L’impartialité du tribunal en débat

Audiences des 25 et 26 janvier 2010

Avertissement : un procès à charge Le compte-rendu de l’observation judiciaire réalisée par Migreurop, présent pendant toute la durée du procès, donne l’impression d’un procès qui s’est déroulé entièrement à la charge de prévenus. De fait, à partir du quatrième jour, la défense a décidé de quitter le prétoire, estimant, après le refus de la présidente du tribunal d’accéder à ses demandes d’information complémentaire et de renvoi de l’audience, que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies. C’est donc en l’absence des prévenus, de leurs avocats et des témoins cités par la défense qu’a continué le procès. Migreurop a cependant continué son observation, dont la chronique quotidienne tout au long des huit jours d’audience reflète une implacable construction. Une construction qui, à partir de l’interprétation de bandes vidéos pour l’essentiel illisibles, de dépositions recueillies dans des conditions contestables et de témoignages provenant tous de source policière, a abouti à un réquisitoire de plomb que n’étaye aucune preuve formelle de culpabilité.

Tribunal de grande instance de Paris, 31è chambre, lundi 25 janvier 2010

L’audience est fixée à 13h30, mais elle ne commencera pas avant 14h10. Une quarantaine de personnes seulement - témoins, parties civiles (il y en six, deux femmes et quatre hommes, qui travaillaient au centre de rétention au moment des faits) et observateurs compris - plus une quinzaine de journalistes à l’intérieur de la salle. Cent à deux cent personnes venues pour assister aux débats devront rester devant la porte de la salle d’audience, qui est « équipée » pour les procès de l’anti-terrorisme : portique à l’entrée, cage de verre pour le seul prévenu qui ne comparaît pas libre. Avant même l’ouverture des débats, l’ambiance est tendue et la présence policière pesante.

Un des prévenus arrêté en se rendant au tribunal

A l’appel des prévenus, premier incident : il manque un de ceux qui devaient être présents. M. a été arrêté en venant au tribunal, à la suite d’un contrôle d’identité à la gare du nord à 11h 30 du matin. Il est au poste de police de la gare au moment où devrait commencer l’audience. Son avocate Me Terrel l’a appris par un appel de la police, qui lui a dit qu’il ne pouvait être mis en liberté malgré la convocation judiciaire. Pour elle, la procédure (d’interpellation) est irrégulière. Le procès verbal (PV) ne mentionne pas la présence d’un interprète, alors que M. a toujours bénéficié de l’assistance d’un interprète au cours de l’instruction. On peut donc présumer qu’il n’a pas eu une parfaite compréhension de la procédure qui lui a été appliquée ni des droits qui y sont attachés. Ainsi il serait très étonnant compte tenu du contexte que, comme l’a précisé à l’avocate le policier au téléphone alors qu’elle était prête à se rendre sur place, M. n’ait pas demandé à la voir (c’est seulement à la demande de la personne arrêtée que l’avocat peut aller l’assister). Elle demande au tribunal de suspendre l’audience pour permettre à son client - dont le seul motif de l’arrestation vient de ce qu’il est dépourvu de papiers - d’y assister. Le procureur précise que M. a bien commis un délit, le PV d’interpellation indiquant qu’il a franchi un tripode (tourniquet à composteur de billet) sans ticket (mais à la lecture ultérieure du PV, on constatera que seule l’ILE - infraction à la législation sur les étrangers - est retenue). Après une courte suspension d’audience, la présidente annonce que « la situation se débloque ». M. va être mis en liberté. L’audience est suspendue jusqu’à 15h30 pour donner le temps à M. d’arriver. Lorsqu’il pénètre dans la salle d’audience un peu plus tard c’est d’ailleurs encadré de deux policiers, auxquels Me Terrel demandera de se retirer, son client devant comparaître libre.

La séance reprend à 15h40, avec l’appel des prévenus. Six sont présents, dont un détenu, quatre sont absents. Deuxième incident de séance : un des prévenus, ainsi que son épouse depuis la salle, interpellent la présidente du tribunal, qu’ils disent reconnaître. On croit comprendre qu’elle aurait, en tant que juge des libertés, ordonné son placement en détention provisoire prévenu cinq ans plus tôt. Se poserait alors le problème de l’impartialité du juge. A la demande des avocats, la présidente ordonne une suspension de séance d’un quart d’heure.

A partir de cette pause la tension monte, dans la salle d’audience mais aussi à l’extérieur, d’où on entend les protestations du public nombreux de soutiens aux prévenus et de militants, qui n’ont pas pu accéder à l’audience (bien que la salle ne soit pas pleine) et qui s’insurgent contre l’absence de publicité des débats.
Les chefs d’inculpation

Après cette suspension, l’appel et l’énumération des chefs d’inculpation reprennent :

Quatre prévenus sont poursuivis pour : « avoir volontairement commis des violences n’ayant pas entraîné d’Incapacité Totale de Travail (ITT) supérieure à 8 jours avec les circonstances supplémentaires qu’elles ont été commises en réunion, et au préjudice de dépositaires de l’autorité publique »

Quatre autres pour : « avoir, par substance explosive, incendie ou tout autre moyen, volontairement détruit les bâtiments du centre de rétention de Vincennes »

Contre les deux autres prévenus ces deux chefs d’inculpation (violence et incendie) sont retenus, auxquels s’ajoutent, pour l’un, « d’avoir arraché le combiné d’une cabine téléphonique », et pour l’autre « d’avoir brisé les vitres d’un local du centre de rétention » avec, dans les deux cas, pour circonstances supplémentaires qu’il s’agit de biens destinés à la décoration ou à l’utilité publique appartenant à une personne publique, et que les faits ont été commis en réunion ».

L’impartialité du tribunal en débat

L’avocate de MD, le prévenu qui a reconnu la magistrate, prend la parole. En 2005, alors que cette dernière était juge d’instruction, elle a eu à décider de la mise en détention provisoire de l’intéressé.
Son épouse, qui avait été interpellée et a comparu en même temps, étant enceinte, a été, elle, placée sous contrôle judiciaire. Leurs enfants ont été placés pendant deux ans et ne leur ont été restitués qu’après une procédure lourde devant le juge des enfants. Le couple a aujourd’hui sept enfants. Me Stambouli explique que MD est resté très traumatisé par cet événement, qui l’a privé de ses enfants et a été le début des difficultés administratives qui l’ont conduit au centre de rétention, où « il n’avait rien à faire, étant père de sept enfants français ». Pour cette raison sa confiance dans la formation qui est appelée à le juger est entamée.
Selon Me Stambouli, cette situation porte atteinte à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme http://conventions.coe.int/Treaty/fr/treaties/html/005.htm (droit à un procès équitable) qui exige un tribunal impartial, la jurisprudence englobant dans cette notion la crédibilité et l’apparence d’impartialité du juge. Elle se réfère aussi à l’article 668 du Code de procédure pénale http://www.easydroit.fr/codes-et-lois/article-668-du-Code-de-procedure-penale/A58585/ qui prévoit les cas de récusation du juge, notamment celui où « le juge a connu du procès comme magistrat », en plaidant que la jurisprudence commande de prendre en compte la circonstance que, pour le prévenu, les deux affaires sont étroitement liées (celle qui l’a conduit en détention en 2005 et celle-ci) et qu’il a le sentiment d’un acharnement judiciaire qui risque de faire peser un a priori de partialité.

Le procureur reprend les faits, en rappelant qu’en effet « dans une autre affaire », Mme Dutartre a renvoyé, en tant que juge d’instruction, MD au tribunal correctionnel en ordonnant son placement en détention provisoire. Il pose la question : l’impartialité du tribunal est-elle mise en cause ? Non, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il cite notamment une affaire où il s’agissait du président d’une chambre correctionnelle qui avait été juge d’instruction dans la même affaire : son impartialité n’avait pas été mise en cause, alors même que le prévenu avait des doutes à ce sujet. Encore était-on dans l’hypothèse d’une même affaire, alors que dans les circonstances présentes Mme Dutartre va être appelée à juger des faits qui sont intervenus postérieurement à l’affaire dans laquelle elle a pris une décision en 2005. Pour le procureur, le soupçon d’impartialité ne devrait donc pas prospérer. Toutefois, ajoute-t-il, « les doutes de MD existent, tenons-en compte. Mais la question a été tranchée par la Cour EDH. On ne peut se référer au ressenti du prévenu sans prendre en considération cette jurisprudence ».

Me Terrel se réfère à la théorie de l’apparence, selon laquelle le tribunal doit offrir toutes les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime pouvant affecter son impartialité, y compris si ce doute provient de l’apparence donnée par la situation. Les avocates en concluent qu’il serait préférable que Mme Dutartre se retire d’elle-même de la formation de jugement, et décide du renvoi de l’affaire vers une autre formation.

La séance sera suspendue à 17h45 jusqu’à mardi 26, 13h30.

Tribunal de grande instance de Paris, 31è chambre, mardi 26 janvier 2010

La séance s’ouvre à 13h30. Elle sera très courte. Mme Dutartre annonce que le tribunal a décidé de rejeter la demande de Me Stambouli en renvoyant vers une autre formation, estimant que l’impartialité des débats n’est pas en jeu dans la mesure où, même si le même prévenu est concerné, on est ici face à deux affaires distinctes.

Me Stambouli demande alors une suspension de l’audience pour aller présenter au président du TGI une demande de récusation.
L’audience est suspendue jusqu’à mercredi 27, 13h30.

Après deux jours, le procès n’a donc toujours pas commencé. Et pourrait ne pas commencer, puisque les avocats de la défense ont fait savoir qu’ils avaient l’intention de demander un supplément d’information. Ils dénoncent une instruction à charge. Toutes les demandes d’actes et d’informations complémentaires qu’ils ont présentées, notamment les minutages précis des journées du 21 et 22 juin 2008, des informations sur les systèmes de sécurité dans le CRA, la mise en lien avec la mort de M. Souli ont en effet été rejetées dans leur ensemble par le juge d’instruction.

Comme la veille, plus d’une centaine de personnes étaient venues manifester leur solidarité, dont la sortie du tribunal s’est effectuée sous la garde rapprochée de la police, d’où quelques heurts.

A l’appel du Ministère de la Régularisation de Tous les Sans papiers, un rassemblement est organisé mercredi 27 janvier, à 11h, place du Châtelet, en soutien aux inculpés du procès de l’incendie de Vincennes.