Accord de réadmission franco-haïtien : les droits humains des migrants haïtiens en France sont en péril

Des représentants du « Collectif Haïti de France » sont venus en Haïti pour sensibiliser les organisations de la société civile haïtienne sur les négociations qu’ont engagées la France et l’Etat d’Haïti ; elles visent la conclusion d’un accord de rapatriement vers Haïti des migrants haïtiens en situation irrégulière en France. Cet accord est inscrit dans le document cadre de partenariat France-Haïti 2008-2012 (chapitre « Immigration et co-développement [1] »).

Avec le soutien des associations franco-haïtiennes comme le Collectif Haïti de France, la Plate-forme des Associations Franco-haïtienne (PAFHA), ainsi que du collectif Migrants outre-mer (MOM, un collectif de 13 associations qui s’implique dans la défense des droits des migrants en Outre-mer, http://www.migrantsoutremer.org/ ) les organisations haïtiennes de la société civile s’engagent à sensibiliser les pouvoirs publics haïtiens aux enjeux d’un tel accord que le gouvernement français veut conclure en 2009 avec la République d’Haïti.

L’ambassade de France parle beaucoup de l’aide au développement que son pays apporte à Haïti, mais sans dire que la contrepartie de cette aide est la lutte contre l’immigration irrégulière et la signature d’un accord de gestion concertée des flux migratoires (dit « de réadmission »).

Les accords de gestion concertée des flux migratoires et au co-développement s’inscrivent dans la droite ligne de la politique française d’immigration choisie et correspondent aux priorités du pacte européen sur l’immigration et l’asile. La France a déjà signé ce type d’accord avec plusieurs pays africains et négocie actuellement avec Haïti, le Cameroun, les Philippines et le Mali V [2].

Les accords de gestion « concertée » des flux migratoires comprennent 3 volets :

le premier sur les possibilités de « migration légale » (délivrance de visas : ainsi, les Saint-Luciens et les Dominiquais sont exemptés de visa pour un séjour touristique de 15 jours maximum par an dans les départements français d’Amérique), l’octroi de titres de séjour temporaires principalement pour des motifs professionnels, dont la carte « compétences et talents », avec un quota de cartes par an ;

le 2ème sur la lutte contre l’immigration irrégulière, avec des clauses par lesquelles les Etats s’engagent à réadmettre leurs propres ressortissants en situation irrégulière voire, pour certains (Congo, Bénin), prévoit d’interdire un permis de séjour sur le territoire d’un pays européen des ressortissants de pays tiers ayant simplement transité par leur territoire ;

Le 3ème volet concerne le co-développement, dont les montants investis dans des microprojets sont largement inférieurs aux transferts envoyés par les migrants à leurs familles.

Nous soulignons que ces accords sont particulièrement inéquitables, car ils prétendent distribuer de faibles montants d’aide au « co-développement » et seulement quelques visas aux jeunes diplômés en échange du durcissement des politiques migratoires.

Les statistiques de 2007 ont montré que la France a reconduit à la frontière plus de 50 000 migrants. La moitié de ces expulsions a eu lieu à partir des départements et territoires d’outre-mer. Or, les Haïtiens résidant en France sont principalement établis en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin. Sur un million d’habitants des départements français d’Amérique (DFA), 38% des étrangers en situation régulière sont Haïtiens et les sans-papiers sont évalués à 57 000 personnes. A défaut de chiffres exacts, on peut évaluer à 21 000 au moins les Haïtiens en situation irrégulière dans les Départements Français d’Amérique. Toujours en 2007, 67% des individus expulsés de la Guadeloupe étaient de nationalité haïtienne [3]

Les organisations signataires de la présente déclaration se sont particulièrement inquiétées des conséquences au niveau des droits humains en relation de ses expulsions des migrants à partir les départements et territoires d’outre mer de la France. L’examen de la France par le Comité de droits de l’homme a confirmé que l’absence de recours suspensif d’exécution contre des mesures de reconduite à la frontière à partir de la Guyane française ou de la Guadeloupe violait les articles 7 et 13 du pacte international relatif aux droits civils et politiques [4]. Ainsi les clauses de réadmission constituent un élément clef de ces accords qui forcent les États signataires à accepter le retour sur leur territoire de leurs ressortissants dès lors que la nationalité des personnes concernées est établie [5]. Elles renforceraient les moyens d’enfreindre l’article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la France et Haïti.

Ensuite, une augmentation des expulsions signifierait aussi une multiplication des locaux de rétention administrative où les conditions de séjour sont assez inquiétantes. Le droit de toute personne à jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible est ainsi gravement mis en péril ainsi que la protection contre la détention prolongée des migrants, qui sont souvent des mineurs.

La signature d’un tel accord de réadmission porterait encore une fois atteinte à la souveraineté de la République d’Haïti car les consulats haïtiens ne seraient plus sollicités pour un laissez-passer avant l’expulsion d’un individu quelconque (Haïtien ou pas) sur le territoire d’Haïti.

Nous demandons au gouvernement d’Haïti de rendre publiques les négociations relatives à cet accord qui, sous prétexte de co-développement, va précariser la vie de nombreuses familles haïtiennes et françaises d’origines haïtiennes. Les organisations signataires de cette déclaration vont se mobiliser pour empêcher la signature d’un tel accord. Car le droit au développement est un droit, et en tant que tel, il ne peut être soumis à des conditions occasionnant des violations des Droits fondamentaux de la Personne.

Suivent les signatures suivantes :

1. Groupe d’Appui aux Rapatriés et Refugiées (GARR)

Colette LESPINASSE, Coordonnatrice du Bureau Exécutif

2. Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH)

Antonal MORTIME, Secrétaire Exécutif

3. Haïti Solidarité Internationale (HSI)

Jean LHERISSON, Coordonnateur Général

4. Solidarité Fanm Ayisyèn (SOFA)

Carole Pierre-Paul JACOB, Secrétaire Exécutive

5. Commission Nationale Episcopale Justice et Paix

Jocelyne COLAS, Secrétaire Exécutive

6. Antèn Ouvriyè

Sanon RENEL, Membre du Comité de Coordination

7. Association Nationale des Agro-professionnels Haïtiens (ANDAH)

Stephen William PHELPS, Responsable à l’organisation

8. Plate-forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA)

Camille CHALMERS, Directeur Exécutif