Les révoltes dans les camps italiens

Dans le communiqué de presse « Les révoltes du désespoir » [ [http://www.migreurop.org/article1401.html ]]
de février 2009 et dans le rapport annuel d’octobre 2009 « Les frontières assassines de l’Europe », Migreurop mentionnait les causes ayant conduit aux révoltes d’étrangers retenus dans le CIE (centres d’identification et d’expulsion) à Lampedusa. Les raisons de ces mouvements étaient principalement dues aux conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles étaient détenus les étrangers et aux violations quasi-quotidiennes des droits des migrants.
Les révoltes des étrangers enfermés n’ont pas cessé ; dans les centres de rétention italiens, à Turin, Milan et Rome, elles se sont même multipliées au cours de ces derniers mois, et ne constituent pas de simples incidents. Elles sont liées à plusieurs éléments :

  des situations de détresse suscitée par la nouvelle législation en matière de détention administrative, qui prolonge la durée d’enfermement de 2 à 6 mois sans qu’aucun changement structurel ne soit apporté aux CIE

  les violences physiques et psychologiques perpétrées par la police

  les conditions matérielles des centres.

On notera par ailleurs la volonté du Gouvernement Italien de sanctionner pénalement les soutiens des comités d’aide aux migrants qui relaient auprès des médias et de l’opinion public les différentes révoltes.

Tout d’abord est présentée une chronologie des différents évènements ayant eu lieu depuis le début de l’année 2009, puis des témoignages de plusieurs migrants permettent de mieux comprendre les difficultés auxquelles sont confrontées un grand nombre de détenus dans les CIE, que le rapport de MSF (Médecins sans Frontière) avait aussi souligné en 2009.

1. Du CPT au CIE

Instrumentalisés comme un des principaux thèmes de la campagne électorale de 2008, les migrants sont devenus les boucs émissaires de nombreux représentants de partis de centre-droit. Pour rappel, en 2008, le gouvernement italien actuel a entamé sa politique xénophobe en souhaitant enregistrer les empreintes digitales de tous les Roms présents sur son territoire, mesure vivement critiquée par le Parlement européen. Puis l’activité législative du gouvernement s’est poursuivi avec l’ainsi nommé "pacchetto sicurezza", à savoir une série de mesures qui se sont concrétisées notamment dans :

 l’adoption du décret « sécurité » n°92 du 23 mai 2008 (convertit en loi 125/2008), qui change la dénomination officielle des Centres de permanence temporaire en Centres d’identification et expulsion (CIE) et qui introduit la "clandestinité" comme circonstance aggravante à un crime.

 l’adoption de la loi n °94 du 15 juillet 2009 qui introduit le délit de clandestinité, qui prolonge la durée légale de rétention à six mois pour les migrants en situation irrégulière et qui prévoit l’institution des ’ronde’ (des groupes formés par de simples citoyens) pour « contrôler le territoire » [1]

Ces différents dispositifs et des discours attenants tendent souvent à faire croire qu’il existe des corrélations étroites entre l’immigration et de nombreux actes criminels, entretenant ainsi le thème de la peur de l’étranger. [2]

Une analyse des mots employés dans les discours des responsables politiques actuels se révèlerait sans doute très utile. Nous nous en tiendrons ici à l’évolution de la nomination des lieux d’enfermement où ont lieu actuellement de nombreuses révoltes. Désignés auparavant comme des « centres de permanence temporaire » (CPT), l’appellation officielle des centres de rétention italiens est donc maintenant « centre d’identification et d’expulsion » : un nouveau terme qui définit les camps d’étrangers en Italie et qui souligne, à sa manière, l’approche sécuritaire de la politique migratoire du ministre de l’Intérieur Roberto Maroni.

Clefs de voûte de la politique migratoire italienne, les centres d’identification et d’expulsion (CIE) sont devenus des espaces très militarisés et s’apparentent à des prisons. La surveillance des centres est assurée par la police à l’exception des CIE de Bologne, Modène, et Cagliari qui sont contrôlés par l’armée. Des organisations comme la Croix Rouge, la Misericordia, Connecting people peu enclines à critiquer la politique actuelle du gouvernement italien, participent à la gestion des centres et en conséquence, diffusent très peu d’informations sur les conditions d’enfermement et les difficultés auxquelles sont confrontés les migrants. L’accès aux CIE est interdit aux journalistes, aux membres des autres associations non gouvernementales et aux citoyens qui souhaiteraient rendre visite à des étrangers retenus. Seuls les députés et les sénateurs peuvent y accéder après avoir fait la demande auprès de la préfecture.

En outre, un autre facteur préoccupant est que le CIE sont de plus en plus utilisés aussi pour enfermer des migrants qui ont fini leur peines de prison mais qui ne peuvent pas être expulsés.

Selon le Ministre de l’Intérieur italien [3] , les centres italiens d’identification et d’expulsion (CIE), sont, actuellement, au nombre de treize [4] :

• Bari-Palese, area aeroportuale

• Bologna, Caserma Chiarini

• Caltanissetta, Contrada Pian del Lago

• Catanzaro, Lamezia Terme

• Gorizia, Gradisca d’Isonzo

• Milano, Via Corelli - 132 places

• Modena, Località Sant’Anna - 60 places

• Roma, Ponte Galeria - 364 places

• Torino, Corso Brunelleschi - 204 places

• Trapani, Serraino Vulpitta - 43 places

• Brindisi, Restinco - 83 places

• Lampedusa - 200 places

• Crotone, S. Anna - 124 places

2. Les révoltes du désespoir et la persécution de la mobilisation

Les révoltes et la nouvelle législation en matière de détention administrative

L’année 2009 a été marquée par une augmentation du nombre de révoltes dans les CIE. Pour une partie des médias, ces mouvements de protestation viennent confirmer la dangerosité sociale des étrangers enfermés et en conséquence, les actions policières répressives qui suivent, sont justifiées. Or les informations véhiculées par les grands groupes médiatiques [5] omettent bien souvent de retranscrire les difficultés auxquelles sont confrontées les migrants enfermés.
L’histoire de Joy qui a été relatée par plusieurs médias [6] , est emblématique des « révoltes du désespoir » qui existent actuellement au sein des CIE.

Condamnée à six mois de prison pour avoir participé à la révolte du centre de Via Corelli en août 2009, Joy révèle, lors du procès, avoir été violée par le chef inspecteur du centre, Vittorio Adesso. Ses dires ne sont pas pris en compte et elle est poursuivie pour calomnie. Après avoir purgé sa peine, Joy est enfermée dans le centre de rétention de Modena, puis transférée dans le centre de Porta Galeria, où un fonctionnaire de l’ambassade nigériane est venu plusieurs fois l’identifier afin de procéder à son expulsion. L’intervention de son avocat qui demande la délivrance d’une carte de séjour en tant que victime de traite des êtres humains, permet à Joy de ne pas être rapatrié de force sur un vol charter, affrété le 18 mars 2009 par l’agence Frontex . À ce jour, la situation de Joy demeure toujours préoccupante car d’une part ses différents témoignages l’exposent aux personnes contre lesquelles elle a porté plainte, et d’autre part, elle est toujours maintenue en rétention et est sous le coup d’une mesure d’expulsion.

La chronologie qui suit, vise à souligner la présence de liens étroits entre le durcissement des mesures législatives relative à la détention administrative et les révoltes qui se succèdent depuis le début de l’année 2009.

24 Février 2009 : Publication du décret loi n°11 du 23 Février 2009 qui prévoit l’institution des ’ronde’ (des groupes formés par de simples citoyens) pour « contrôler le territoire » et qui étend la période légale de rétention de 2 à 6 mois.

Mars 2009 : CIE de Bari, une grande partie des migrants fait la grève de la faim pendant trois jours. Trois personnes se cousent la bouche avec du fil et des aiguilles.

Avril 2009 : CIE de Rome, 20 personnes s’enfuient du centre de rétention. Quatre migrants sont repris et tabassés par des policiers, cinq autres sont arrêtés et conduits en prison.

Mai 2009 : Quatre personnes s’évadent du CIE de Ponte Galeria (Roma)

Juin 2009 : CIE de Torino, une fille nigérienne après avoir demandé plusieurs fois des soins médicaux, brûle un matelas pour être conduite à l’hôpital.

Juillet 2009 : CIE de Milan et Turin, Grèves de la faim et endommagements des structures

9 août 2009 Entrée en vigueur de la loi n°94/2009 (Pacchetto sicurezza) qui introduit le délit de clandestinité. Elle étend définitivement la période légale de rétention de 2 à 6 mois avec un effet rétroactif, en conséquence elle s’applique aux migrants déjà enfermés.

9 août 2009 : CIE de Gradisca (Isonzo), une centaine de migrants détenus montent sur les toits du centre et endommagent la structure

14 août 2009 : CIE de Milan, violents affrontements entre les policiers et les détenus. Des matelas sont brûlés. 14 personnes sont arrêtées et inculpés pour endommagements, lésions et résistance aux officiers publics.

17 août 2009 : CIE de Modene, après une journée de grève de la faim, des draps et des matelas sont brûlés pour protester contre les conditions de détention

21 août 2009 : Début du procès de la révolte du CIE de Milan. Lors de l’audience, une femme nigérienne accuse l’inspecteur chef de la police de d’agression sexuelle.

8 septembre 2009 : CIE de Lamezia Terme, six migrants s’évadent. La police use de gaz lacrymogènes pour disperser les retenus qui manifestent à l’intérieur du centre.

21 septembre2009 : CIE de Gradisca, révolte après qu’une perquisition ait été faite par des policiers et des militaires en tenue anti-émeute, suite à une tentative d’évasion. Il y a une dizaine de blessés.

La vague des révoltes ne s’est pas arrêtée après l’été. Nous signalons notamment :

14 Novembre 2009 : CIE de Piana del Lago (Caltanissetta), une centaine de migrants met le feu à des matelas et différents objets. L’incendie détruit une partie du centre et le rend inutilisable.

15 Décembre 2009 : CIE de Bari-Palese, un détenu est violemment tabassé par des policiers, une révolte éclate dans le centre. Les forces de l’ordre parmi lesquelles il y a des militaires interviennent, il y a plusieurs arrestations.

15 Janvier 2010 : Prison de S.Vittore, Mohammed El Abboudy qui est emprisonné suite à la révolte du CIE de Via Corelli (Milan), meurt asphyxié par les échappements d’une bouteille de gaz, située dans sa cellule. Les circonstances du drame sont peu claires. Il s’en suit de vives protestations des étrangers détenus dans le CIE de Milan.

Février-Mars 2010

Coordination de grève de la faim notamment dans les centres de Bari, Rome, Milan et Turin.

À Corelli et à Turin, les migrants enfermés ont continué leur grève de la faim pour plusieurs jours malgré l’affaiblissement de leur état de santé. Certaines filles maintenues dans le secteur des transsexuelles, sont perfusées ; une d’entre elles est conduite à l’hôpital.

À Rome, 20 détenus ont également poursuivi leur mouvement de protestation. Certains ont cessé de s’alimenter pendant plus de 10 jours. Samedi 13 mars, une manifestation s’est déroulée aux abords du CIE de Ponte Galleria à laquelle plusieurs détenu/es du centre se sont joints. Des départs de feu ont lieu dans le secteur des femmes. Des hommes qui ont réussis à monter sur le toit du centre, ont agité des draps et des tee-shirts pour communiquer avec l’extérieur aux cris de "liberté". La police anti émeute intervient et les fait descendre.

Enfin depuis 2009, dans les centres de Rome, Milan et Turin, on rappellera aussi que des dizaines de migrants commettent chaque mois des actes d’automutilation et tentatives de suicide

La persécution de la mobilisation.

Dans toute l’Italie, les actions de nombreux comités antiracistes et d’aide aux étrangers détenus, se sont révélées extrêmement gênantes pour les Préfectures des villes concernées ; sit-in, diffusion d’informations sur les sites Internet, entretiens téléphoniques avec les migrants, manifestations de soutien ont donc conduit les autorités à intervenir. En février , ces dernières ont procédé à des perquisitions et des arrestations de plusieurs membres de ces différents comités aux motifs que les accusés mèneraient des activités anarchistes et insurrectionnelles.

Par exemple, le 23 février , des perquisitions policières ont été effectuées aux domiciles d’une vingtaine de personnes à Turin, Rovereto (Trente), Vicoforte (Cuneo) et Mantoue. Trois personnes ont été écrouées et trois autres sont assignées à résidence. Ordinateurs, divers documents ainsi que le matériel de la Radio Black Out - radio indépendante qui diffuse régulièrement des témoignages de migrants enfermés - ont été saisis.

Face aux différents groupes anti-racistes qui apportent un soutien aux migrants enfermés et informent de la situation inquiétante dans les CIE, le gouvernement italien tente ainsi d’incriminer certains membres de ces associations.

3. Les témoignages des migrants et le rapport de MSF : une réponse au ’beaucoup de bruit pour rien’.

De nombreux médias ont tendance à minimiser les violences policières commises à l’encontre des migrants, considérer les différentes révoltes à l’intérieur des CIE comme des phénomènes conjoncturels et non structurels. A l’appui d’éléments précis et ponctuels, nous reportons ci-dessous des témoignages de migrants recueillis au moment où ils étaient enfermés. L’enregistrement des entretiens par des radios indépendantes et des groupes anti-racistes ainsi que le rapport de Médecins sans frontières soulignent des conditions d’accueil désastreuses qui prévalent aujourd’hui dans les centres de rétention italiens. L’objectif est de dénoncer une connaissance plus approfondie de la réalité de CIE, autant d’un point de vue sanitaire que du respect de la dignité des personnes.

Les migrants.

Centre de Corelli, (Milan), 10 Juillet 2008

Nella, détenue dans le centre milanais de Corelli, décrit les traitements sanitaires auxquels sont confrontés les personnes malades (propos retranscrits par le Comité antiraciste milanais).

[Pour protester contre les mauvais traitements], « plusieurs d’entre nous sont en grève de la faim depuis plusieurs jours, pour ma part, j’ai cessé de m’alimenter depuis un jour seulement parce que je suis porteuse du VIH. Je ne suis pas très bien. Depuis que je suis enfermée, j’ai des taches sur tout le corps, j’ai demandé à être accompagnée à l’hôpital mais dans un premier temps, on ne m’a donné qu’une pommade. Alors j’ai protesté en renversant le mobilier et les objets dans ma chambre, et ils ont fini par accepter de m’accompagner. Les personnes porteuses du VIH ne sont jamais conduites à l’hôpital ; par exemple, il y a quelques temps, une fille qui était entrée malade dans le centre, a seulement été hospitalisée au moment où elle est devenue très fiévreuse. Régulièrement des policiers nous insultent, surtout nous, les transsexuelles. Je te mentirais si je te disais qu’ils nous frappent toujours, mais je te mentirais aussi si je te disais qu’ils ne le font jamais. Ainsi si tu protestes un peu et que tu leur es antipathique, tu es souvent victime de violences policières ».
 [7]

Centre de Corelli, (Milan), 11 Juillet 2008

A la rédaction du Comité antiraciste milanais, arrive un appel désespéré qui raconte, avec précision, les humiliations et les discriminations que les détenus de Corelli (surtout, encore une fois, les malades et les désavantagés) doivent subir. Ce type de témoignages nous aide à comprendre aussi la genèse des révoltes, trop souvent stigmatisées par la plupart des media comme ’immotivées’ ou ’signe d’ingratitude pour notre hospitalité’.

« Hier soir, vers 23 h, nous, un groupe de transsexuels, sommes allés à l’infirmerie pour suivre la thérapie. Il y avait deux policiers. Un de ces derniers était peut être drogué, parce qu’il était vraiment furax, et lorsque une de mes amies parlait au portable, il a lui dit : "Là, c’est interdit de parler au téléphone". (Mais nous, on avait demandé plusieurs fois à la Croix rouge si on pouvait utiliser le potable dans l’infirmerie et la Croix rouge avait établi que ce n’était pas interdit). Elle a répondu : "Mais je parle avec ma fiancée". Quand les autres étaient en train de sortir, elle a ouvert la fenêtre et le policier lui a donné un coup de pied. Après, il l’a obligée à s’asseoir, mais elle a refusé. Alors lui, furieux, lui a crié : "Assieds-toi, sale nègre, ta couleur me donne envie de gerber". Et après il lui a craché au visage. A ce point-là, elle aussi a craché ».
 [8]

Centre de Ponte Galeria, (Rome) 7 Août 2009

Un appel d’un migrant détenu dans le Camp de Porta Galeria et enregistré par la rédaction de Macerie, raconte l’histoire d’un Algérien qui, en dépit d’une pathologie cardiaque, a été frappé violemment par des policiers.

« Un petit groupe d’Algériens vient d’arriver du CIE de Bari. Parmi eux, il y avait un garçon qui est gravement malade au cœur. Il ne cesse de se lamenter et proteste car la police ne lui a pas amené ses médicaments restés à Bari, il a un traitement qu’il doit prendre chaque jour. Les policiers l’ont accompagné à l’infirmerie et l’ont conduit ensuite dans la cellule de sécurité. Là, des policiers l’ont frappé sauvagement en usant de coups de poing, de coups de pieds, et peut être même de matraques. Quand nous l’avons revu, il était plein de bleus et avait du sang partout. Toute la nuit, il se sentait très mal, les policiers ont donc été obligés d’appeler une ambulance. Depuis, nous n’avons plus de nouvelles de lui. On sait juste que tous les autres Algériens ont été mis en isolement ».
 [9]

Centre de Ponte Galeria, (Rome) 16 novembre 2009

L’interview téléphonique d’un migrant détenu dans le Camp de Porta Galeria (Roma), enregistré par Radio Ondarossa, illustre aussi les inquiétudes - en l’absence de nouvelle - que les étrangers éprouvent vis-à-vis de ceux qui ont été hospitalisés ou transférés dans un autre centre.

« Nous sommes régulièrement en grève de la faim dès que nous savons qu’une personne va très mal. Mais dans le même temps, les policiers nous font peur en nous disant que, si nous ne mangeons pas, ils nous jettent dehors. (...) Un Marocain de 27 ans est mort. Les policiers ne nous disent rien, on est sans nouvelle d’un Algérien qui aurait contracté la grippe A. Quand les docteurs viennent, ils nous demandent : Qu’est-ce que tu as comme maladie ? Quels médicaments prends-tu ? Mais comment peut-on le savoir, la plupart d’entre nous est analphabète. On est traité comme des animaux ».
 [10]

Centre de Corso Brunelleschi (Torino), 8 Février 2010

Aziz appelle la rédaction de radio Black-out et raconte son expérience de demandeur d’asile. En attendant que son dossier soit examiné, les autorités italiennes le retiennent dans le centre de Torino.

« Ils ont prolongé mon séjour dans le centre pour la troisième fois. Je n’en peux plus. Cela fait cinq jours que je fais la grève de la faim. J’ai perdu cinq kilos et ma tension a beaucoup diminuée. Je bois que du café et je fume quelques cigarettes, mais les autorités se fichent de ma situation. J’attends une réponse de la Préfecture qui m’a dit que je connaîtrais mon destin dans quelques jours. Je leur ai dit : " Sachez que si vous m’expulsez, je ne quitterai pas l’Italie vivant ".

Beaucoup d’autres retenus sont dans la même situation, et n’ont plus envie de rester en Italie. Certains ont demandé à rentrer chez eux. Les autorités italiennes disent alors qu’ils s’engagent à leur trouver un avion, mais les mois passent et rien. Même la Croix Rouge ne fait rien, tu leur demandes un truc et ils te disent : oui, oui, et après, bye bye ! »
 [11]

Le rapport de Médecins sans frontières

Avec l’autorisation du ministère de l’Intérieur, des équipes de Médecins sans frontières ont visité, en novembre et décembre 2008, dix Centres d’Identification et d’Expulsion (Bari, Bologna, Caltanissetta, Gorizia, Lamezia Terme, Milano, Modena, Roma, Torino et Trapani) et quatre centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Caltanissetta, Crotone, Cassibile et Gorizia). Le but de ces visites était de vérifier les conditions d’accueil qui prévalaient dans les centres en interviewant notamment des membres du personnel administratif et les migrants. En février 2010, MSF a publié son rapport [12]

Gestion des centres et transparence administrative

Dans l’ensemble, la gestion de ces centres, bien que ceux-ci aient été institués depuis plus d’une décennie, semble encore s’inspirer d’un modèle destiné à gérer des situations d’urgence. Elle est pour une grande part laissée au pouvoir discrétionnaire des organismes gestionnaires. Une situation qui découle de l’absence de directives commune et du défaut de gestion centralisée, ainsi que de l’absence de contrôle régulier par des organismes tiers et spécialisés. La gestion, concentrée dans les mains des organismes gestionnaires, souffre d’un défaut de transparence, comme en a fait preuve le refus du Ministère de l’Intérieur de mettre à la disposition de MSF, les conventions passées entre les organismes gestionnaires et les Préfectures locales (seule la Préfecture de Crotone a mis à disposition de MSF une copie de la convention passée avec l’organisme gestionnaire).

Les conditions sanitaires et sur les vraies causes de révoltes :

Il résulte de l’analyse des données recueillies au cours des visites effectuées au cours de l’hiver 2008 et l’été 2009, une impossibilité d’assurer une gestion adéquate des besoins de ceux qui séjournent dans des structures où qui y sont détenus. Des personnes aux histoires et parcours divers sont détenues pour une période indéterminée a priori, car les expulsions peuvent se produire tout moments. Il semble difficile, dans un tel contexte, d’organiser des interventions d’assistance, de soutien et de protection appropriées. Pourtant, aucun organisme n’envisage de modifier ses modalités d’organisation en prévision de l’allongement de la période maximale de détention de 2 à 6 mois.
Ceci explique les tensions et malaises importants dans ces centres. Les témoignages des personnes retenues, les actes d’automutilation, les recours fréquents aux services de santé, aux sédatifs en sont un signe, de même que les nombreuses révoltes, incendies volontaires, actes de vandalisme, tentatives de suicides, et émeutes. Cette tension, qui semble liée aussi bien à la détention elle même, qu’au profond sentiment d’injustice ressenti par des personnes privées de liberté alors qu’elles n’ont commis aucun délit, est aggravée par les mauvaises conditions de détention dans des lieux qui ne permettent pas de répondre de façon adéquate aux besoins fondamentaux des personnes tels que la santé, l’assistance légale, sociale et psychologique.

Très peu de garanties accordées aux migrants enfermés : quelle est la finalité réelle du système de détention administrative ?

Certains aspects suscitent la perplexité. Ainsi, la finalité officielle de la détention administrative, lors de son institution en 1998, était la nécessité de mettre en œuvre l’éloignement des étrangers, dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. La nature punitive de la détention était donc exclue par la loi. L’allongement de 60 à 180 jours de la durée maximale de détention (au début la limite maximale était de 30 jours), en vigueur depuis le 8 août 2009, semble bouleverser la finalité véritable de la détention administrative : Il semble qu’il ne s’agisse plus d’une mesure extraordinaire et temporaire de restriction de liberté en vue d’organiser l’éloignement, mais d’une sanction, sans même que ne soient applicables les garanties existant en matière pénale. Ceci risque donc d’aggraver le climat déjà explosif à l’intérieur des centres.

Le système de détention administrative semble donc avoir moins une finalité réelle de lutte contre l’immigration irrégulière qu’une fonction symbolique de « relégation » et de mise à l’écart, destinée à adresser à l’opinion publique un message de contrôle de l’immigration irrégulière. Il y a en effet une contradiction entre les finalités officielles et non avouées des CEI qui, en outre, semblent produire un humus pathogène sur lequel s’accumulent manque d’efficience, abus, violations des droits de l’homme, maladies, pour une large part dépendants des modalités opérationnelles de chacun des organismes gestionnaires.

Andrea Picone - Réseau Migreurop