Valls accepte d’ouvrir les centres de rétention aux journalistes

Mediapart, 11/06/2013

Dans un souci affiché de « transparence », le ministre de l’intérieur serait prêt à autoriser les journalistes à entrer et enquêter dans les centres de rétention administratifs (CRA) et les zones d’attente, lieux d’enfermement des étrangers en France.

C’est ce qui ressort d’informations recueillies par l’AFP auprès du cabinet de Manuel Valls ainsi que d’une réunion qui s’est tenue le 4 juin place Beauvau à Paris entre des conseillers du ministre et des représentants de la campagne Open Access Now, revendiquant un droit de visite des journalistes dans ces centres fermés partout en Europe, et des représentants de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), qui regroupe plusieurs associations de défense des droits des étrangers, qui demandent de leur côté l’accès à ces centres des ONG.

Depuis que ces établissements ont été créés, dans les années 1980, aucun dispositif n’a été prévu pour permettre aux journalistes d’y faire leur travail. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais eu de reportages (en retrouver sous l’onglet Prolonger), mais que l’absence de procédure soumet les demandes à l’arbitraire du pouvoir exécutif. Dans la pratique, lorsqu’ils sont sollicités, les chefs de centre renvoient aux responsables du service de presse du ministre concerné, qui, eux-mêmes, le plus souvent, ne répondent pas. Quand les refus sont écrits noir sur blanc, ils sont généralement non motivés. Les recours sont inexistants.

À l’inverse, les autorisations sont délivrées au compte-gouttes, sans savoir ce qui a présidé à une décision favorable. L’opacité est donc totale, alors même que le placement en rétention n’a rien à voir avec une peine de prison : l’enfermement d’un étranger en situation irrégulière ne relève pas d’une décision judiciaire mais administrative, qui n’est pas censée avoir de valeur punitive, sa légitimité reposant sur la nécessité pour les policiers de dégager du temps pour organiser la reconduite à la frontière. Le seul délit reproché est le maintien irrégulier sur le territoire. « Retenus » sur ordre de l’État, les sans-papiers risquent d’être expulsés sans passer devant le juge des libertés et de la détention (JLD), seul garant des libertés individuelles. En 2012, 62 % d’entre eux ont été dans ce cas.
Au ministère de l’intérieur, on affirme que les modalités pratiques pour « permettre aux journalistes d’entrer sans empêcher les services de fonctionner » ne sont « pas encore arrêtées ».

Qu’est-ce qui a pu décider Manuel Valls ? Le projet de loi de Christiane Taubira sur la protection du secret des sources des journalistes lui a peut-être mis la puce à l’oreille. Ce texte, qui doit être présenté prochainement en conseil des ministres, a inscrit à son article 5 la possibilité pour les journalistes d’accompagner des parlementaires lors de visites dans des établissements pénitentiaires. Les élus, selon le code de procédure pénale, sont autorisés à visiter « à tout moment », en plus des prisons, les locaux de garde à vue, les centres de rétention et les zones d’attente. Selon nos informations, la ministre de la justice n’aurait pas été opposée à l’idée d’élargir sa proposition aux centres de rétention et aux zones d’attente, jusqu’au moment où le ministère de l’intérieur a mis son veto, rappelant qu’il avait la tutelle de ces lieux.

De même qu’une loi réglemente l’accès aux prisons (loi pénitentiaire de 2009), Manuel Valls serait favorable à une introduction de ce principe dans la législation. L’occasion devrait être la prochaine loi sur l’immigration, créant notamment un titre de séjour pluriannuel, et dont la présentation en conseil des ministres pourrait intervenir à la rentrée prochaine, plutôt qu’avant l’été comme cela avait été initialement annoncé.

« Améliorer la transparence est une exigence démocratique »

Lors d’une récente visite au CRA du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, l’eurodéputée Hélène Flautre a perçu la volonté du ministère de l’intérieur de changer la donne, à l’égard des journalistes tout du moins. « Améliorer la transparence est une exigence démocratique », insiste-t-elle dans un compte-rendu, tout en prévenant que les députés EELV s’engagent à « suivre de près » l’introduction d’une nouvelle réglementation pour que « rétention ne rime plus avec suspicion ».

La requête concernant l’accès des associations paraît en l’état moins avancée. L’article 16 de la directive européenne « retour » consacre pourtant le droit des organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes à visiter les centres de rétention.

Mis à part cinq associations intervenant en rétention pour assurer l’accompagnement juridique des étrangers (Assfam, Forum réfugiés, France terre d’asile, Cimade et Ordre de Malte), les lieux d’enfermement sont tenus d’ouvrir leurs portes au contrôleur général des lieux de privation de liberté ainsi qu’au défenseur des droits. Ces derniers exercent régulièrement leur faculté afin de permettre à des étrangers en difficulté d’accéder à leurs droits. En laissant les journalistes aux portes de ces établissements, l’État met à mal deux principes fondamentaux : la liberté d’information et la liberté d’expression des personnes retenues.

Dans un avis, rendu public le 25 avril, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) préconise l’inscription dans le marbre de la loi du principe d’un droit de visite des journalistes.

Au sein de l’Union européenne, la construction de centres fermés s’est multipliée ces dernières années. Chaque année, environ 600 000 personnes, dont des enfants, y sont retenus de quelques jours à dix-huit mois. En 2012, parmi elles, plus de 252 000 ont été expulsées. En France, y compris en Outre-mer, plus de 51 000 ont été enfermées. Dans ce contexte, documenter les conditions de vie dans ces zones à l’abri des regards devient plus que jamais indispensable.

La boîte noire :
En tant que journaliste enquêtant sur les questions migratoires, je soutiens la campagne européenne Open Access Now demandant l’ouverture des portes des centres de rétention aux journalistes et aux représentants de la société civile. J’ai fait partie des quelques personnes auditionnées sur ce thème par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) le 17 avril 2013 et par le cabinet du ministère de l’intérieur le 4 juin 2013.

Carine Fouteau

Pour voir l’article en ligne :
http://www.openaccessnow.eu/data/uploads/VallsRétention.pdf