système de Kafala pour réduire la vulnérabilité des travailleur.se.s en facilitant le changement d’employeur lorsque cela s’avère nécessaire [18]. L’organisation internationale du travail (OIT) mène également des projets de renforcement des capacités des travailleuses migrantes et de plaidoyer auprès des autorités pour améliorer les droits de celles-ci, en lien avec des ONG. .

Sur les questions d’enfermement des étrangers et notamment de détention au poste de police de la Sûreté Générale, il semble que la coordination ne soit pas évidente entre des associations dont l’approche est avant tout sociale et humanitaire telle que des associations religieuses et des associations travaillant selon une approche plus juridique. Si les premières plaident pour une amélioration des conditions de détention dans ce lieu (voir de l’ouverture d’un nouveau lieu de détention), d’autres n’hésitent pas à remettre en question l’utilisation même d’un poste de police pour une détention qui excède la limite légale et concentrent leurs efforts sur un plaidoyer visant à initier une réflexion sur les alternatives à la détention.

Septembre 2013

Bibliographie et sites internet

Double Jeopardy – Illegal entry, illegal detention, Ruwad Frontiers Association, 2008.

Taking Refuge in Arbitrary Detention - A policy above the Law. Ruwad Frontiers Association, 2010.

Without protection. How the Lebanese Justice System Fails Migrant Domestic Workers. Human Rights Watch, 2010

Consortium for Applied Research on Migration (CARIM) – Lebanon profile : http://www.carim.org/index.php?callContent=364&callCountry=2420

Lebanon detention profile – Global Detention Project - http://www.globaldetentionproject.org/countries/middle-east/lebanon/introduction.html