La traque des clandestins est ouverte au Maroc

L’Europe sous-traite sa lutte contre l’immigration illégale au-delà de ses frontières, en Afrique du Nord

Le Monde édition du 13.01.07
Claire Rodier est présidente du réseau Migreurop

La scène se passe à l’aube, à la veille de Noël. Dans les faubourgs de la capitale, à quelques kilomètres du Parlement, la police fait une descente dans les quartiers connus pour abriter des sans-papiers. Plus de 200 personnes sont embarquées manu militari dans six cars qui partent aussitôt vers la frontière. Parmi les raflés, tous ou presque originaires d’Afrique noire, des femmes, certaines enceintes, et de très jeunes enfants. Dans la précipitation, ceux d’entre eux qui sont en règle - plus du tiers - n’ont pas le temps de produire leurs papiers. Pas question de laisser quiconque appeler une association ou un avocat. Il faut aller vite.

Nous sommes à Rabat, et le Maroc est en train de devenir l’un des meilleurs alliés de l’Union européenne dans sa lutte contre l’immigration clandestine. Bien que ce royaume soit signataire de la convention des Nations unies pour la protection des droits des travailleurs migrants et de leurs familles, il ne se montre guère accueillant avec eux. Sans emploi, dans un pays où le taux de chômage est très élevé, sans subsides, beaucoup vivent de la mendicité ou de l’assistance caritative. Et si le Maroc a ratifié la convention de Genève sur les réfugiés, ceux qui se voient reconnaître le statut qu’elle confère n’y disposent d’aucun droit particulier, pas même celui d’être à l’abri des arrestations.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n’y a pas de siège officiel, il y est seulement toléré. Cette demi-présence suffit à servir de caution aux yeux d’une UE soucieuse des apparences - formellement, tout va bien, le droit d’asile est garanti au Maroc - même si le HCR est impuissant à empêcher ces rafles. Il n’a réagi qu’après dix jours d’un désespérant silence.

La France, comme ses voisins de l’UE, s’est félicitée de la tenue à Rabat, au mois de juillet 2006, de la première conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement. La seule décision concrète qui y ait été prise concerne la réduction des coûts prohibitifs des transferts des fonds des immigrés. Pour le reste, les débats ont principalement porté sur la lutte contre l’immigration clandestine, pour prévoir le /"renforcement des contrôles des frontières des pays de transit et de départ"/ et la mise en place de /"systèmes efficaces de réadmission des illégaux"/.

Dans le contexte de dépendance économique et politique de ces pays, auxquels l’UE assigne le rôle de protéger ses frontières, ne se souciant ni de leur volonté ni de leur capacité à protéger les migrants et les réfugiés, un tel programme ne peut qu’entraîner la violation des droits de ces derniers. Au même titre que les rafles de Rabat, celles qui ont lieu périodiquement en Algérie, moins souvent évoquées, comme les camps de détention d’étrangers en Libye, pour ne parler que du nord de l’Afrique, constituent une inacceptable sous-traitance de la violence.

Il importe que les engagements pris par les États membres au regard des droits des personnes, quels que soient leur nationalité et leur statut, ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Europe et ne se limitent pas à de simples rappels de principe dans les déclarations officielles. Toute coopération engagée par l’UE avec un pays tiers sur les questions migratoires doit a minima comporter une clause de conditionnalité relative au respect des droits fondamentaux. Mais, surtout, elle ne doit être lancée qu’après s’être assuré que les structures, les budgets, les réglementations de ces pays garantissent effectivement le respect de ces droits.